Quand je pourrai me faire craindre, j’aimerais encore mieux me faire aimer» Montaigne
Comme il était prévisible et prévu, la journée du 5 octobre s’est passé comme tous les 5 octobre précédents, dans la presse privée, avec quelques acteurs de la société civile
(le RAJ, des défenseurs des droits de l’homme etc.). Comme d’habitude, on a réprimé un rassemblement qui n’avait absolument aucune velléité de violence ou une capacité à modifier l’échiquier politique. Culture autoritaire? Réflexe du parti unique? Allergie absolue à toute forme de liberté d’expression? Sans doute un mixte de tout ça et la farouche volonté d’effacer l’histoire, d’empêcher tout ce qui peut contribuer à son écriture, de la figer au niveau du dit ou des silences royaux. Mais au nom de quoi seraient organisés des colloques, des débats, des émissions TV et radio, de larges échanges au Parlement, des commémorations pour honorer les morts du 5 octobre et attiser l’intérêt des vivants pour ce qui les concerne, et faire le deuil des morts?
Or, pris sous n’importe quel angle et quelle que soit l’analyse du pouvoir, de l’opposition, des observateurs étrangers, des civils, des islamistes, des militaires et des criquets migrateurs, le 5 octobre a accouché, certes au forceps, d’inclinaisons majeures dans l’histoire du pays. La presse privée et la Constitution de 1989 en avance sur beaucoup de pays arabes et africains, sont les enfants d’octobre. La parenthèse très courte de l’ouverture de l’ENTV, qui ne sera pas rééditée dans le monde arabe avant 2 ou 3 siècles n’a été possible que parce qu’il y a eu le 5 octobre. Cette parenthèse qui a permis à une, voire deux générations d’Algériens de voir pour la première fois M. Boudiaf qui s’exprimait en direct du Maroc lors de la série «Aux sources de novembre» de H. Djelloul. Le retour au pays de Benbella, Aït Ahmed La sortie de la clandestinité de plusieurs partis, la découverte par des communistes (toutes générations confondes) de Sadek Hadjeres lors d’un meeting à la salle Ibn Khaldoun Plus tard, peut-être, des historiens libres, pas des «familles», écriront les pages de ce que fut le 5 octobre, les rôles et les statuts des uns et des autres. Des cinéastes feront peut-être des films en attendant que passe à la TV le film de Malik Lakhdar Hamina justement sur octobre, qui va se bonifier et devenir un incunable du cinéma algérien. Lorsque les censeurs, l’historien de la «famille», le chef salafiste du quartier auront pris leur retraite ou quitté ce bas monde, sort prévu pour tous, octobre sera plus lisible par des historiens et chercheurs.
Octobre sera bientôt terminé pour qu’en 2011, peut-être, soit libérées la parole, la recherche historique, les expressions au cinéma et à la TV qui s’apprête à faciliter le hold-up du millénaire: importer tout ce qui va avec la TNT, avec une seule chaîne, une seule adresse, un seul budget, un seul DG, un seul parc automobile, un seul DAG etc. etc. Ceux du 21 boulevard des martyrs qui, à force de voir ses murs être repoussés vont finir par se retrouver eux aussi sur la TNT. Avec Octobre qui va s’achever, sont arrivées les premières et maigres averses. Dans de nombreux cités et quartiers populaires, des canalisations ont été enfouies sur des kilomètres. Leur piste est facile à suivre: elle serpente, simplement recouverte d’un peu de terre en août- septembre. L’annonce est donc affichée: restes à réaliser, appel d’offres pour achever un chantier ouvert et fermé avant les premières averses. Résultat: des ruisseaux de boue, ramenés dans les chaussures dans les logements, des écoliers qui y pataugent pour offrir en boucle l’image du pays le plus sale de la Méditerranée. Qui est responsable? Personne, sinon la météo qui change.
Octobre touchera bientôt à sa fin. En ce mois le président de l’Autorité (qui n’est ni un pays, ni un Etat) palestinienne aurait reçu l’appui des pays arabes. Sans le tragique de millions de Palestiniens S.D.F., ce serait la meilleure blague du siècle. L’appui des arabes!!! Israël, «gouvernement et peuple», morts et vivants n’en dorment plus. Des dirigeants qui ont perdu toutes les guerres engagées contre Israël, dont certains sont devenus une base arrière de la diplomatie et de l’armée américaine, alors que d’autres ont le drapeau de l’Etat juif dans leur capitale vont donc aider la Palestine! Pourquoi faire? Soyons sérieux, la question palestinienne jusqu’à la fin du monde est, dans l’ordre, la propriété d’Israël, des Etats-Unis et en troisième position de l’Europe qui a un strapontin. Dans la cour des grands, les dirigeants arabes n’y entrent pas. Ils se réunissent chez eux, palabrent pour leur J.T. et rentrent après avoir donné leur accord pour tout ce qui conviendra à Mahmoud Abbas. C’est facile, ne rapporte rien et confirme les vrais décideurs pour la Palestine.
Après octobre, viendra novembre. Le mois est emblématique. C’est une borne, sûrement la plus importante de l’histoire algérienne. Le grandiose est préparé depuis novembre 2009. Un extraordinaire défilé militaire se répète. Des jeunes filles et des jeunes gens vont dérouler des chorégraphies chatoyantes dans les rues principales des grandes villes. De nouveaux films de fiction, des documentaires sur novembre vont donner à réfléchir aux jeunes et aux vieux. Des colloques et séminaires sont programmés dans de grandes universités algériennes. C’est novembre, le nôtre, celui de toute une nation. Des historiques encore de ce monde, d’anciens présidents, des chefs militaires, d’anciens hauts responsables politiques sont conviés pour dire leur point de vue dans les campus, sur les chaînes de la TNT, sur toutes les radios. Novembre sera commémoré comme il se doit! Dans la capitale de l’ex-colonisateur, la diplomatie algérienne avec l’aide d’ONG, d’associations et de grandes figures anti-colonialistes, a préparé deux journées de débat sur la guerre de libération nationale avec la présence de grands leaders africains de la lutte anti-colonialisme. L’évènement se déroulera à la Sorbonne, selon la rumeur rêveuse.
Après octobre, il y a novembre, des pluies, des balcons qui tombent, des chantiers bâclés qui remontent à la surface, vont dans les foyers, les écoles Après octobre, la rocambolesque affaire Djezzy le métro fantôme, les bidonvilles qui repoussent pour cacher l’autoroute machin, Khalifa, Sonatrach et ses poupées américaines, la légitimité de l’informel, des voyous des parkings, des trottoirs privatisés, que les caméras ne voient jamais Après octobre, novembre avant la grande fête de juillet etc. etc.
14 octobre 2010
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