Actualité (Lundi 17 Octobre 2005)
L’historien français Benjamin Stora a déploré le “silence des dirigeants et partis politiques” français sur les crimes coloniaux pour lesquels les pays victimes demandent une repentance officielle. Dans une déclaration à l’APS,
à l’occasion de la commémoration des massacres du 17 Octobre 1961, M. Stora a souligné que le pardon revendiqué par les pays victimes de la colonisation “est du devoir des politiques qui doivent prendre toutes leurs responsabilités”. “Ce n’est pas le travail des historiens”, a-t-il ajouté, déplorant sur cette question “le silence des dirigeants et partis politiques”.
Quant à la loi du 23 février 2005, qui fait l’apologie du colonialisme et qu’une opinion française montante demande d’abroger, il a souligné que “cela également ne relève pas du travail des historiens” et que “c’est au législateur de faire ou de défaire les lois qu’il a concoctées”. “En tant que citoyen, je suis pour l’abrogation de cette loi”, a-t-il assuré. Concernant la commémoration des massacres du 17 Octobre 1961, il a noté qu’au sein de l’opinion publique française, le passé colonial “n’était qu’un phénomène périphérique”, mais grâce au travail des historiens tant en France qu’en Algérie, et dans les autres pays ex-colonisés, ainsi que celui du mouvement associatif, “le fait colonial est redevenu un phénomène central”. Il a cité en exemple le cas du “tragique événement” du 17 Octobre 1961 par lequel la jeunesse immigrée, dans le cadre de “sa recherche identitaire” et de son combat contre toutes les formes d’exclusion et de discriminations, “s’est identifiée”.
Ce combat a pris des formes diverses telles que la “marche des beurs”, a-t-il rappelé pour illustrer le fait que “la date inaugurale du 17 Octobre 1961”, qui est depuis quelques années “enseignée dans les manuels scolaires français”, est aujourd’hui “un repère”, un domaine référentiel par lequel les jeunes immigrés “s’expriment” et l’opinion publique française “interroge le passé de la France”. “Il y a ainsi une remontée de la mémoire qui participe d’un mouvement plus général” regroupant bien d’autres faits tragiques, dont “les exactions de l’armée coloniale, les tortures”, a-t-il poursuivi pour souligner encore le fait que “la colonisation, au même titre que l’esclavage, redevient une question centrale”. Parmi les facteurs ayant catalysé cette remontée de la mémoire, M. Stora a également cité le manifeste de “l’immigration post-coloniale”, dont l’ampleur fait que l’opinion publique française “est aujourd’hui obligée d’affronter”.
Par ailleurs, dans l’ouvrage Le 17 Octobre 1961 : un crime d’État à Paris d’Olivier Le Cour Grand-Maison, Benjamin Stora note qu’“aujourd’hui, l’évènement est revisité à nouveau par les historiens”, mais a souligné que “les débats procèdent de manière insidieuse en France sur la ‘difficulté’ d’établir la vérité sur un massacre pourtant bien réel”. Pour cerner l’ampleur de cet événement tragique, l’historien fait “des rappels d’habitudes criminelles”, soulignant que “bien des précédents existent au 17 octobre”, souvent occultés. Il a cité le cas du 14 juillet 1953.
Lors d’une manifestation de syndicats français pour commémorer la Révolution française de 1789, “la police française ouvre le feu sur les Algériens” encadrés par des militants PPA/MTLD. “Ce jour-là, six morts gisent sur le pavé parisien. Une trentaine de blessés graves sont transportés vers les hôpitaux”, a-t-il précisé. “Ce fait d’une extrême violence réactive une tradition de comportements dans la police française à l’égard des manifestants algériens”, a rappelé Benjamin Stora avant de citer un autre événement, celui du 9 mars 1956.
À quelques jours du vote, le 12 mars 1956, de la loi dite “des pouvoirs spéciaux” qui devait permettre au gouvernement français de consolider le dispositif de répression face au FLN-ALN, des milliers de travailleurs algériens nationalistes ont manifesté contre ce texte législatif.
“La répression sera très dure, la police ouvre le feu. On ignore encore de nos jours le nombre de victimes”, note M. Stora. “La mise à l’écart de la mémoire participe d’une entreprise de déni du réel, relativise la portée des évènements, la question de la colonisation dans toute sa tragédie”.
R. N. / APS
12 octobre 2010
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