Dimanche 26 :
Vu : A mon âge, je me cache encore pour fumer de l’auteure algérienne Rayhana. Coup de poing ! Cri du cœur. Y a pas mieux qu’un hammam pour laver le linge sale, et pas forcément en famille. La condition de la femme qui, en guise de changement s’aggrave, est «massée » au crible par une masseuse ne passant rien.
Nous sommes donc dans un hammam quelque part dans un pays miné par la violence. Tu ne sais pas trop où il se trouve, mais, même pas trop fortiche, tu as tout de même une petite idée. Va savoir pourquoi, elle te vient tout de go, cette petite idée ! Et si tu te disais que ça pourrait bien être l’Algérie, ce ne serait pas étonnant du tout ! Louisa, Aïcha, Latifa, Nadia, Fatima causent. L’ordinaire est d’attentats, de viols, d’enlèvements, de tortures. Comme toujours en pareil cas, les femmes sont les premières à raquer. Réduites au silence et à la soumission, partout, elles se lâchent in situ. On avait bien eu un avant-goût de cette atmosphère avec Halfaouine, le film du réalisateur tunisien Férid Boughedir. Mais à côté de cette pièce, c’est de la gnognotte ! Ici, le franc-parler parle si vrai qu’il en atteint des sommets. La montée de l’intégrisme, les femmes la sentent dans leur corps. Objet du désir, objet du délit. Fatima, la masseuse qui en a vu de toutes les couleurs, résume : «Toi, t’es une bâchée et toi une décapotable, bonnes à (..) toutes les deux.» Dans cette pièce enveloppée de buée diaphane, la dramaturge fait dialoguer cru ses personnages. Le spectre est large. Ça va de la jeune romantique qui attend et espère l’amour de sa vie à la vieille demi-bourgeoise traquant le dentier de son mari. On passe par l’enseignante stérile, la jeunette enceinte du saint esprit, la voilée intégrale, etc. Une typologie de femmes différentes réunies, voire unies par leur commune condition. C’est le message de Rayhana. Féministe ? Doublement coupable ! L’infantilisation de la femme n’a d’égale, sur l’autre versant, que son habileté à passer les lignes de défense. Rayhana a subi une agression au mois de janvier. Un type l’accoste, lui asperge le visage d’essence et lui jette une cigarette qui a la bonne idée de ne rien enflammer. Rayhana fracasse, avec cette pièce, le blockhaus contenant des années d’humiliations subies par les femmes. Mais ça continue. Respect !
Lundi 27 : Dans un entretien au Parisien, Éric Besson, ministre de l’Immigration et de… la carte (!) d’identité, fait revenir en catimini par la fenêtre le débat sur l’identité nationale chassé à coups de pied par la porte. Dans une mandature qui n’en manque pourtant pas, c’est l’un des plus beaux pschitt… Jamais désarmé, le petit soldat de la Sarkozye en guerre contre l’étranger parle de «bons Français» en opposition, bien sûr, aux «mauvais Français». Si on lui demandait de définir ce qu’est un «mauvais Français», jamais à court de munitions, à coup sûr, il trouverait quelque chose… Mais, à coup tout aussi sûr, jamais on n’entendra de la bouche de Besson que les mauvais Français sont ces friqués pleins aux as qui pompent l’oseille en France pour le dépenser en Suisse, afin de ne pas avoir à payer les impôts au profit du trésor de la mère-patrie!
Mardi 28 : Catherine Deneuve, naguère invitée d’honneur de Rafik Khalifa pour faire tapisserie à Bouteflika dans une finale de Coupe d’Algérie, continue son rôle d’invitée d’honneur professionnelle. Cette fois-ci, c’est pour le compte du festival du film islamique de Kazan. Pas mieux. Pas pire non plus. Question : l’a-t-on récompensée pour avoir allumé Carla Bruni lui reprochant sa lettre à Sakineh Mohammadi-Ashtiani ? Premier round : «Quand vous êtes une personnalité bien connue, il est nécessaire d’être prudent lorsque vous soutenez une cause.» Deuxième round : «Compte tenu de son vécu, qui n’est pas des plus modérés, elle aurait dû se taire.»
Mercredi 29 :
Une consœur : «Faut absolument parler de la mort d’Arthur Penn et de Tony Curtis !» Ils ont été riches et célèbres et ont vécu longtemps. Qu’ajouter à ça ? Rien… Ah oui, puisqu’on parle ciné, ceci : Costa-Gavras va tirer un film de la pièce de Rayhana. Ils s’y sont mis ensemble ! Super !
Jeudi 30 : Re-Besson. C’est dans la plus parfaite discrétion que le ministre de la carte d’identité nationale est allé défendre son projet de loi sur l’immigration. Ça n’est jamais que le sixième depuis 2002 ! Ce jeudi 30 septembre, l’assemblée nationale a voté à 75 voix contre 57 la déchéance de nationalité pour les Français naturalisés depuis moins de dix ans, condamnés pour meurtre d’agents dépositaires de l’autorité publique. La droite elle-même était divisée sur le projet. Eric Besson en est enfin venu à reconnaître que le but premier de cette loi est de gagner, en les dégommant au tir, les voix du Front national. C’est peut-être la première fois, dans la cacophonie de menteries du gouvernement français mis en demeure de survivre, qu’un ministre dit la vérité. Mais ça fait une belle jambe à qui ?
Vendredi 1 octobre :
Vu enfin : Hors la loi de Rachid Bouchareb. Beau spectacle qui réconcilie avec le militantisme et réhabilite l’idée de sacrifice patriotique. De ce point de vue, le personnage d’Abdelkader est fort. Et il réconcilie avec le cinéma aussi ! Outre l’interprétation admirable des principaux rôles mais aussi des autres (Chafia Boudraâ et Ahmed Benaïssa, sublimes dans les rôles du père et de la mère), le rythme du film en fait l’un de ces produits à la Hollywood pas désagréable. On ne comprend pas la polémique lancée par un député UMP, sauf à l’envisager sous l’angle d’une volonté de révisionnisme. Le peu que le film montre des massacres du 8 Mai 1945 est bien en deçà de l’horreur de la réalité. Par contre, le film n’élude pas l’ambiguïté du mouvement national, les affrontements fratricides FLN-MNA, l’usage de la contrainte et même du meurtre pratiqué par le FLN pour mobiliser l’immigration. Critique facile à décocher aujourd’hui. C’était autre chose à l’époque, pour sûr ! Une belle leçon de nuance, voire de rendu de complexité…
A. M.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/10/03/article.php?sid=106800&cid=8
3 octobre 2010
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