Une femme en terre d’Islam. Ou comment fabriquer une formidable histoire pour mener campagne contre le nucléaire iranien.
Le monde entier connait le talent exceptionnel de Bernard Henry-Lévy. Après avoir mobilisé le monde contre le totalitarisme, sauvé la Bosnie, éclairé le monde sur la situation en Algérie, et révélé le danger que représente le nucléaire pakistanais, le célèbre philosophe s’est lancé dans l’aventure la plus exaltante de sa vie : prouver au monde qu’au Moyen-Orient, Israël est l’agressé et les palestiniens, les agresseurs.
Pour cela, il n’hésite pas à prendre des risques inouïs. S’embarquer à bord de chars israéliens, aller sur la ligne de front, et décrire, à travers des bonnes feuilles que les plus grands journaux du monde s’arrachent, décrire le calvaire des Israéliens sous les roquettes du Hamas. Et prouver qu’un homme armé d’un tire-boulettes est sur le point d’un soldat à bord d’un char.
Tout ceci n’est cependant qu’un jeu d’enfant comparé à la nouvelle croisade de M. Levy, qui vient de découvrir la cause la plus excitante de sa carrière: défendre une femme menacée de lapidation, dans un pays barbare, dirigé par un inconscient. Et pourquoi cette femme, Sakina, sera-t-elle lapidée ? Parce qu’elle aurait commis le péché de chair. Elle a été condamnée à mort pour adultère. Quelle effroyable histoire !
Evidemment, M. Levy a embarqué dans son aventure un de ses amis les plus célèbres, le très humanitaire Bernard Kouchner, et même le très catholique François Fillon. Du coup, la fameuse Sakina, dont on ne connait même pas le visage- au pays des mollahs, les femmes sont forcément voilées-, la fameuse Sakina est donc devenue la « sœur » de tous les occidentaux, selon M. François Fillon. Ahmedinedjad n’a qu’à bien se tenir.
Pendant des mois, alors que la femme condamnée, détenue dans le couloir de la mort, attendait l’arrivée du bourreau, M. Levy multipliait les démarches auprès des stars de la pensée et de la politique. Il leur racontait ce que serait le calvaire d’une femme lapidée, comment, attachée à un poteau comme une chèvre –la femme ne vaut pas plus qu’une chèvre chez ces hommes là-, cette femme serait donc bombardée de pierres par des hommes excités ; il leur décrivait comment la chair tomberait en lambeaux, comment les beaux yeux de cette femme adultère seraient écrasés, car le symbole pour ces hommes frustrés, c’est de détruire la beauté, les intégristes haïssent tout ce qui est beau, ceci est bien connu. Bref, pendant que M. Levy menait sa campagne, personne n’a réussi à entendre ce que disaient les Iraniens. Et puis, que pouvaient-ils dire, ces hommes qui tuent à tour de bras et appliquent des sentences du Moyen-âge ? Méritent-ils d’ailleurs qu’on leur accorde la moindre attention ? Assurément pas.
Ce sont d’ailleurs des réseaux occidentaux, outrés par ce que racontent M. Levy et ses amis, qui ont fini par transmettre la version iranienne des faits. Et que raconte cette version ? D’abord, que Mme Sakina n’a pas été condamnée pour adultère, mais pour meurtre. Plus exactement, pour complicité de meurtre. Elle a drogué son mari, qui a été ensuite assassiné par son amant. Un tel crime vaut-il que la peine de mort soit prononcée, de surcroit contre une femme? Les très civilisés Américains viennent de faire exécuter une femme, pourtant reconnue comme déficiente mentale. Mais c’est une autre histoire. Une connerie ne peut pas en justifier une autre.
Deuxième élément fourni par les autorités iraniennes : en Iran, les condamnés à mort sont exécutés par pendaison. C’est la loi dans ce pays. Il n’a jamais été question de pratiquer la lapidation, disent les Iraniens. Si elle venait à être exécutée, Mme Sakineh Mohammadi Ashtiani serait donc pendue.
On est certes, dans l’horreur, mais cela valait le détour. La loi iranienne est-elle juste ? La justice iranienne est-elle indépendante ? La peine de mort est-elle défendable ? Chacun a son opinion. Mais dans cette affaire, la vraie question se trouve ailleurs. Elle concerne ces manipulateurs professionnels, habillés de l’uniforme d’intellectuels, qui réussissent à inventer une histoire incroyable, à l’imposer dans les débats, pour servir une campagne politique, cette fois-ci contre l’Iran et son potentiel nucléaire. Bien que connus, et leurs méfaits disséqués, ils continuent de sévir avec une incroyable audace et une impunité inégalée.
Et dire que ces hommes ont naguère sévi en Algérie !
30 septembre 2010
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