L’expérience algérienne en matière de politiques publiques et de pratiques de développement économique est aujourd’hui vieille de 40 ans. Il est vrai que c’est une période bien courte dans la vie d’une nation mais, en même temps, suffisamment longue pour pouvoir tirer des leçons, rectifier la trajectoire s’il le faut et reprendre la bataille du développement avec de nouvelles armes plus adaptées aux contextes national et mondial actuels et qui ne sont plus, bien évidemment, ceux des années 60 et 70.
L’Algérie, rappelons-nous, devait, dès les années 80, vaincre le chômage qui la frappait lourdement et atteindre à ce même horizon temporel le niveau de développement de l’Espagne de l’époque (excusez du peu). Force est de constater que, hélas, on est loin, très loin de ces objectifs que s’était fixés la stratégie adoptée en 1966. Notre intention n’est pas ici de discuter des raisons internes et externes, qui sont à l’origine de cet échec, bien qu’il faille un jour permettre au peuple algérien d’exercer ce droit d’inventaire. Notons simplement que la jeunesse algérienne d’aujourd’hui vit de grandes angoisses et d’intenses questionnements, les mêmes certainement que ceux vécus par la jeunesse des années 60 avec le bonheur de la victoire sur le colonialisme en moins et les ravages du terrorisme meurtrier en plus. Que faut-il, ou plutôt que ne faut-il plus faire aujourd’hui ? La réponse à cette question se trouve dans notre propre expérience et les enseignements qu’on doit en tirer, car «l’expérience est cumulative pour celui qui veut la comprendre». Nous avons retenu pour notre part quelques leçons qui mériteraient d’être débattues quoique le mot débat soit devenu chez nous un gros mot.
1e/ L’impasse de la gestion administrative centralisée de l’économie
Lorsqu’à la fin des années 80, la décision fut prise d’engager des réformes structurelles, le constat avait été fait de l’essoufflement du modèle de développement en œuvre jusque-là. Tant l’organisation de l’économie dans sa forme administrative, centralisée et tutélaire, que sa régulation par injonctions et obligations de faire et de ne pas faire, commençaient à devenir handicapantes même si, en début d’expérience, elles semblaient correspondre à l’état du pays et de son économie. Les limites du modèle centralement planifié de type soviétique étaient atteintes et la densification du tissu économique national d’une part, le processus en œuvre de mondialisation de l’économie, d’autre part exigeaient des réformes profondes dans la gestion de l’économie.
2e/ La microéconomie négligée
La hantise des planificateurs de ne pas atteindre, à tout prix, les équilibres macroéconomiques qu’ils s’étaient fixés et de ne pas pouvoir respecter les objectifs du plan, a relégué au second plan les préoccupations micro-économiques, a empêché de voir la nécessité d’un programme en faveur de l’entreprise et l’impératif d’aider au développement d’une culture d’entreprise. Dans les années 60 et 70, les concepts de gestion de l’entreprise, calcul économique, rentabilité, profit étaient secondaires, c’est le moins qu’on puisse dire. Il s’agissait là de concepts propres au capitalisme qu’on n’avait pas le droit de citer chez nous. Nous étions d’ailleurs, sur ce plan-là, au diapason des pratiques des économies planifiées d’Europe centrale et orientale. Mais qui aurait pu prévoir à l’époque du socialisme triomphant, que celui-ci allait tomber face au capitalisme ?
3e/ Le protectionnisme
La fermeture de l’économie, la démarche protectionniste se justifient en situation d’industries naissantes mais lorsqu’elles durent longtemps, elles développent des situations de non-contraintes pour les entreprises qui vont reléguer au second plan, les objectifs d’efficacité, de compétitivité, ignorant tout risque de perte de parts de marché intérieur et toute bataille de conquête de parts de marché d’exportation. En un mot, nos entreprises n’ont pas appris à travailler sans contraintes.
4e/ Le rôle assigné à l’Etat dans l’économie
L’Etat en Algérie dispose de ressources financières importantes. Il gère l’épargne dégagée par l’exploitation des hydrocarbures. Il a de ce fait l’obligation de «semer le pétrole», d’investir, d’équiper le pays. Mais notre expérience nous a appris aussi que l’on ne gère pas des entreprises, des «foyers de création de richesses» avec des fonctionnaires. De même, notre expérience nous a-telle appris que… L’Etat n’a pas à se substituer dans tous les secteurs aux entrepreneurs privés. Enfin, la solidarité budgétaire dont bénéficient les entreprises publiques a été contreproductive car elle les dispense de tout management sérieux, appliqué et rentable. L’État est un mauvais manager. Ce constat est sans appel. C’est à l’entreprise privée que revient la charge de créer des richesses, de prendre des risques, de gérer au mieux les fonds propres engagés dans l’entreprise pour une raison bien simple : l’entreprise privée sait mieux faire tout cela que l’entreprise publique. Ce constat explique toutes les réformes des pays d’Europe centrale et orientale tout comme il explique aussi les réformes économiques envisagées en 1988 dans notre pays.
5e/ La gestion des hydrocarbures
C’est probablement là le seul domaine où l’expérience des années 70 est à reconduire en y ajoutant la préoccupation des besoins internes à satisfaire en énergie, car la demande nationale de consommation énergétique est aujourd’hui à prendre sérieusement en compte tant son volume ne cesse d’augmenter au moment même où nous sommes en plein peack oil, en plein épuisement des réserves. Certes, nous avons encore besoin d’exporter gaz et pétrole car nos besoins financiers sont encore importants mais, dans le même temps, nous devons avoir constamment un œil sur nos propres besoins énergétiques. Les hydrocarbures constitueront encore pour longtemps une question cruciale, la question cruciale pour l’Algérie.
6e/ La question des investissements directs étrangers
Le choix fait dans les années 70 était de tourner le dos aux IDE vus principalement comme vecteur de drainage à l’extérieur des richesses nationales et des valeurs créées sur le territoire national. Le mot d’ordre de l’époque était celui de «compter sur ses propres forces» (Self-reliance). Aujourd’hui, nombre de pays «socialistes» des années 60 et 70 se disputent l’attrait des IDE sur leurs territoires respectifs. Il ne s’agit certainement pas là de reniements mais plutôt de réalisme économique. Ces IDE aident à intégrer l’économie nationale dans les chaînes de valeur internationale. Ils sont, lorsque les pays récipiendaires s’y préparent sérieusement, de bons vecteurs de diffusion des technologies, des savoirs faire, du management moderne. Et puis, l’économie est aujourd’hui mondiale. Pourrons-nous, aujourd’hui, revenir aux doctrines des années 70 et refuser les IDE, ou en tout cas les décourager ? Doit-on refaire, par nous-mêmes, l’histoire des technologies ? Celles-ci ne sont-elles que des marchandises qu’on peut acheter à loisir ? Peut-on mener la bataille de la compétitivité seuls contre tous ? Nous savons bien que les IDE ne sont pas un don du ciel qu’il faut vite accepter et s’en réjouir. Mais le principe du «winwin », du «gagnant-gagnant» est tout à fait jouable pour peu qu’on s’y prépare sérieusement.
7e / De la planification à la régulation
L’économie de marché et, chez nous, l’économie sociale de marché ne peut fonctionner efficacement et produire ses effets positifs sur la croissance que si l’Etat n’intervient pas directement, autoritairement dans les mécanismes de formation des prix, de concurrence entre les entreprises, d’allocation sectorielle des ressources. Bien évidemment, l’économie de marché a ses règles et l’Etat doit veiller à les faire respecter par l’ensemble des acteurs. L’Etat doit réguler cette économie en fixant les règles du jeu et en actionnant les leviers nécessaires au respect de ces règles. C’est dans ce domaine que l’Etat en Algérie a enregistré le plus grand retard car il continue à gérer ensemble, confusément, l’économique et le social, ce dernier l’emportant souvent sur le premier grâce, ou plutôt, à cause de la rente pétrolière. Il ne faut plus hésiter aujourd’hui à séparer les deux sphères et à accepter, une fois pour toutes, que chacune d’elles a eu sa propre logique de fonctionnement. De même, de quelle économie de marché parle-t-on quand l’économie souterraine, le secteur informel, est le lieu de réalisation de valeurs équivalentes à quelque 40% du PIB Ce secteur agit tel un virus destructeur sur l’économie officielle car c’est l’incarnation même de la concurrence déploya-le et donc le revirement même de l’économie de marché.
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/09/29/article.php?sid=106623&cid=8
29 septembre 2010
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