Youcef Zirem, ingénieur en hydrocarbures de formation, sorti de l’IAP de Boumerdès en 1987, il entame une brève carrière dans le secteur de l’industrie avant de devenir journaliste à la suite des évènements d’octobre 1988. Youcef Zirem a alors travaillé pour de nombreux journaux : Alger Républicain, La Nation, L’Opinion, Libre Algérie, El Haq, La Tribune, Le Quotidien d’Oran, Algérie News…
Il dirige également en 2003 la rédaction de l’hebdomadaire Le Kabyle de Paris. Installé à Paris,Youcef Zirem collabore dans des médias français. Il est l’auteur du roman, la Vie est Un Grand Mensonge. Cette fiction raconte l’histoire de l’Algérie depuis le début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Écrit sans aucune chronologie, ce roman est plein de dénonciations, de violences multiples et d’amours impossibles. Le parcours de deux couples sur près de vingt ans y est décrit. La Vie est un Grand Mensonge continue les quêtes de l’auteur entamées déjà par les Enfants du brouillard (recueil de poésies paru à Paris en 1995 aux éditions Saint Germain des Près). Youcef Zirem est l’auteur de nouvelles (L’âme de Sabrina, ed. Barzakh, Alger 2000) et d’un essai: La Guerre des Ombres, les non-dits d’une tragédie publié aux éditions GRIP-Complexe à Bruxelles en 2002. Cet essai passe en revue les travers du système algérien. En 2001 Youcef Zirem a également publié un autre recueil de poèmes en France, Autrefois la mer nous appartenait que les éditions El Ikhtilef ont repris à Alger. Ce recueil est également sorti sous le titre Je Garderai Ça dans ma Tête. Youcef Zirem a publié en décembre 2009, aux éditions Sefraber, un roman, le Chemin de l’Eternité qui raconte l’histoire douloureuse d’une femme violée par son propre père. Cette fiction revient sur de nombreux thèmes chers à l’auteur et continue ses quêtes humanistes. » Avec sa narratrice,Youcef Zirem a réussi à créer un personnage de femme qui lutte pour le salut de son corps autant que de son esprit à travers la culture, la poésie, l’amour, la générosité, le rêve et qui pourtant reste ancrée dans la réalité qui l’entoure, celle de ses frères en révolte, de son fils qui est en même temps son frère qu’elle protège et élève en dépit de tout, celle de son amant assassiné pour avoir défendu le droit d’un innocent », écrit l’universitaire Max Véga-Ritter, à propos de ce roman. Youcef Zirem à bien voulu se confier au Courrier d’Algérie…
Le Courrier d’Algérie : Au commencement, si vous voulez bien, pouvez-vous nous parler un peu plus de Youcef Zirem ?
Youcef Zirem : Ce n’est pas toujours facile de parler de soi-même mais je vais, quand même, essayer. J’écris maintenant depuis une vingtaine d’années ; je suis passionné par les mots, par l’imaginaire, par la poésie et la musique du monde et de la vie ; ma vie elle-même tourne principalement autour des livres, de ceux qui en écrivent, de ceux qui en lisent.
Je suis né sur les hauteurs de l’Akfadou, en Kabylie, dans la wilaya de Béjaïa ; j’ai fait l’école primaire dans les écoles de Tizamourine et de Taourirt avant de continuer le cycle moyen au Collège d’enseignement technique de Sidi Aich. Puis ce fut le lycée Mira, à Bouira où j’ai eu mon bac mathématiques. De là, je suis allé à l’IAP de Boumerdes où je suis devenu ingénieur d’état en pétrole. Durant tout mon cursus universitaire dans cette cité magique du «Rocher Noir», j’ai lu et écrit énormément. C’était les années 80, une belle période que les Algériens ne vont pas revivre avant longtemps. La littérature me reposait des études scientifiques et me relaxait, en quelque sorte. Après un passage professionnel dans le secteur industriel à Hassi Messaoud et Boumerdès, j’ai rejoint le milieu du journalisme à la suite de l’ouverture générée par les tragiques événements d’octobre 1988. J’ai ainsi fait plusieurs rédactions en Algérie et en France. Entretemps, j’ai publié des livres. Mais au fond de mon parcours, c’est ma mère qui m’a transmis l’héritage familiale de la poésie en nous racontant, à moi, mes frères et soeurs, les contes kabyles et elle savait les raconter avec une profonde poésie. Mon père a également contribué à mon amour des livres puisqu’il a mis à notre disposition une impressionnante bibliothèque dans une période où la principale préoccupation des familles était surtout d’un autre ordre.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire ?
On ne sait pas souvent pourquoi on écrit ; à un moment ou un autre de la vie, on sent le besoin oppressant de s’exprimer, on tente alors de se servir des mots pour ne pas sombrer, pour ne pas se perdre… Il y a aussi ce désir de témoigner, de dire, pour que les choses évoluent en positif, pour que la lumière et la liberté s’imposent autour de soi mais il ne faut pas se faire des illusions, l’écrivain n’a aucun pouvoir dans les sociétés d’aujourd’hui… Mais il y aura toujours des écrivains qui continueront à écrire et à souffrir… Ecrire c’est comme l’amour véritable, il n’aboutit pas sans grandes souffrances…
Alors, qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout ce qui se passe autour de moi m’inspire ; tout ce qui est humain me touche profondément ; il y a tellement d’histoires que j’ai vécues ou que j’ai vues autour de moi qui me poussent à écrire… J’ai toujours eu de la facilité à communiquer avec les autres et les autres s’ouvrent toujours facilement à moi-même quand ils ne me connaissent même pas ; je fais toujours l’effort de les écouter, de les comprendre…Chaque instant qui passe est une occasion pour d’infinies inspirations… En revanche, l’inspiration poétique est rare : elle vient comme ça et elle s’en va comme elle est venue ; elle s’enfuit de manière énigmatique ; l’existence humaine elle-même est une grande énigme : on naît, on meurt, on tente de laisser des traces sur terre mais tout ça nous dépasse ; l’existence humaine est presque insignifiante dans le grand vacarme de l’univers qui semble n’avoir jamais eu de début, tout comme il n’aura jamais de fin…
Votre premier roman est intitulé la Vie est un Grand Mensonge qu’évoque-t-il justement ?
La Vie est un Grand Mensonge raconte l’histoire de deux couples sur près de vingt ans ; en arrière plan, du vécu intime de ces deux couples, toute l’histoire récente de l’Algérie est rappelée; c’est aussi un texte qui restera un témoignage pour les générations futures qui essayeront de comprendre ce qui s’est passé dans ce pays magnifique qui n’arrive pas à trouver ses marques. L’histoire se passe dans une ville moyenne Sedrem mais les personnages de cette fiction bougent beaucoup : ils sont parfois à Oran, à Béjaïa, à Alger, en Kabylie… C’est Sabrina, l’héroïne de cette fiction qui dit, un jour, dans un restaurant d’Alger, à son amoureux Farid, que la vie est un grand mensonge. Sabrina n’arrête pourtant pas de se battre contre les aléas de la vie qui ne l’ont pas ménagée. Idéaliste et engagé, Farid ose défier tous les conformismes de la société mais il est bien seul dans un pays où les âmes ne résistent pas trop à la corruption. Et qu’en est-il de L’âme de Sabrina ? L’âme de Sabrina est un recueil de nouvelles paru à Alger au mois d’avril 2000 ; c’est l’un des tous premiers livres publiés par les éditions Barzakh. Ces histoires disent ces années de terrible violence que les Algériens ont vécues depuis que le pays avait basculé dans ce cycle infernal de violences multiples. Ces nouvelles ont eu un succès considérable ; les lecteurs se sont retrouvés dans ces histoires dont les personnages sont exactement comme eux. Les faits y sont racontés tels quels, sans aucun tabou, sans aucune occultation, pour une raison ou pour une autre. Dans l’une de ces nouvelles, Sabrina est dans une position d’attente, comme l’Algérie, et l’attente dure toujours…
Et La Guerre des Ombres, les non-dits d’une tragédie ?
La Guerre des Ombres est un essai, publié par le Grip-Complexe, en novembre 2002, qui revient sur tout ce qui s’est passé en Algérie de 1988 jusqu’à la fin 2001. Ce texte est aujourd’hui dans les plus grandes bibliothèques universitaires du monde : il est à Washington, à Montréal, à Paris, en Italie, en Suisse…Cet essai que de nombreux auteurs ont repris par la suite a captivé l’intérêt des chercheurs car il est basé sur les faits et les faits étant têtus ils suffissent pour cerner une certaine vérité loin de l’insulte ou du parti pris.
Autrefois la mer nous appartenait ?
C’est un recueil de poésie paru en France en 2001. Ce sont des textes pleins de révolte, d’amour, de nostalgies et d’espoir même si la situation est parfois insoutenable dans notre pays. Ces poèmes sont sortis ensuite à Alger, chez El Ikhtilef, sous un autre titre : Je Garderai Ça dans ma Tête. Ces poèmes sont, en quelque sorte, une suite à mon recueil paru à Paris, en novembre 1995, intitulé « les Enfants du brouillard », en hommage aux enfants d’octobre 1988. Et pour Le Chemin de l’Éternité ?
Le Chemin de l’éternité fait parler une femme qui a eu un destin terrible : elle a été violée par son père, émir islamiste ; elle accouche de son enfant qu’elle garde, va à l’université…Mais pour faire vivre sa famille, elle est obligée de devenir une prostituée de luxe ; d’une errance à l’autre, elle tente de survivre et de s’opposer à toutes les difficultés qui se dressent sur son chemin. Puis elle tombe amoureuse d’un diplomate français en poste à Alger mais son amoureux est vite muté ailleurs… Il y a aussi dans ce roman de nombreuses plongées historiques qui concernent la ville d’Alger et de Béjaïa…Cette fiction tente également de tracer des pistes pour plus d’humanisme dans un pays qui perd de plus en plus ses repères… Est-il aisé d’écrire et de publier des livres dans notre pays ? Ecrire et publier n’est pas chose aisée dans beaucoup de pays, y compris donc en Algérie mais la vie est une somme de handicaps à surmonter au jour le jour. Quand on aime vraiment l’écriture, on est parfois obligé de sacrifier certaines choses de sa vie personnelle pour s’exprimer même si on sait qu’en échange, on ne gagne pratiquement rien du tout…
En Algérie, la culture n’est pas encouragée, en dehors de la culture officielle… Il est urgent d’installer un Centre national du livre en Algérie, comme c’est le cas dans de nombreux pays. Mais le livre et les écrivains ne semblent pas être la préoccupation des autorités… Laissons un peu de côté Youcef Zirem le poète, l’écrivain… pouvez- vous nous parler un peu de Youcef Zirem le journaliste ?
J’ai toujours aimé le journalisme ; j’ai quitté volontairement le secteur industriel pour le journalisme et je ne le regrette pas malgré tous les problèmes que le journalisme génère…
J’ai fait une vingtaine de rédactions en Algérie ; j’y ai appris des tas de choses sur le fonctionnement de l’Algérie, sur la nature humaine… Je n’ai jamais aimé la course au scoop ; j’ai toujours essayé de respecter les gens dont je parle même si je ne partage pas leurs convictions… Un peu plus d’humanisme fait toujours du bien au journalisme… Quel regard portez-vous sur la pratique journalistique en Algérie ? Il y a tellement de choses à dire sur la pratique journalistique en Algérie… Ailleurs aussi, la pratique journalistique a ses limites…Les journalistes vivent les mêmes problèmes que les citoyens algériens : il faut plus de démocratie, plus de liberté, plus de justice sociale pour avoir des médias plus performants… Il faut impérativement ouvrir le champs audiovisuel au pluralisme…
Il faut supprimer l’obligation de l’agrément pour fonder de nouvelles publications… Revenons maintenant à ce que vous êtes en train d’écrire. Est-ce toujours la poésie ? Un roman ? Parlons un peu de vos projets…
J’écris toujours ; en ce moment, je termine un roman dont l’histoire se passe à Paris et qui va paraître l’année prochaine. J’ai aussi des textes inédits dont un recueil de poésie qui sort, en Algérie, à la fin de l’année et qui est intitulé « le Chant désordonné de l’oubli ». Ecrire est un acte presque inconscient ; même quand on n’écrit pas physiquement, il y a toujours des projets qui viennent à nous, qui décident de nous accompagner pour mieux amadouer les spirales du temps qui s’enfuit, pour mieux vivre toute cette nostalgie qui nous prend au fil des jours…
Entretien réalisé par Hafit Zaouche
27 septembre 2010
LITTERATURE