Edition du Lundi 12 Octobre 2009
L’Algérie profonde
NOIR ET BLANC
Par : MUSTAPHA MOHAMMEDI
Nous sommes en 1967 et c’est le printemps. Oran s’éveille d’une longue hibernation et bourgeonne de toutes les couleurs de ses belles filles.
Il fait bon vivre en cette saison et l’air chargé d’iode a la légèreté de l’ouate et les cheveux au vent.
Il fait frais dans les ruelles de ce mois d’avril et quelques balcons sont déjà fleuris. La terrasse du « grand café riche » au centre-ville est bondé de mignons et de zazous. C’est le relais de la jet, oisive, désœuvrée à l’origine de tous les cancans.Les garçons ne savent plus où donner de la tête. Un homme à l’écart sirote un interminable café crème l’œil rivé sur cette foule qui lui donne le tournis. C’est un étranger. Lisse, net, sobre sans signe extérieur d’origine. Sa tête nous rappelait quelqu’un, mais qui ? Nous repassons à son niveau mon jeune confrère et moi pour le dévisager, mine de rien.
Pas de doute, sa tête ne nous était pas inconnue. Nous répétons l’opération lentement pour ne pas nous faire remarquer.
Aucune ambiguïté cette fois.
C’était bien William Holden en chair et en os.
On n’en revenait pas. Sans plus attendre, nous abordons gentiment l’inconnu et essayons d’engager une discussion avec lui.
Notre anglais est hésitant, primaire, haché, pitoyable.
Devant notre excitation, l’homme sourit de toutes ses dents et joue quand même le jeu.
Oui, nous avouera-t-il, il est William Holden.
Nous étions sur un gros nuage. Nous venions de mettre la main sur le plus gros poisson jamais pêché par un journal…
un monstre sacré d’Hollywood et l’acteur le plus cher du monde.
Mais que diable faisait-il là ?
Oran n’a jamais été un temple du cinéma et à notre connaissance aucun cycle William Holden n’était programmé à la cinémathèque. Qu’y avait-il ici qu’il n’ait pu trouver à Beverley Hills, à Boston ou a Chicago ?
Nous ne comprenions rien à rien. La vérité était beaucoup plus simple.
Pour prendre du recul avec les studios de la Paramount et fuir ses démêles avec sa femme et ses conquêtes, la star avait décidé cette année-là de quitter les États- Unis pour un long safari au Kenya.
Histoire de se ressourcer, d’autant que sa propension à l’alcool avait atteint un seuil critique qui pouvait nuire à sa carrière.
Pour des raisons techniques, son jet a été obligé d’atterrir sur le tarmac de la Sénia.
Et c’est ainsi qu’il a été obligé de passer la nuit à Oran, une ville dont il n’a jamais entendu parler, vingt-quatre heures auparavant.
M. M.
27 septembre 2010
M. MOHAMMEDI