Edition du Samedi 27 Juin 2009
L’Algérie profonde
Vous est-il arrivé de vous rendre un jour au chevet d’un malade ? Sûrement. Ce n’est jamais de gaieté de cœur que l’on fait ce genre de démarche, d’abord parce qu’on est toujours mal à l’aise dans un hôpital et ensuite parce que le patient doit faire, le malheureux, l’effort de parler quand il a la chance d’identifier toutes les silhouettes qui tournent autour de son lit.
La scène que nous allons vous conter, au-delà de son caractère cocasse, est révélatrice d’un mal très profond. Le comportement infantile des familles, si infantile qu’on croirait vivre un sketch de “khalti Messouda”. Urgences de M., une ville du Dahra. Nous sommes vendredi et c’est jour de visite. Deux femmes sont alitées dans une même pièce, mais pour des pathologies différentes. Il est 13 heures et les premiers “zouar” arrivent sur la pointe des pieds, intimidés par l’austérité des lieux. Les uns chuchotent, les autres murmurent pour ne pas réveiller les malades, puis les vois enflent, montent et c’est bientôt Souk El Fellah. Il y a là la belle-mère et son caractère de chien, la fille du voisin, la nièce et ses petits monstres, la mémé et son arthrose et le grand-père et ses éternelles béquilles. Et encore, vous n’avez pas tout vu.
La moitié du douar qui débarque fait des bousboussades à l’autre moitié qui repart. Dans la chambre, les voix s’animent, la malade est prise d’assaut. Mais dès que le “harradj” dépasse les bornes, l’infirmière montre le bout du nez et les clameurs se taisent aussitôt.
Pas pour longtemps. Alors que l’une des femmes est sous perfusion, une proche lui tend ingénument un plat de couscous si garni qu’il pourrait nourrir une caserne de pompiers. Après avoir ingurgité avec délice quelques cuillerées de sauce et de gras, la quinquagénaire tourne brusquement de l’œil. On appelle en catastrophe la première blouse blanche de permanence qui lui purge le ventre non sans mettre en garde tout le monde contre de telles pratiques. À peine a-t-elle le dos tourné qu’une autre visiteuse remet une couche. Cette fois c’est du poulet soigneusement dissimulé dans son cabas qu’elle propose à l’appétit gourmand de sa parente. Syncope. Purge. Et on remet le compteur à zéro.
27 septembre 2010
M. MOHAMMEDI