Edition du Lundi 09 Novembre 2009
L’Algérie profonde
NOIR ET BLANC
Par : MUSTAPHA MOHAMMEDI
C’était l’époque glamour des bonbonnes de caramel et des balances Roberval, et les poids d’un kilo marquaient exactement un kilo comme leur petit frère siamois déposé à l’observatoire de Sèvres.
Sur ce plan, personne ne pouvait trafiquer ces mesures au village. Elles étaient systématiquement contrôlées.
Par contre, c’était lorsque les services de la fraude débarquaient sans crier gare que le hameau suait du burnous et que les marchands se mêlaient les pinceaux et les cageots dans une incroyable précipitation. Quelques-uns baissaient discrètement leurs rideaux, d’autres se portaient malades et la plupart claquaient des dents.
Et pour cause, ces messieurs de la grande ville passaient toute leur comptabilité à la loupe, les factures, les patentes et leur mise à jour avec les impôts.
Mais cela n’était rien par rapport au jour sombre de la conscription. Tout le monde en tremblait.
Ce jour-là, en effet, tous les indigènes âgés de 18 ans révolus étaient convoqués au siège de la commune mixte pour passer le conseil de révision, c’est-à-dire l’examen médical qui décidait si tel ou tel appelé était bon ou non pour servir sous les drapeaux.
En général, aucun d’eux n’était reformé, c’était de la chair à canon idéale en cas de conflit et donc particulièrement appréciée par l’état-major.
À l’aube déjà, avant l’ouverture des bureaux, des dizaines de paysans, à peine sortis de l’adolescence, accompagnés de leur parent et visiblement intimidés, se regroupaient sur le terre-plein face au siège de la mairie en attendant que le chaouch appelle leur nom.
Cela pouvait durer toute la matinée.
Et lorsque le grand portail en fer forgé de la commune s’ouvrait pour libérer les nouvelles recrues, c’est tout le village qui se refermait comme une coquille saint-Jacques. Par peur. Par prudence. Par sécurité.Il était dans la tradition de l’administration coloniale de passer sur tous les dégâts que pouvaient causer ces bleus en perm’ exceptionnelle.
Ils pouvaient casser, insulter, agresser refuser de payer ou même tenter de violer une jeune fille, la maréchaussée, qui avait reçu des ordres,
laissait faire et ne bougeait pas le petit doigt.
Quels que soient les délits que pouvaient commettre ces têtes brûlées qui profitaient de l’aubaine, ils étaient de facto dépénalisés… Et puis, tant que cela se passait entre indigènes, la chose ne gênait personne.
… Jusqu’au jour où un groupe de jeunes écervelés s’attaqua à une pied-noir qui passait son chemin… Le traitement ne fut plus pareil et l’administration sévira et ouvrira désormais grandes ses “mirettes”.
M. M.
27 septembre 2010
M. MOHAMMEDI