Edition du Dimanche 28 Juin 2009
Avant de céder la place aux trois conférenciers devant animer la 8e rencontre thématique portant sur « La jeunesse africaine, destinataire, sujet et objet de la littérature africaine », Gabriel Mwèné Okoundji a déclamé quelques-uns de ses poèmes et d’autres de poètes algériens.
Le poète congolais Gabriel Mwèné Okoundji a entraîné l’assistance relativement nombreuse dans un monde à la fois féerique et merveilleux à travers ses propres poésies et d’autres de poètes algériens. Gabriel Mwèné Okoundji a déclaré avant ses lectures qu’il était venu pour lire ses textes, mais quand il a découvert « Alger la Blanche », il n’a pu s’empêcher de ressusciter le verbe de ses poètes ; et pour ce faire, il a fait appel à Naïma Mehaïlia, une conteuse et également poétesse. Celle-ci a repris en chanson — pour le plus grand plaisir de nos oreilles — le sublime poème Hyziya, de Mohamed Ben Guitoune. L’assistance a également eu droit à des lectures d’un extrait du recueil Cendres, de Jean Amrouche, un autre d’Ombre-Gardienne, de Mohamed Dib, et même à un texte consacré à Jean Sénac, écrit par le poète Rabah Belamri dans son recueil le Galet et l’hirondelle. Gabriel Mwèné Okoundji a également lu quelques-uns de ses extraits, puis s’est retiré, laissant ainsi la place à l’universitaire algérienne Djoher Amhis, l’auteur camerounais Eugène Ebodé, ainsi que la poétesse et auteure pour jeunesse sénégalaise, Nafissatou Dia Diouf. Les trois conférenciers, qui ont animé cette rencontre sans modérateur, ont évoqué la fonction et l’utilité de la littérature jeunesse, tout en amorçant certaines problématiques qui gravitent autour de cette littérature-là. Eugène Ebodé, qui a — dans une autre vie — été footballeur a déclaré concernant la littérature en destination de la jeunesse : « Tout jeu à ses règles, et je me suis rendu très vite compte que le monde des adultes était éminemment critiquable. Les adultes déjouent les règles. Dans la vie, on acclame toujours les vainqueurs, et je pense qu’il serait très bien si les adultes grandissaient et acclamaient les vaincus. » De son côté, Nafissatou Dia Diouf a expliqué : « Tout adulte doit garder une part d’innocence et un esprit d’enfant. C’est ce qui permet de traverser la vie. Je considère que la littérature jeunesse apporte le rêve aux enfants et même aux adultes qui n’auraient d’ailleurs jamais dû perdre leur innocence. »
L’universitaire Djoher Amhis a, pour sa part, considéré : « Raconter des contes aux enfants structure l’imagination. Ça apporte une part de rêve et de créativité. Ce festival nous a permis de prendre conscience du manque de valeurs et de la crise identitaire. L’Afrique a été déstabilisée et il y a un chaînon manquant : c’est la mort des ancêtres car on n’a pas fait la transmission. » Mme Amhis a également insisté sur le fait que l’Algérie est un des rares (si ce n’est, le seul) pays au monde, où l’on apprend une langue qu’on ne parle pas : l’arabe classique.
Mais le plus dramatique dans tout cela, c’est qu’on apprend aux enfants, en plus d’une langue de laboratoire, une littérature falsifiée, puisque plusieurs éditeurs publient des classiques de la littérature universelle simplifiés (et/ou) modifiés. À cela, Nafissatou Dia Diouf a révélé que dans son pays, le Sénégal, « les langues vernaculaires sont orales et cela n’est pas un problème. Par contre, le patrimoine se transmet mal et il y a une rupture entre les générations ».
Eugène Ebodé a dévoilé que dans son pays, il y avait environs 200 langues et que dans un rayon de 10 km, il y a un risque de ne pas être compris. « Il faut dire qu’on vient de loin et qu’un travail important reste encore à faire, notamment de codification et de validation. Je pense aussi que les écrivains que nous sommes (et les éditeurs) ne sommes pas suffisamment valorisés. Nous sommes presque oubliés avant même d’avoir existé », estime-t-il. Évoquant l’expérience algérienne, Djoher Amhis, qui a soutenu l’idée que nous sommes un pays qui a été fragilisé, pense qu’un réel problème de communication est en train de prendre de l’ampleur, puisque les générations sont entrées en conflit et n’arrivent plus à s’entendre. Or, la diversité est une richesse, alors pourquoi tant d’incompréhensions entre les générations ? Témoin, Djoher Amhis a déclaré : « Après l’indépendance, je me sentais comme un corps flottant. Ce qui m’a permis de faire la transition, c’est le Panaf de 1969. Puis, j’avais assisté, en 1979, à un colloque sur l’oralité et je me suis retrouvée dans cette africanité. » La 2e édition du Festival culturel panafricain pourrait donc résoudre le conflit générationnel que vit actuellement l’Algérie et un grand nombre de pays d’Afrique. Par ailleurs, pour ce qui est de la littérature jeunesse, ce genre qui a ses règles et sa genèse n’est pas assez, voire pas du tout, valorisé, notamment en Algérie. De plus, les publications parascolaires ne sont pas incluses dans la littérature jeunesse. L’Algérie… l’Afrique manquent fatalement d’ouvrages qui valorisent le patrimoine et qui favorisent la transmission. En revanche, la question qui demeure en suspens et à laquelle les trois intervenants n’ont pu répondre est : comment regagner la confiance du jeune public en conflit avec ses aînés et qui ne lit presque plus ?
27 septembre 2010
LITTERATURE