Le plus grand penseur algérien depuis Ibn Khaldoun Depuis Ibn Khaldoun, l’Algérie n’a pas enfanté un penseur aussi important que Mohamed Arkoun. Le premier sera harcelé par les princes de l’époque, qu’il a pourtant servis, le deuxième traité de tous les noms d’oiseaux et menacé même dans sa vie par ses pairs orientaux et algériens qui officiaient à grand budget d’Etat dans les séminaires de la pensée (qui ne pouvait qu’être islamique) sous Chadli, dans les années 80.
L’idée de ces séminaires venait de Malek Bennabi et aurait pu servir à repenser l’islam avec et pour les musulmans, si Taleb Ibrahimi n’en avait pas fait une caisse de résonance pour El Azhar et ses dissidents intégristes qui venaient se réfugier en Algérie. Arkoun était très fier de participer à ces séminaires parce que cela lui valait une reconnaissance de fait, alors que ses travaux n’en étaient qu’à leurs débuts et que son «islamologie appliquée» n’avait pas encore pris forme. Et parce qu’il pensait que c’était là le lieu d’excellence où il pouvait déployer son ambition, qui est celle de tous les musulmans, Bennabi comprit : débarrasser l’islam de la littérature rigoriste qui le polluait. Déconstruire l’islam, le débarrasser des interprétations qui le caricaturaient, restituer au corpus coranique sa pureté originelle. Au lieu de cela, il fut traité de non musulman, condamné, excommunié par la bureaucratie algérienne à la solde des maîtres égyptiens, Ghazali en tête. Simplement parce qu’il a défendu le droit de lire Salman Rushdie dont il condamnait sans hésitation par ailleurs les propos injurieux sur le Prophète. Lire pour pouvoir répondre, clamait-il. Il connaîtra l’exil… Nul n’est prophète dans son pays, dit-on. L’œuvre de Arkoun est immense et très peu de gens la connaissent, même si aujourd’hui tout le monde en parle. Elle est tour à tour philosophique, exégétique, sociologique et historienne. Considéré par de nombreuses universités du monde comme le penseur de référence sur l’islam, il se qualifiait lui-même de «musulman athée». L’actualité politique de l’Algérie, dans les années 90, ne l’interpella pas sérieusement car il considérait que la religion était absente des enjeux qui opposaient deux idéologies «dégradées» et similaires : nationalisme et islamisme. Mais il craignait pour sa vie, a-t-il confié à l’occasion d’une demande d’entretien. Plus importante semblait pour lui l’amertume d’un intellectuel hollandais, Ron Haleber, qui lui avait consacré un ouvrage où il dénigrait sa pensée sous prétexte de la déconstruire. L’Harmattan avait refusé de publier cet ouvrage par solidarité avec l’auteur, et l’éditeur marocain de Haleber a offert un espace de réponse (sous forme de préface) à Arkoun pour finalement suivre l’exemple de l’Harmattan. Le Maroc a ressuscité la pensée islamique qui avait lieu en Algérie mais sous une autre forme : la parole appartient aux intellectuels les plus innovants et non à des cheikhs qui ne sont que la caricature de l’esprit. Arkoun se plaignait de ne pas trouver d’espace de parole en terre musulmane – il maîtrisait à la perfection la langue arabe – lui qui était invité et honoré dans le monde entier. Il le trouva dans une certaine mesure au Maroc où il est enterré. Un Algérien pas comme les autres nous a quittés. Par Aïssa Khelladi
25 septembre 2010
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