Edition du Jeudi 23 Février 2006
Culture
Il est certainement à l’image de beaucoup de chefs de famille dans notre pays : fins de mois difficiles et impossibilité de répondre aux attentes des enfants qui grandissent trop vite. Ce père de cinq enfants, quatre filles et un garçon, se trouve de plus en plus vieux quand il se rase devant sa glace.
Heureusement que les filles, studieuses et bonnes élèves, lui redonnent parfois le sourire. Par contre, son garçon de 19 ans le préoccupe beaucoup : il a raté son bac, il ne va plus au lycée, il refuse tout centre de formation, il ne s’intéresse même plus au foot alors qu’il promettait beaucoup et, le comble, il dort jusqu’à midi. Leurs relations ont presque disparu, les échanges sont devenus rares et ils ne communiquent plus que par le regard lorsqu’il leur arrive de se croiser à la maison. Comme le jeune homme aime sortir le soir, le père décide, pour le protéger, de lui imposer une règle implacable : rentrer tous les jours à 20 heures au plus tard, surtout qu’il a appris par la presse qu’une descente de police à Alger a donné lieu, en une seule nuit, à l’arrestation de 1 600 “jeunes délinquants”. Notre ami ne veut absolument pas se retrouver, à l’aube, devant un commissariat de la ville à quémander des nouvelles de son fils. La mère, qui vit les angoisses de l’un et de l’autre et qui comprend mieux son enfant, “couvre” parfois ce dernier en invoquant des missions imaginaires afin de lui permettre de rejoindre ses amis pour une soirée au cinéma, une partie de billard ou une sortie en boîte, lorsqu’elle peut lui refiler 1 000 DA. Le père, par son comportement de plus en plus sévère, pousse le fils au mensonge. Ainsi, lorsque celui-ci arrive avec une paire de baskets de marque et qu’il s’inquiète de sa provenance, le gosse lui dit : “Je l’ai payée à peine 500 DA. C’est une affaire que j’ai faite au marché où j’ai déchargé une camionnette d’oranges.” Ces balivernes, il les répète à plusieurs reprises, soit pour un blouson en cuir, soit pour un Levis 501, etc. En réalité, le gosse avait d’autres occupations : il courait les bureaux des daïras ou les locaux des ambassades. Un beau soir, il rentre plus tôt avec le sourire aux lèvres et, à la main, un sac de pommes, fruits préférés de ses sœurs. Il s’assoit à table le premier pour le dîner, ce qui ne lui était pas arrivé depuis fort longtemps. En plein milieu du repas, il demande le silence et, regardant son père dans les yeux, il exhibe des papiers et dit avec fierté : “Enfin, j’ai tout réglé! J’ai le passeport, la carte militaire, le visa, le billet d’avion et… demain, je pars pour le Canada.” Après un silence terrible, les membres de la famille étant sous le coup de la stupeur, le père se ressaisit et prend la parole à son tour : “Ecoute fiston, je suis content pour toi, je savais que tu étais capable. Tu peux faire ce que tu veux, aller où tu veux, mais la règle, c’est la règle : demain, j’exige que tu sois à la maison à 20 heures au plus tard !”
22 septembre 2010
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