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KIOSQUE ARABE Mohamed Arkoun, le proscrit

20 septembre 2010

Contributions


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Mohamed Arkoun a fait un dernier pied-de-nez à l’Algérie officielle, celle qui vous prive d’un rameau de votre vivant, et qui vous enterre sous un olivier à votre mort. Il a choisi pour sa sépulture la terre marocaine, au grand dam de nos fossoyeurs attitrés qui apprêtaient déjà leurs mines sombres.


«Nul n’est prophète en son pays» : le «Passeur» des trois religions monothéistes, comme on l’appelait, ne pouvait ignorer cet adage qu’il avait expérimenté à son détriment. Certes, il n’était pas persécuté, ni condamné, dans son pays natal, mais il y a des indifférences qui tuent. Arkoun était, plus qu’aucun autre, en droit de se sentir ostracisé dans sa propre patrie. D’autant plus que, dans son cas, il sentait le poids de l’hostilité ouverte des gouvernants, conjurée avec le silence frileux des intellectuels. Au fil des ans, le penseur, reconnu dans tous les pays où l’intelligence est respectée quand elle n’est pas adulée, s’était détaché de son pays natal. Petit à petit, il avait vu l’influence des idées de modernité décroître devant le pseudo éveil de l’Islam, sous la bannière du wahhabisme. Comme d’autres intellectuels arabes(1), engagés en faveur d’un Islam des lumières, il ne croyait pas à cette «Sahwa», exclusivement tournée vers la piété ostentatoire et génératrice de violence. Le prétendu éveil de l’Islam n’est en fait que le soubresaut d’un dormeur qui change de côté, pour rechercher un sommeil encore plus profond. N’étant pas homme à prêcher dans le désert, Arkoun avait opté pour les amphis et pour les salles de conférences. Écrivant et publiant en français, il était pourtant reconnu comme une sommité intellectuelle algérienne dans tous les pays arabes, sauf en Algérie. Ses concitoyens, obnibulés par la récente révélation de leur foi retrouvée, assimilaient Mohamed Arkoun à un orientaliste, lui le pourfendeur impitoyable de l’orientalisme. Il faut dire qu’il n’était pas de la tribu, ou avait refusé d’en être, dans un pays où le tribalisme, empreint de tartufferie religieuse, annihile toute ambition de liberté. Décrié au pays de ses ancêtres, c’est paradoxalement dans ce Moyen-Orient, pourvoyeur d’idées fondamentalistes, que le défunt a rencontré le plus de consciences attentives et suscité le plus d’échos favorables. Dans un pays où l’État s’est mis à genoux devant des obscurantistes, comme Ghazali ou Karadhaoui, il était naturel que Mohamed Arkoun soit un proscrit. C’est donc un fait normal que l’ambassadeur d’Algérie n’ait pas daigné assister à la levée du corps du défunt, jeudi dernier à Paris. Sans doute pensait-il que la présence de l’ambassadeur du Qatar et celle d’autres diplomates arabes suffisaient en de telles circonstances. Vous avez dit boycott ? Oui, quand il s’agit de l’Algérie, la présence officielle, ou l’absence aux enterrements sont tributaires de l’image que l’on a de vous en haut lieu. Partant de là, on peut imaginer, à la décharge de Son Excellence, qu’un ambassadeur puisse agir, au nom de cette vision, en se conformant aux instructions de son gouvernement. La discipline, c’est la force des armées, mais elle fait aussi la carrière des diplomates. Que dire alors de l’imprévisible absence du recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubaker ? Est-il tenu lui aussi de solliciter des instructions ou d’obtempérer à des injonctions, pour aller se recueillir sur la dépouille d’un grand musulman ? Apporter le réconfort de la religion, en de semblables circonstances, n’est-il pas une obligation pour un recteur(2), en quête de rachat auprès de la communauté algérienne en France ? Ou bien a-t-il estimé, à tort bien sûr, qu’il n’avait pas à faire acte de présence, même passive, à la cérémonie d’hommage à l’illustre disparu ? Encore un faux pas que M. Dalil Boubaker aura beaucoup de mal à faire oublier. Côté médias, c’est encore dans les pays du «Machrek» que Mohamed Arkoun aura suscité le plus de témoignages d’admiration et de reconnaissance. En Algérie, les journaux arabophones n’ont pas donné l’air de se sentir concernés. Ce n’est sans doute pas dans cette presse qu’il faudra chercher des «orphelins d’Arkoun», trop occupée qu’elle est à caresser dans le sens des barbes. Seule exception notable, le quotidien Al-Fadjr(3) qui a rendu un vibrant hommage au penseur décédé, avec divers hommages de plumes arabophones. En plus de la chronique de notre consœur Adda Hazem, on y trouve les contributions d’intellectuels algériens qui se sont donné la peine de lire Arkoun, contrairement à ses détracteurs. C’est le rôle de ces contempteurs que Adel Sayyad évoque à travers un épisode étonnant des mémoires de Karadhaoui(4). Ce passage des mémoires de Karadhaoui que nous avons déjà évoqué ici raconte comment il a jeté l’anathème sur Mohamed Arkoun, qu’il traite d’apostat parce qu’il ne croit pas à la «Sahwa». Notre confrère rappelle judicieusement que pour Kardhaoui, «l’éveil» de l’Islam s’incarnait dans le voile que portait cette étudiante qu’il épousera par la suite. Ah l’éveil des sens, quand il s’empare de vieillards sénescents ! Cependant, il suffit de lire les commentaires répliquant à l’article de Adel Sayyad pour comprendre qu’il livre un combat perdu d’avance. Il y a si longtemps que nos concitoyens et coreligionnaires n’ont pas eu de prophètes qu’ils sont prêts à accepter toutes les impostures. Or, si Karadhaoui n’est pas un prophète, il en est l’héritier, comme le décrète la «bible» des fondamentalistes. «Qui ne pense pas comme nous n’est pas des nôtres», proclament les tenants d’un Islam s’éclairant à la chandelle. C’est au nom de cette logique de l’exclusion que Mohamed Arkoun a été traité par ses concitoyens aveugles comme un renégat. Un jour, peut-être, une autre génération surgie du néant actuel rendra justice au penseur, mais quel jugement portera-t-elle sur les intellectuels algériens de sa génération? Ceux qui ont suivi son corbillard bien avant ses obsèques officielles, célébrées en France et au Maroc. A. H.
1) L’année 2010 a été une hécatombe pour les intellectuels arabes, connus pour leur apport à un Islam ouvert et tolérant. Après Mohamed Abed Aljabri, décédé en mai dernier, nous avons eu à déplorer la disparition de l’Égyptien Nasr Abou Zeid et du Koweïtien Ahmed Al- Baghdadi.
2) Je crois savoir que même si Dalil Boubaker n’est pas un théologien confirmé, il possède néanmoins quelques aptitudes pour exercer en tant qu’imam. En tout cas, il a encore perdu une occasion de marquer des points contre les Marocains de l’UOIF, qui étaient eux bien présents à l’hommage funèbre.
3) Au passage, j’ai apprécié le billet mordant de Saâd Bouokba sur la mésaventure de certains quotidiens arabophones qui annonçaient des tirages mirifiques, pour ébahir le lectorat. Loin d’être subjugué, le fisc leur a réclamé le montant d’impôts correspondant à leurs tirages annoncés. Si l’histoire est vraie, les services fiscaux algériens méritent une médaille, pour tardifs, mais éminents services rendus au pays et à la presse.
4) Publiées en bonnes feuilles par le quotidien Al- Khabar, qui rivalise parfois avec d’autres titres arabophones en matière de zèle religieux. Sans compter qu’un nom comme Karadhaoui fait vendre, un Karadhaoui illustration saisissante de l’adage selon lequel le borgne est roi au pays des aveugles.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/09/20/article.php?sid=106149&cid=8

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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