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Les retrouvailles d’un drapeau par Baghli Abdelouahab *

17 septembre 2010

Contributions

Je suis née le 28 juillet 1934 à Tlemcen. On habitait à Sidi Chaker, quartier qui, sans être populaire, était davantage habité par les Arabes. Il est situé sur les hauteurs de la cité, au pied de la falaise qui surplombe la ville, le plateau de Lalla Setti.



C’est déjà la périphérie, une ouverture béante par laquelle on gagne les forêts et les monts avoisinants, c’est-à-dire, en cette période de rébellion, le maquis. Il est limitrophe également de Boudghène, quartier arabe, populaire, haut lieu de la Révolution.

Ces facteurs de risques ont amené les autorités françaises à verrouiller le secteur. Pour cela, la Maison des jeunes, qui se trouvait non loin de notre demeure, a été occupée par les militaires pour être transformée en poste de surveillance.

Notre maison servait depuis 1957 de relais militaire pour les moudjahidine, particulièrement les responsables en déplacement dont Benyellès, Si El-Yazid, Fethi Major, Salah (reçu blessé, actuel propriétaire du café de la place d’Alger à Tlemcen), Djilali Guerroudj (condamné à mort), Inal, le professeur d’histoire (chahid tué à Ouled Mimoun lors d’une embuscade) et bien d’autres de passage qui n’ont jamais révélé leur identité.

L’ambiance familiale scandait avec la frénésie du nationalisme. Toute la famille, mon père, ma mère, mes frères Sid Ahmed l’aîné, Mohamed, Driss, Khaled, Mustapha, leurs épouses dont Fatiha et Houria (soeur de Djilali Guerroudj), mes soeurs Rabia et Latéfa, et beaucoup d’autres parentes venaient pour «travailler» pour arracher l’indépendance. Tandis que les hommes s’affairaient dehors, les femmes s’occupaient de l’intérieur, la cuisine, la lessive…

Mon père et mon frère Mohamed étaient officiellement engagés : le premier avait des relations avec les maquisards, le second était responsable de Sidi Chaker ; il rejoindra le maquis peu de temps après. Ma soeur Latéfa, la plus jeune, en plus des travaux ménagers, assurait avec mon jeune frère Mustapha le gardiennage de la zone pour surveiller les déplacements des patrouilles militaires. J’ai deviné par intuition les engagements de mon père et de mon frère. Les consignes du «nidam» étaient strictes, personne n’avait le droit d’afficher son militantisme. Les voisins connaissaient notre demeure pour être un repère clandestin. Il était aisé pour n’importe quel militant de se rapprocher de notre foyer sans être inquiété, et aussi facile d’être dénoncé par n’importe qui.

J’avais 22 ans lorsque j’ai été contactée par une soeur, Fadéla Benamar, pour me proposer de m’engager, ce que j’ai considéré comme naturel. J’ai aussitôt acquiescé, mais j’ai tenu à mettre au courant mon père, pour avoir certes sa permission et sa bénédiction mais aussi pour lui faire savoir que je suis digne de lui. Son accord a été spontané. Cette négociation a été engagée lors d’une date historique qui correspond à l’arrestation de Benbella et de ses compagnons, ce qui a galvanisé davantage mes sentiments nationaux.

A l’intérieur de notre maison, il est clair qu’aucun de nous ne faisait part de ses activités à l’autre. Chacun s’employait de son côté dans le secret le plus strict. Dans cette cellule, je me trouvais avec les s� »urs :

- Benamar Fadéla, la responsable, soeur de Larbi (Hocine, le frère de ce dernier, sera tué à la place du père par la Main Rouge en représailles de la fuite de son fils Larbi vers le maquis),

- Baba Ahmed Nouria,

- Benachour Fatiha,

- Maliha Hamidou, qui décédera sous la torture (le lycée de jeunes filles de Tlemcen porte son nom).

Nos missions étaient de type civil :

* Notre emplacement territorial me permettait d’avoir des contacts («ittissal») avec les djounoud. Les messages étaient rédigés par la soeur Maliha Hamidou en français ou par ma soeur Rabia en arabe. Je devais remettre ces informations écrites à un responsable, Si El-Yazid, au niveau d’une baraque située à El-Djlissa, où d’autres djounoud l’accompagnaient. A son tour, il me donnait parfois des messages que je devais remettre à Maliha Hamidou et à Benamar Fadéla.

* je devais également collecter des fonds au niveau de notre quartier jusqu’au Hammam Boudjakdji. Les autres militantes s’occupaient chacune de son quartier. Beaucoup de familles s’acquittaient de leur devoir à chacune de mes visites qui étaient mensuelles. D’autres s’abstenaient par peur.

* Etant couturière, une moudjahida est venue me solliciter pour confectionner les drapeaux. Elle m ’a apporté un modèle et j’ai commencé à en produire. Dans la journée, soit je collectais l’argent, soit je me déplaçais chez les djounoud, soit je préparais à manger à nos hôtes et le soir, quand je pouvais, je confectionnais les drapeaux à raison de 2-3/nuit. Chaque semaine ou chaque quinzaine, elle venait chercher ce que j’ai préparé.

Comme elle était toujours voilée, je n’ai jamais vu son visage et je n’ai jamais su qui elle était ; elle repartait avec les drapeaux sous le voile. Je n’ai jamais su où ils étaient acheminés. Vaguement, il me venait à l’esprit qu’ils prenaient la direction de Béni Bahdel.

Notre responsable Benamar Fadéla s’est mariée avec un certain Bensenane. Je n’ai jamais su ce qu’elle est devenue. Ce qui va me permettre de devenir responsable de la cellule à la suite de cette vacance. J’ai travaillé pendant deux ans environ,

Un jour, en me déplaçant à El-Djlissa pour remettre un message à Si El-Yazid, celui-ci m’a averti que Bouchikhi notre «ittissal», qui venait chercher l’argent, a été arrêté et que, sous la torture, il va certainement parler. Il m’a demandé alors de ne pas rejoindre la maison car je serais à mon tour arrêtée. J’ai refusé sa proposition, j’ai opté pour le retour. Peu de temps après, neuf hommes mêlés de près ou de loin à nos activités seront dénoncés et arrêtés. Il s’agit de Sid Ahmed Mesli, Zenagui…

Aussitôt après avoir rejoint notre demeure, j’ai avisé les moudjahidine et je les ai fait évacuer individuellement sous la vigilance de mon jeune frère et de ma jeune s� »ur. Dans le même temps, toute la famille s’est attelée à effacer tous les indices suspects. Le responsable militaire a vu juste. Mon appréhension s’échafaudait cette nuit par une agitation inhabituelle de convois militaires qui ont laissé sortir en trombe des centaines de soldats, pour se poster le long des rues. Rapidement, ils ont bouclé tout le quartier. L’heure fatidique a sonné, celle que redoute n’importe quel être humain, quelle que soit sa témérité. Les paras ont envahi avec fracas la maison et ont obligé manu militari tous les présents à sortir dans la cour, en leur ordonnant de lever les mains face au mur. Ils ont pénétré dans ma chambre, m’ont ordonné de me placer face au mur et se mirent à fouiller en mettant sens dessus dessous tout ce qui tombait entre leurs mains. J’ai été arrachée des miens à une heure du matin le 5 mai 1958, pour être conduite je ne sais où. Je ne donnais plus cher de ma peau, sachant que pour ce qui va suivre, il valait mieux être en enfer. Dans la Jeep qui me conduisait vers les bureaux des interrogatoires, je me demandais si j’allais résister aux éternelles séances de tortures, sachant que les consignes données aux bourreaux sont strictes : faire parler l’inculpé le plus tôt possible pour surprendre les autres membres de la cellule.

Cette terrible épreuve a déjà commencé par l’arrogance, le sentiment de déni, l’exécution mécanique des gestes de l’enlèvement, les insultes racistes et les regards foudroyants émis par mes futurs tortionnaires, devinant leurs arrière-pensées : «On va bien rigoler tout à l’heure, ma petite». Je me sentais écrasée, réduite à un tas de chair sur lequel on allait s’acharner. Ce frêle corps dont ils vont disposer à leur guise, qu’on va démolir, qu’on va réduire en bouillie, va-t-il supporter ? Va-t-il survivre ? J’implore le Dieu Tout-Puissant d’être à mes côtés. A part les moyens de torture habituels et inimaginables faits aux hommes, que réservent-ils de spécial aux femmes ? Est-ce que je pourrais résister et ne pas donner les noms de mes camarades ?

On m’arrache du véhicule, je ne me sentais plus, je ne pesais plus rien, mes facultés mentales exacerbées, foudroyées par la tragédie de la scène et par l’approche imminente des premières bastonnades. Un frisson plus douloureux que la plaie produite par un couteau a parcouru mon corps. Je me sentais vulnérable face à ces hommes inconnus dont les forces me paraissent surmultipliées, décidés à extirper des noms par leurs légendaires interrogatoires musclés.

Nous arrivons au niveau du quartier des Spahis, ou caserne Miloud, actuellement transformée en faculté de médecine. Les paras, après avoir réalisé leur mission de capture, se sont dissipés dans la caserne en me confiant à des agents secrets en tenue civile. Ces derniers m’ont conduite au niveau d’un campement où se trouvait Bouchikhi, la mine défaite, exténué par d’interminables séances de torture. A la question qui m’a été adressée : «Tu connais ce type ?», j’ai répondu par la négative. Pour cette première réponse, j’ai été giflée. On s’est adressé de nouveau à lui et il a répondu par l’affirmative, «qu’il me connaissait et que je lui remettais l’argent collecté». J’ai de nouveau nié. Avec cet entêtement, j’ai reçu d’autres paires de claques. «Tu tiens toujours à nier !», ironisent-ils. On a décidé alors de me conduire à la salle des tortures. Je suis conduite au niveau d’une pièce livide, glacée, vide, où étaient déposés les instruments de supplice et des courroies suspendues au plafond. Ils m’ont demandé d’enlever mes vêtements. Quatre à cinq agents secrets m’ont fixé les pieds et les mains à une planche et ont fait actionner le courant électrique par l’intermédiaire d’une prise. Celle-ci est ôtée et replacée par intervalle à l’approche de l’évanouissement. Au premier jet électrique, j’ai commencé à hurler, je me tordais de douleur, mes dents s’écrasaient entre elles, tout mon corps se branlait mais les lacets me retenaient implacablement attachée à la planche. La douleur est inimaginable. Je ne sais pas combien ça a duré. J’ai perdu connaissance. Lorsque j’ai retrouvé mes esprits, je me suis retrouvée dans les bras d’un jeune homme qui avait déposé un mouchoir imbibé d’eau froide sur mon front et qui me faisait boire des gorgées de tisane. Il m’a reconduit dans ma cellule, en me disant «qu’il était un appelé de France et qu’il ne faut pas que je le dénonce». J’ai réalisé à ce moment où j’étais. Je frissonnais, ma langue dégageait une odeur de brûlé, mon corps me paraissait cuisiné.

Le deuxième jour, on m’a fait sortir de mon cachot pour une autre séance de torture, avec toujours du courant électrique. Cet enfer allait durer une demi-heure environ. Bizarre, je n’ai pas ressenti les douleurs atroces de la veille. Je me suis dit que le Bon Dieu m’assiste et qu’il allège mes souffrances. Je n’ai rien dit, je suis reconduite à ma cellule. je suis jetée à même le sol glacé de béton, sans couverture, avec pour compagnons des rats. Vers trois heures de l’après-midi, ils me font sortir pour une autre séance de torture, avec toujours du courant électrique et pour la même durée. Je me suis dit que s’ils ne changent pas de méthode d’interrogatoire, je pourrais résister.

Le lendemain, soit le 3ème jour, je suis livrée pour la séance matinale à un certain Mansour de Aïn El-Houtz, un repenti qui s’est mis à torturer, devant remplacer les autres occupés à faire parler quelqu’un. Il m’a fait la révélation parce que je n’ai pas parlé, dit-il, qu’il active toujours avec El-Djebha et m’a confié : «Je fais semblant de te torturer, je ne branche pas le courant, il faut hurler comme de vrai». Il viendra me chercher dans l’après-midi pour une nouvelle épreuve.

Les mêmes exercices ont été répétés les 4ème et 5ème jours. Avec la complicité de Mansour, je n’ai rien dénoncé. Le 6ème jour, on m’a placé dans une cellule avec deux autres femmes qui avaient terminé les épreuves d’interrogatoire. J’ai appris que le mari et les enfants de la plus âgée ont été tués, la plus jeune n’ayant rien voulu révéler sur son sujet. Les soirs, lorsqu’il n’y avait plus personne, Mansour nous rejoignait dans notre cachot et nous faisait part des personnes arrêtées, celles qui n’ont pas encore parlé et celles qui ont avoué. Il disait qu’il rendait compte de la situation au «nidam». Mais je ne lui ai jamais fait confiance.

Le camp de torture, récemment construit, se composait de trois salles, dont deux étaient réservées aux tortures, alors que la troisième servait de bureau à l’administration coloniale pour consigner sur des registres les noms et prénoms des détenus, leurs dates d’entrée et de sortie, leurs fonctions, leurs activités, leurs aveux… A une quinzaine de mètres, étaient bâties une vingtaine de cellules de dimensions – sans verser dans la précision – d’environ un mètre de haut, quatre-vingt cm de large et un mètre de long, fermées par des portes métalliques. Ces deux structures étaient séparées par une cour où il y avait une petite fontaine et un arbre très haut.

Je suis restée retenue un mois au niveau de cette caserne. Nous regardions, à travers les fentes de nos cachots, les tortures infligées aux fedayin lorsqu’elles avaient lieu dans la cour. Ils étaient pendus par les pieds à un arbre, la tête immergée dans une bassine pleine d’eau, torturés sans répit, plus atrocement, au fouet, à l’électricité. On striait de larges plaies au couteau sur le corps qu’on enduisait de sel : le spectacle était horrible. Les suppliciés, à la fin de chaque séance, étaient jetés comme des loques, des épaves sans vie au niveau de leur cellule. Mortifiées, horrifiées, nous ne pouvions que prier Dieu pour leur venir en aide. Ce spectacle nous faisait souffrir autant que les victimes. Certains mouraient des suites de ces supplices, d’autres étaient conduits à l’extérieur pour être exécutés. D’autres séances d’interrogatoires avaient lieu à l’intérieur des baraques, là où j’étais torturée. Les tortionnaires avaient à leur disposition des cageots de bière. Ils s’en servaient à volonté pour surmonter leur appréhension. Les moyens d’extorsion étaient variés, allant de l’électricité à la baignoire pleine d’eau, où était enfoncée la tête du suspect jusqu’à l’étouffement. On agrémentait le supplice par des rafales de décharges électriques, les bastonnades au fouet, à la matraque sur laquelle dépassaient des clous étêtés, les effractions anales par l’intromission de bouteilles et de tessons de bouteille, les brûlures du corps par le chalumeau, par la cigarette allumée… Les moyens de sévices changeaient pendant la même séance, c’était interminable.

Nous écoutions leurs hurlements, incapables d’arrêter ces enragés ni venir en aide à la misère de nos frères et de nos sœurs. Pendant cette période d’internement, nous avons été témoins d’une centaine de personnes arrêtées et soumises à l’épreuve.

Mansour, en venant nous rendre visite un soir, nous a révélé que dès qu’il a placé le courant à quelqu’un, il est mort sur le coup, sans savoir pourquoi. Il semble que ce soit un Bensari. Les tortionnaires ont ordonné ce jour d’éteindre la lumière et ont laissé le camp dans l’obscurité. Mansour nous a demandé de ne pas regarder à travers les fentes, sinon «on viendra vous tuer».

Au niveau de chaque centre de tortures, il existe un charnier. Le chiffre initialement avancé juste après l’Indépendance de 1.500.000 martyrs doit être revu à la hausse. Au niveau uniquement d’Alger, la capitale, on dénombrait pas moins de 730 centres d’interrogatoires, dans la wilaya de Tlemcen, 320. Ces hauts lieux de «la question», dont les pratiques surpassaient celles dénoncées des méthodes nazies (Gestapo, SS…), se comptaient par milliers à travers le territoire national.

Après ce séjour infernal, je suis conduite au commissariat de police, puis transférée à la prison de Tlemcen d’El-Qasba. Je suis retenue prisonnière avec d’autres femmes, telles la soeur Malti Djamila, et beaucoup d’autres. L’atmosphère était horrible. Enfermée entre quatre murs, avec en sus dans ma tête les fredonnements sans cesse répétés des hurlements de ceux dont j’ai été témoin des tortures. Chacune des détenues raconte son drame, ses supplices mais toutes étaient fières d’avoir participé à la libération du pays et que s’il fallait refaire, elles étaient prêtes à donner le meilleur d’elles-mêmes et avec plaisir. Nos gardiennes nous harcelaient, nous frappaient, nous insultaient, nous en voulaient d’avoir échappé à la mort sous l’effet des tortures. Notre sentiment nationaliste et d’indépendance était le plus fort, nous ne nous sommes jamais soumises.

Au bout d’un mois, je suis conduite au tribunal de Tlemcen pour être jugée le 18 juillet 1958. Ma famille entre-temps a contacté Hadj Kouider Mesli, un notable de la ville, mandataire en fruits et légumes, chez lequel se ravitaillait l’armée. Il connaissait un officier militaire, à qui il a demandé d’intervenir en ma faveur. En effet, j’ai écopé d’une décision de justice bénigne, deux ans de prison avec sursis, avec un pointage quotidien à la mairie. Et si je voulais sortir en dehors de la ville, il me fallait obtenir une autorisation spéciale.

Après mon arrestation, c’est la soeur Benachour Fatiha qui a pris sous sa responsabilité la direction de la cellule.

Drôle de coïncidence : le jour de ma présentation devant le tribunal, Hadj Kouider Mesli devait quitter Tlemcen, car il était recherché par la police à son tour.

Sid Ahmed et Driss seront arrêtés en même temps. Sid Ahmed, après un passage dans un centre d’interrogatoire, sera envoyé à la frontière pour participer à la mise en place du réseau barbelé algéro-marocain. Driss n’a pu résister aux tortures, il perdra la tête.

J’ai réappris à vivre avec beaucoup de bonheur dans la maison paternelle. La seule servitude était de pointer tous les matins au niveau de la mairie à 10 heures. J’ai été contactée par les «frères» pour renouer avec l’activité nationaliste. J’ai refusé, parce que je me sentais surveillée. Cela ne m’empêchait pas de transmettre de temps à autre à Si El-Yazid des messages que me remettaient les responsables qui trouvaient refuge chez nous ou ceux que la soeur Benachour me donnait.

A notre grand étonnement, mon frère Sid Ahmed, qui venait d’être libéré des travaux forcés effectués au niveau de la frontière, a reçu des messages lui signifiant qu’il était en faute avec «l’organisation», mais sans cause apparente. Il faut rappeler que Sid Ahmed était le gérant de l’entreprise familiale en bâtiment Kara Frères. Un avant-dernier message est parvenu, mentionnant une pénalité de 400.000 francs. Nous avons demandé aux responsables abrités chez nous ce qu’ils pensaient de toutes ces menaces, ils ont répondu qu’il ne fallait pas en tenir compte. J’ai demandé à mon frère Sid Ahmed de me les remettre, je les ai remis à Si El-Yazid qui m’a répondu de ne pas en faire cas. Forts de ces avis autorisés, nous avons tranquillisé notre frère. Un jour, il reçoit un message écrit en rouge. C’était le pire des avertissements. Il signifiait la peine de mort. Le grief retenu contre lui est de ne pas s’être acquitté de l’amende infligée. Sid Ahmed sortait de la maison à huit heures du matin et ne revenait que tardivement le soir. Des individus suspects rôdaient autour de la maison. Par deux ou trois fois, ils se postaient aux alentours de la maison pour le tuer. A chaque fois, il a réussi à s’échapper. Nous lui avons conseillé de ne plus sortir de la maison, mais ce n’était pas évident à cause de ses obligations professionnelles. Un soir, comme d’habitude, alors qu’il descendait de la voiture pour entrer dans la maison, des individus aux aguets dans la maison d’en face ont tenté de le surprendre. Il s’est précipité vers la porte de la maison qu’il ferma vivement. Il l’a échappé belle et de justesse. On sonnait également plusieurs fois à la porte, décidés à le tuer. Nous avons vécu l’enfer, coincés dans une situation inextricable. Alors qu’on activait pour la Révolution et qu’on offrait le gîte aux moudjahidine, on était condamnés à mort par des «moudjahidine».

Après, c’était à mon tour d’être inquiétée à cause des rapports que je transmettais, mais surtout pour avoir averti mon frère des guet-apens tendus. Ils ont envoyé une femme pour me demander de venir à la maison chez elle. Par bonheur, mes belles-soeurs Fatiha et Khalida venaient de voir deux hommes pénétrer dans son domicile et m’ont avertie du danger. Ma mère, également inquiète, a exigé de ne pas m’y rendre. Finalement, je n’ai pas été. Cette femme, que je connaissais très peu, m’a demandé un jour de lui porter secours, car les hommes qu’elle avait hébergés se sont retournés contre elle : ils l’ont battue et voulaient la tuer. Elle m’a avoué que si j’étais venue le jour où elle me l’a demandé, il y avait dans la maison des hommes qui m’attendaient pour me liquider. Elle me demanda comment faire pour échapper à une mort certaine. C’était à ne plus rien comprendre : en guise de récompense après tout ce qu’on a donné à la Révolution, se voir harcelée de la sorte !

Un jour, Si El-Yazid a pu regrouper tous les messages que j’avais transmis et qui devaient être normalement en sa possession. Il m’a fait savoir que les personnes qui essayaient de nous nuire ont été éliminées, mises hors de combat. Ils avaient constitué un réseau au nom du FLN pour servir leurs intérêts, notamment pour s’enrichir.

Comble de l’histoire, quelques mois seulement après ma sortie de prison, j’ai failli périr par les mains d’Algériens au nom de la Révolution. Trois mois après ma sortie de prison, je me suis mariée avec M. Kara-Ouezène Abdelghani pour aller habiter en France !

L’ECOLYMET, sous la présidence de M. Taleb Bendiab Hadj, a fait ériger le 19 mai 2005, Journée nationale de l’étudiant, au niveau de cette caserne transformée en faculté de médecine, une stèle du souvenir en mémoire à toutes les victimes qui sont passées par là, ont été tuées ou sont encore vivantes par on ne sait par quel miracle. Ce jour-là, tout Tlemcen s’est recueilli en hommage à cette semence qui va donner naissance à la liberté.

Une kyrielle de symboles. Algériens, souvenez-vous !

* Un des drapeaux m’a été remis par un malade originaire de Sebdou (wilaya de Tlemcen). Il m’a déclaré que c’est un drapeau datant de 1958 et qu’il a été confectionné par Mlle Kara Terki Habiba. J’ai entamé les recherches pour découvrir cette personne et pour écrire l’histoire du plus beau drapeau du monde et de la plus habile des couturières.

* Membre de l’Instance exécutive du FLN, ex-député

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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