Edition du Samedi 06 Juin 2009
L’Algérie profonde
NOIR ET BLANC
Par : MUSTAPHA MOHAMMEDI
C’est une petite forêt bien tranquille qui surplombe la mer. La vue y est imprenable et le site est reposant. De temps à autre, un léger guebli mêlé aux effluves iodées de la baie secoue langoureusement le sommet des pins.
En fait, de nombreuses familles se sont repliées sur ce flanc de colline pour échapper à la canicule et à la promiscuité de la plage de Bouzedjar, cent mètres plus bas.
C’est l’enfer ce bout de côte en ce vendredi de la fin mai.
Une cuvette surchauffée où l’on se dore sur le sable, parasol contre parasol. L’air est irrespirable. On suffoque. Et les gardes communaux ont beau gesticuler pour régler la circulation autour de ma baie, ils sont dépassées, littéralement hors jeu. Et plus les heures passent et plus la foule augmente.
Impossible de trouver la moindre parcelle pour se garer ou pour se baigner. Il fait plus de trente degrés à l’ombre et l’atmosphère est devenue quasi intenable.
Vivement les hauteurs, vivement la forêt là où les nuages, en plus de leur ombre, ont la douceur de l’ouate et de la volupté.
Nous sommes ici à plus de 200 mètres d’altitude, au beau milieu du landernau témouchenti.
Entre le village d’El-Amria et la façade maritime dans ce qu’il est convenu d’appeler le pays des Haouaoura. C’est ici, selon certains historiens, que serait né Sidi El Houari qui aurait dû s’appeler El-Houaouri.
Et c’est non loin d’ici, près de chaâbat El Ham, qu’il serait enterré en réalité et pas comme on le pense dans le quartier de “Marilla”, à Oran.
Mais revenons à cette sympathique clairière où des couples et leurs enfants commencent à prendre leurs quartiers. Là un auguste sexagénaire, en retrait, fait sa prière du Asr.Au loin, portée par le vent, la voix d’un muezzin emplit peu à peu le silence de la colline.
Une famille venue de Tlemcen décharge d’une fourgonnette table et chaises démontables et l’incontournable barbecue.Un savoureux fumé monte quelques minutes plus tard des grillades encore fraîches.
Une seconde famille, tout aussi nombreuse, s’installe tout près, à même le sol, à la bonne franquette.Le père fait alors quelques pas au milieu des broussailles, histoire de se dégourdir les jambes, tandis que la mère, tiraillée de tous côtés, par trois mioches affamés, finit par céder et pas préparer méticuleusement trois sandwiches.Dans ce tableau champêtre aux relents bucoliques, personne n’a remarqué la petite stèle mal entretenue et, malheureusement, presque détruite qui témoigne que 20 valeureux moudjahidine ont donné leur vie ici même, un 31 mai 1956. Aucun passant ne l’a remarqué.
Et les vivants qui savaient l’ont oubliée.
6 septembre 2010
M. MOHAMMEDI