Saâdane doit avoir aujourd’hui les mêmes pensées que l’Emir Abdelkader à Ghazaouet, Messali à Tlemcen ou Bouteflika partout où il va : «Ce peuple ne mérite pas qu’on lui donne un pays et un cœur ou même des chaussures».
Sauf que Saâdane, à la différence, a été élu, choisi, aimé et porté sur les épaules. Et c’est ce qu’on oublie aujourd’hui, partout dans le pays où le corps de l’entraîneur de l’EN est distribué en morceaux pour être mangé cru. Cet Algérien qui a su soulever un peuple sans le manipuler ou le menacer, qui nous a donné les plus grosses joies depuis des décennies, qui nous a unis contre ce qui n’est pas nous, qui nous a redonné une nationalité, un drapeau et une fierté même lorsqu’on n’était pas nés en Algérie, cet homme est aujourd’hui pourchassé partout, insulté et accusé d’avoir dilapidé l’Indépendance. C’est ainsi : nous sommes un peuple extrême et comme tous les peuples, nous avons l’index long et la mémoire courte.
On a demandé à un entraîneur de foot et à une équipe de nous décharger du poids de tout un pays en semi-échec permanent et on a demandé à des matchs de nous faire marcher sur la lune, sans rien réinventer que des hourras pour se propulser dans l’espace. Et lorsque ça n’arrive plus, on accuse. On accuse Saâdane d’être trop payé, de ne pas savoir nous entraîner vers les hauteurs. Dommage : cela a un nom et cela s’appelle l’ingratitude. Certes cet homme aurait dû partir dès la fin du Mondial, mais cela n’excuse en rien les insultes et l’hallali populaire et la lapidation. Cet homme n’est pas président d’une république. Il est injuste de l’accuser de ce qu’on n’ose pas dire à l’AUTRE et à tout un système. Lui au moins, il nous fait rire et nous a rendu le nez là où tout un Etat nous goinfre avec de la viande importée pour nous expliquer que c’est ça l’indépendance.
On accuse cet homme de ne plus nous porter sur son épaule et de ne pas nous garder dans les airs alors que c’est la mission d’un Etat, de ses institutions de culture et de loisirs, ses élites et ses amuseurs qui doivent en assurer la lévitation collective. Bien que la déception est immense : elle est à la mesure de toutes les déceptions depuis les premiers biens vacants. Et il n’est pas facile de revenir à la terre quand ce n’est plus qu’un sol et une pesanteur. Bien sûr que nous voulons être fiers, heureux et en altitude tout le temps, mais cela il faut le construire et l’exiger d’un pouvoir pas de Saâdane et de sa vieillesse.
Cet homme nous a fait rêver et nous le lui rendons en monnaie de cauchemars. Dommage. Cela fait peur ce genre de gloire cannibale. Il est même trop facile de demander à Saâdane de démissionner, de ne pas se présenter à un 3ème mandat, de partir sous les insultes et laisser place à plus compétent, de nous fabriquer un beau pays au lieu de l’importer, de nous faire rêver, de bien s’entourer et pas de ministres herbivores ou de ne pas trafiquer des élections, frauder des statistiques et nous regarder d’en haut comme si nous étions un peuple en trop sur une terre privée. C’est facile quand il s’agit de Saâdane et pas de l’autre système et de nous tous. Voir cet homme partir sous les semelles alors qu’il nous a donné des ailes, fait de la peine. C’est cet homme pourtant qui a fabriqué la vraie fin de la décennie 90, et seulement avec les pieds et sans référendum. Rappelez-vous, il y a une année, le 18 novembre. Avant vous étiez tous des colonisés de la tristesse nationale.
6 septembre 2010
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