Edition du Samedi 04 Septembre 2010
Culture
J’avoue que je n’arrive pas à situer les raisons profondes qui me poussent, aujourd’hui, à vous parler de cafés chantants alors que j’étais bien parti pour épiloguer sur l’écriture de l’histoire et les récentes déclarations rapportées par votre quotidien autour du militant Lakhdar Bentobal, de ses Mémoires précisément.
Pourtant, j’ai tellement de choses à dire à ce propos, mais je pense qu’il me faut plus de concentration et de lucidité pour aborder un domaine me tenant à cœur. L’idée de parler des cafés chantants m’est venue à la suite d’une visite de ce qui reste de La Casbah, que dis-je d’un pèlerinage qui m’a permis de me ressourcer. Ce retour aux sources n’a pas été sans rappeler à mon bon souvenir ces voies étroites où, rapporte Jean Mélia, ne peuvent passer que les piétons, toute la chaussée appartient, en quelque sorte, au café maure… Des bancs sont contre les murs. Les clients sont accroupis, nonchalants, dans la seule et grande préoccupation de savourer doucement leur tasse de café ou leur thé parfumé, extatiques dans le plaisir qu’ils prennent à fumer leur narguilé, immobiles, silencieux, car le repos qu’ils goûtent est l’ennemi de toutes paroles vaines et de tout mouvement inutile. Dans la Ville blanche, ouvrage paru en 1921, Jean Mélia soutient que le cafetier, plus que le marchand de fruits ou le brodeur, a besoin d’espace ou de clarté. Il arrive fréquemment, souligne la même source, que l’atmosphère par trop bruyante imposée par les joueurs de dominos, de cartes ou à un degré moindre par les préposés à une partie d’échecs, cède la place à des moments plus conviviaux, sereins : “Il est si doux de boire son café à petites gorgées ou de déguster le thé dont la douceur charme la gorge, dont le parfum réjouit les narines, que l’endroit reprend son aspect coutumier de joie silencieuse et de grande tranquillité. Il semble qu’une convention, préétablie par l’usage et le temps, ne tolère que des entretiens à peine murmurés. Au surplus, il serait contradictoire de hausser le ton. La clarté éblouissante du ciel, se glissant entre les maisons, inondant les ruelles et se heurtant à la blancheur lumineuse, elle aussi, des murs, ne convie-t-elle pas à l’assoupissement de la pensée ?” La tiédeur du soleil, ou bien, le soir, la fraîcheur du vent parcourant la dédale des rues de La Casbah ne convient-elle pas à l’assoupissement du corps ? Espace éminemment culturel s’il en est, le café maure donnait l’occasion à de nombreux mélomanes d’organiser des nezaha, de véritables “parties” de musique qui duraient de deux à trois jours. Les séances commençaient à huit heures du matin avec, successivement, les noubas maïa et rasd ed-dil avant que ne leur succèdent, entre deux et cinq heures, des morceaux d’anthologie empruntés le plus souvent aux modes sika, ed-dil et mezmoum. De cinq heures à la nuit tombante, c’étaient les noubet raml et raml maïa. Après le dîner, on chantait les noubet h’ssine, ghrib, zidane ou dil. À minuit, venait le tour de la nouba mdjenba. Cet ordre traditionnel était toujours respecté, à moins que l’assistance n’en eût exprimé un avis formel qui mettait à couvert la responsabilité des musiciens, rapportent plusieurs sources. Des musiciens au nombre d’au moins quatre personnes que distinguent, en plus du métier, des instruments particulièrement appréciés comme la kamendja, le rebeb, la kouitra comme le tar. Avec l’exacerbation des contradictions au sein de la société globale algérienne dont le sentiment national se raffermit chaque jour davantage, la nezaha fera place à la confrontation des idées qui dotera le café maure d’un rôle éminemment politique et social. Il ne pouvait en être autrement, la réalité concrète de l’époque, dominée par les retombées de l’arsenal juridique que la caste coloniale avait mis en branle à l’effet d’asseoir davantage son hégémonisme et de généraliser la dépossession des familles algériennes, était au centre de toutes les préoccupations.
A. M.
mezianide@djaweb.dz
4 septembre 2010
Contributions