Chronique du jour : DÉCODAGES
INDUSTRIE ÉGYPTIENNE
Une évolution qui rappelle l’Algérie
Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr
En 1952, lorsque les officiers libres sous la conduite de G. Nasser prennent le pouvoir, l’Egypte est, à l’exception de l’Afrique du Sud, le pays dont l’industrie est la plus avancée du continent africain et du monde arabe.
Une industrie lourde (mécanique) de biens intermédiaires (sidérurgie, chimie et pétrochimie) et une industrie manufacturière axée principalement sur l’industrie textile et l’industrie agro-alimentaire se met progressivement en place. Une industrie étatique qui se développe à partir du début des années 1960, le président Nasser étant persuadé que seule l’industrialisation du pays pouvait assurer le développement de l’économie et la construction de l’autonomie de l’Egypte. Les principales industries mises en place concernent les branches sidérurgiques (la grande sidérurgie publique de Helwan), les raffineries de pétrole, les matériaux de construction (cimenteries), les industries chimiques et parachimiques (engrais, polymers, pétrochimie), les industries pharmaceutiques, les industries textiles et confection bien sûr, dans la pure tradition égyptienne (ce secteur emploie la plus grande partie de la mains-d’œuvre industrielle égyptienne), les industries agroalimentaires, les industries métalliques et produits électroménagers (machines à laver, réfrigérateurs, cuisinières, chauffages, chauffe-eau…) Comme on peut le voir, une base industrielle large et diversifiée qui n’est pas sans rappeler l’industrialisation algérienne de la décennie 70. Il faut aussi souligner que l’Egypte a mis en place une industrie mécanique de production de véhicules particuliers et industriels sous licence (Daimler Chrysler, Peugeot, Jeep Cherokee). L’essentiel de cette industrie égyptienne est le fait de l’Etat et est organisée en grandes entreprises publiques. Quelques grandes entreprises privées existent (textile et confection, ciment et matériaux de construction, agroalimentaire…) mais l’Etat exerce, par de multiples voies administratives, fiscales, douanières, bancaires, son contrôle sur l’évolution de ce secteur industriel privé. En 1974, le président El Sadate lance l’Infitah et le processus de désengagement progressif de l’Etat de l’économie ainsi que l’ouverture de celle-ci. Ce programme ne produira pas de changement significatif dans la structuration de l’industrie égyptienne ni du point de vue des branches industrielles existantes, ni du point de vue de la structure de propriété même si le secteur privé est mieux toléré et quelquefois encouragé. C’est surtout avec le président Moubarak et son programme de privatisation et de restructuration du secteur public économique du début de la décennie 90 que l’industrie égyptienne se privatise à grands pas, se restructure et s’oriente vers l’exportation. C’est dans le cadre des accords de rééchelonnement de la dette extérieure que le FMI exige plus de libération et d’ouverture économique (programme d’ajustement structurel). Le troisième plan quinquennal 1992-1997 inscrit, parmi ses objectifs, le développement du secteur privé et des mécanismes de marché. La privatisation des entreprises publiques est accélérée et la libéralisation des lois d’investissement mise en œuvre. Le secteur manufacturier est orienté sur les exportations dans le sillage d’un appel aux IDE et la mise en place de zones franches. Les entreprises publiques pour celles qui sont restées propriété d’Etat, sont restructurées et réorganisées dans le cadre de la mise en place de 27 holdings autonomes par rapport aux administrations de tutelle (quelle similitude avec l’Algérie !!) Un nouveau code des investissements, plus libéral, est promulgué en 1997. Le taux de protection nominal de l’industrie manufacturière diminue considérablement et passe de 42 % à 14 %. La part du secteur privé dans la valeur ajoutée des industries manufacturières passe à 49 % et l’emploi à 39 %. Le montant des IDE passe de 253 millions USD en 1991 à 1,3 milliard USD en 1998. Le taux de croissance du secteur privé dépasse celui du secteur public. L’emploi croît de 7 % par an dans le secteur privé contre 2 % dans le secteur public. Si on devait résumer brièvement les grandes étapes d’évolution de l’industrie manufacturière égyptienne, on pourrait distinguer quatre grandes phases :
1/ Entre 1956 et 1960, l’industrie commence à devenir une priorité d’Etat. De gros investissements publics sont réalisés dans le secteur. La part de l’industrie dans le PIB augmente de manière significative.
2/ Entre 1961 et 1973, l’industrie est en très grande partie nationalisée. Le secteur industriel est la priorité des priorités dans la stratégie économique de Nasser. C’est l’entrée dans le «socialisme arabe».
3/ Entre 1974 et 1990, il y a un changement dans les orientations économiques : c’est la période de l’Infitah avec une libéralisation économique et un plus grand rôle du secteur privé dans l’industrie.
4/ A partir de 1991, le gouvernement décide d’accélérer les réformes avec l’appui du FMI et de la Banque mondiale. Le secteur privé est fortement soutenu et l’orientation exportatrice de l’industrie nettement affirmée.
Quelle est la situation actuelle de l’industrie manufacturière égyptienne
Il faut d’abord rappeler que l’industrie égyptienne a été construite en ciblant le marché intérieur, c’est-à-dire la satisfaction des besoins de l’économie et des ménages égyptiens. Une stratégie de substitution aux importations, les exportations n’étant pas considérées à l’époque comme une priorité : tourisme, canal de Suez, revenus des travailleurs égyptiens à l’étranger et pétrole assurant l’essentiel des ressources dont avait besoin le pays. L’arrêt brutal du nassérisme et sa politique redistributive, l’alourdissement de la dette extérieure, l’ouverture économique qui a fait la part belle aux importations ont entraîné une paupérisation de la population égyptienne, un creusement des inégalités et donc un rétrécissement du marché intérieur. L’industrie manufacturière entre en crise par manque de débouchés internes, absence de ressources financières, et déficit de compétitivité externe qui bride les exportations. La part des industries manufacturières qui représentait 20 à 22 % du PIB à la fin des années 80 n’est plus que de 15,7 % en 2006/2007/2008.
Structure du PIB 2006/2007/2008
Agriculture | 14,1 |
Industries dont manufactures… | 22,815,7 |
Services | 63,1 |
Le taux de croissance des industries manufacturières a baissé
1987-97 | 1997-2008 |
5,3 | 4,9 |
A la veille de la signature de l’accord d’association Egypte-Union européenne, la productivité par travailleur dans l’industrie manufacturière égyptienne était bien médiocre (fin année 2000).
Productivité par tête dans l’industrie
Espagne | Portugal | Turquie | Maroc | Egypte | |
Total sect.manuf | 92 | 43 | 74 | 34 | 21 |
IAA | 92 | 37 | 62 | 50 | 21 |
Textile | 90 | 50 | 86 | 46 | 18 |
Chimie | 92 | 59 | 94 | 40 | 23 |
Electr.Electron | 83 | 39 | 79 | 39 | 27 |
(Indice 100-France)
Pour faire face à toutes ces difficultés, stopper la dégradation de la situation des industries manufacturières et relancer les exportations de biens industriels, le gouvernement égyptien met en œuvre des réformes qui visent à :
1/ améliorer le climat des affaires ;
2/ construire l’attractivité du site Egypte ;
3/ relancer l’investissement industriel privé national et étranger.
Le programme de relance de l’industrie égyptienne repose sur la multiplication de zones franches et de «zones industrielles qualifiées» les QIZ qui offrent beaucoup d’avantages, l’allégement des procédures administratives pour les entreprises, des avantages fiscaux, des actions de mise à niveau. En 2004 est adoptée la charte de la PME qui accorde des avantages divers à la petite et moyenne entreprise privée et notamment la PMI. Toute cette politique de promotion industrielle tarde à donner des résultats et le poids du secteur manufacturier dans l’économie est encore faible et n’arrive pas à jouer le rôle moteur dans la croissance et la création d’emplois. Les exportations des industries manufacturières ne se diversifient pas, un quart des exportations hors hydrocarbures sont le fait de la branche «textile et confection» et restent faibles : 18 % des exportations totales de biens et services et 3 % du PIB. Elles sont de plus en plus le fait du secteur privé dont les exportations affichent un taux de croissance annuel de +5 % au moment où les exportations du secteur public baissent chaque année de -2 %. Le secteur industriel privé affiche par ailleurs un dynamisme remarquable sur les marchés extérieurs où les produits agroalimentaires, chimie et parachimie, produits métalliques, matériaux de construction arrivent à se placer.
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/09/01/article.php?sid=105335&cid=8
1 septembre 2010
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