Des étudiants en «sciences» islamiques, des rangées de mémorisateurs du Coran, des femmes en hidjab qui racontent leurs nouvelles découvertes de la religion avec une voix d’extasiées, un Belkhadem au premier rang de l’émission «Chevalier du Coran», des enfants présentés comme prodiges parce qu’ils récitent des versets par cœur, etc. A cela, ajoutez un Président qui tombe presque en larmes à la mort d’un patron de zaouïa, un JT d’NETV qui en fait un drame national, des images de jeunes en turban au look talibanisé, etc.
A la fin, la question : que veut-on faire de ce peuple ? De cette nation ? De cette terre ? Qu’on nous le dise clairement si on veut revenir à l’époque où nous étions quelques officiers ottomans, un Dey et des dizaines de tribus fascinées par les amulettes et les walis jusqu’à ce qu’arrive le Colon et sa matraque.
Car le glissement devient de plus en plus terrible : rien n’est dit sur le reste de la vie vivante : auto-talibanisée, la communication du Pouvoir et son appareil ENTV ne montrent ni inventions algériennes, ni expressions de toute autre vie civile, ni exemples d’écoliers vifs en mathématiques, ni culture laïque, ni pique-nique dans des paysages algériens restitués après la terreur des années 90, ni arts rupestres, ni coupe carrée et vêtement enjoué. Rien.
L’ENTV devient de plus en plus un long Adhan entrecoupé de quelques émissions sur le rien ébahissant. A la fin, vous y avez le choix entre soit écouter un ministre répéter des chiffres, soit un imam vous répéter une anecdote invérifiable qui remonte à des siècles. Cela se fait avec un Président qui veut la plus grande mosquée d’Afrique et des jeunes qui veulent apprendre le plus vite le Coran.
Tout ce qui fait la force d’une nation, ses sciences et ses créations, la quête de la vie, le partage, la tolérance, l’audace de la conquête et de la culture, le développement, la recherche scientifique, la littérature ou la réflexion, la philosophie et la politique, tout cela n’est plus à l’ordre du jour et de l’esprit. Tout ce que veut le pays, c’est des mosquées, des ablutions, des récitations et des causeries religieuses. Jusqu’à ce qu’arrive le prochain colon ou qu’on nous prenne ce qui reste encore de pétrole national et de terres des ancêtres.
Car il ne faut pas se leurrer et croire que l’Histoire n’est qu’un livre : l’avant-1830 n’est pas aussi loin qu’on le croit. A l’époque aussi, avant même d’avoir un pays, nous avions des zaouïas et des superstitions. Comme aujourd’hui presque, sauf les paraboles, le portable ou le CCP: nous étions des tribus, des Beys, un Dey et énormément de bigoterie religieuse. Au lieu d’inventer de nouveaux canons ou de moderniser sa flotte, le pays en était aux guerres de succession et à l’adoration effrénée sous forme de récitations mortelles pour l’esprit et affaiblissante pour le corps du peuple. A force, il ne nous est resté qu’un coup d’éventail, que nous avons chèrement payé.
Premier pays touché par l’islamisme politique en armes, l’Algérie est aussi le premier pays «arabe» victime du glissement auto-taliban qui s’ensuit après l’échec politique. Une sorte d’islamisation horizontale, de verrouillage par la construction effrénée de mosquées, d’immobilisation au nom de Dieu avec lequel beaucoup composent leurs prénoms. La confusion entre Islam, islamisme, bigoterie, conservatisme, archaïsme et bêtise est aujourd’hui total chez nous et semble être une maladie de l’esprit qui touche tout le Pouvoir. Reste-t-il en effet une armée ou une police laïques en Algérie dans les faits ? On en doute. Le pays glisse et cela est déjà arrivé à d’autres nations le long de l’histoire universelle : des peuples soudainement bigots se mettent en chasse de la différence et du savoir, veulent produire plus de fatwas que de blé et finissent dans la faim ou le cannibalisme, la défaite et la soumission à d’autres peuples. On s’y dirige et on le fait au nom de Dieu, oubliant qu’une religion tient debout par le bras et pas seulement par la paume du prieur. Par le chirurgien et pas seulement par l’imam.
Que faire d’un pays composé de 36 millions d’imams ? Prier pour en sortir vivant et avec un morceau de pain si possible. Le FIS a gagné après sa mort un pays qui ne sait pas qui il est. Un pays ravagé par un néo-islamisme qui trouble les Algériens dans leurs vêtements, leurs langues et qui est totalement importé, comme le reste.
La seule chose qui soit algérienne dans ce drame de la perte de soi, c’est nos chairs, nos enfants et notre avenir. Le pays a-t-il besoin de 36 millions d’imams ? Non. Ni le pays, ni Dieu ni l’Islam. L’univers a besoin de ceux qui plantent les arbres plus que de ceux qui dirigent les prières. L’auto-talibanisation va nous coûter dans quelques années.
30 août 2010
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