Par Arezki Metref
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Ça se passe le 13 août à Lyon, en France, place Gabriel-Peri. Hamara Diarra, ouvrier sénégalais de 45 ans, père de 9 enfants, est attablé à une terrasse de café en pleine journée, où il sirote tranquillement sa commande lorsqu’une bande d’excités vient lui reprocher de ne pas observer le Ramadan.
De toute évidence, les jeunes écervelés ne connaissent rien de l’homme. Ni s’il est musulman, ni s’il est malade. Rien. Mais il est noir et fréquente un quartier maghrébin de Lyon, et cela suffit. La couleur de la peau et le quartier font le croyant ou l’impie devant les malades mentaux qui, en justiciers autoproclamés, s’octroient l’autorisation de demander des comptes. La foi ne suffisant pas à affronter «l’incroyant», ils appellent des renforts qui ne tardent pas à se manifester. Tous ensemble, ils «corrigent » le pauvre consommateur. Frappé violemment, ce dernier est transporté dans un état grave à l’hôpital neurologique. Les policiers sont dans l’impossibilité de recueillir sa déposition. Hamara Diarra est toujours dans le coma. A Fontaines-sur-Sôane, non loin de Lyon, un adolescent de 13 ans se rend au domicile de son copain lorsque deux jeunes gens déboulent et lui reprochent de tenir une sucette à la bouche en période de Ramadan. Il a à peine le temps de crier qu’il n’est pas musulman que déjà des pierres pleuvent sur sa tête. D’après le témoignage de son père, il s’en est fallu de peu pour qu’il ne soit sévèrement touché. La Mosquée de Lyon a réagi avec célérité et sans ambiguïté à ces agressions inqualifiables : «L’observance de la religion, dit le recteur dans un communiqué, demeure de la responsabilité du musulman face à son Créateur. Nul homme n’a le pouvoir de se substituer à Lui.» L’argument religieux est fort mais il n’est pas tout en la circonstance. Cela se passe dans un pays laïque où la liberté de conscience est garantie et protégée par la loi fondamentale. Le pire, bien entendu, n’est pas que des jeunes chiens fous s’octroient par la force le pouvoir de jouer les brigadiers des mœurs islamiques : mais que pour se comporter ainsi, ils doivent être pénétrés de l’idée qu’ils agissent là dans l’intérêt de l’Islam. Ce fait, qui discrédite l’image de l’islam bien plus que tous les moulinets des islamophobes réunis, est évidemment déjà entreposé dans le magasin à munitions de l’extrême-droite raciste. Ça tombe bien, comme qui dirait ! Y a-t-il moyen plus rapide de gagner les segments de l’opinion française, y compris de confession musulmane, dubitatifs devant les mesures stigmatisant les musulmans comme la loi sur le voile intégral ? On peut rétorquer qu’il ne s’agit que d’une infime minorité d’excités, dont les actes inconsidérés ne peuvent retentir sur une communauté qui observe sa religion paisiblement et dans le respect des lois des pays d’accueil. Le problème est que le nombre de ces incidents ne cesse de croître chaque année dans une sorte d’expansion conquérante basée sur la brutalité et dans le silence sidéral des autorités religieuses et communautaires. Peu d’entre elles ont le souci de recourir aux fondamentaux philosophiques de l’islam pour condamner ces actes barbares. Force est de constater, de surcroît, que leur réactivité est nonchalante. On se contente, au fond, de faire le dos rond pour ne pas déplaire à ses ouailles, souvent convaincues de la licité de ces agressions. En privé, des responsables religieux regretteraient presque de ne pas avoir les coudées franches pour ramener, par le bâton et sur le droit chemin, toutes ces brebis égarées sur les pentes de ce qu’ils se permettent de nommer impiété, que jamais ils n’auront le courage d’appeler par son nom : liberté de conscience… Ces jeunes abrutis, comme les a si génaéreusement baptisés Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, ne sont pas les seuls à briguer le rôle suprême. Au Maroc et surtout en Algérie, les forces de l’ordre et les autorités judiciaires s’y mettent elles aussi. Depuis quelques années, on observe la parfaite désinvolture avec laquelle est foulée aux pieds la Constitution algérienne qui garantit la liberté de conscience dans une course absurde à la répression des non-jeûneurs. Enfin, pas tous ! Pas ces non-jeûneurs friqués et aux épaules larges qui fréquentent les grands hôtels fliqués d’Alger où ils bénéficient des services offerts aux étrangers, alcool compris, mais des ouvriers de chantier en bâtiment comme Hocine Hocini, 47 ans, et Salem Fellak, 34 ans d’Aïn-El-Hammam. Surpris en train de boire de l’eau par des policiers, ils ont été arrêtés séance tenante puis déférés au parquet. L’affaire a indigné la population de la ville, réunie en un sit-in devant le tribunal. La radicalité de la répression contre les «petits» et l’impunité accordée aux puissants, justice à deux vitesses, obtient son juste contraire : le raffermissement de la résistance. Depuis trois ans, des voix, celles de la population d’Aïn- El-Hammam et de SOS-Libertés, timides encore, se font entendre pour dégonfler la grosse tartufferie du panurgisme dévot. Il en faut certes davantage mais comme en France où des actes liberticides renforcent les positions des adversaires, l’étrange rodéo qui se joue en Algérie finira bien, du fait de ses outrances, par tirer de leur léthargie non seulement les militants des libertés individuelles et les laïcs mais aussi peut-être les pratiquants — voire les responsables religieux —, soucieux du respect des droits fondamentaux du citoyen garantis par la Constitution, dont celui de choisir son culte ou non, et de le pratiquer. Il y a un temps pour tout et celui d’aujourd’hui est celui de la parole qui doit mener à la maturité, avant d’en arriver à l’autre temps, celui où il sera trop tard. Au Maroc, le groupe Mali (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) avait protesté lors du Ramadan de 2009 «contre l’ingérence dans la vie privée et pour la liberté de ne pas jeûner Ramadan». Les manifestants munis de leurs sandwichs voulaient casser la croûte en public devant la gare de la ville de Mohammedia. Selon eux, un Marocain n’est pas forcément musulman. Les oulemas de Mohammedia ont dénoncé l’action et les «agitateurs » ont été traînés devant les tribunaux. Cette année, le Mali, plus prudent, s’est manifesté via internet. Le but est atteint : la petite flamme allumée subrepticement restera, même éteinte, comme la trace du feu. Cette répression de petits non jeûneurs tandis que les gros corrompus et les assassins repentis ou pas coulent des jours paisibles à siroter la liqueur des fleurs du mal, contribue à octroyer au mois de Ramadan cette tension de période exécrable. Il y a de quoi se taper la tête contre les murs à entendre ou à lire ces sermons qui font du mois sacré celui de la spiritualité, de la paix et de la prière. C’est tout le contraire qui se produit à en juger d’abord par l’observation empirique et à la lecture d’une enquête publiée par El Watan(1). Quelques chiffres qui balayent la version idyllique. Pendant le mois de la paix et de la concorde, les accidents du travail augmentent de 150 % par rapport aux autres mois de l’année, les urgences médicales de 300 %, les rixes, disputes et blessures de 400 %, les accidents de la circulation de 42 %, l’absentéisme au travail de 120 %, le retard de 132 %, le nombre de femmes et enfants battus de 120 %… Comme dirait un responsable du Conseil consultatif des musulmans de France, «celui qui ne se maîtrise pas, Dieu n’a que faire de son jeûne». Bien dit sauf que, là aussi, on parle en son Nom…
A. M.
1) «Comment le Ramadan bouleverse la vie des Algériens», El Watan du 24 août 2010.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/08/29/article.php?sid=105181&cid=8
29 août 2010
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