Un dernier rebondissement dans la vie politique virtuelle du pays durant le mois de Dieu : Bouteflika existe-t-il ? A comprendre : est-ce qu’il reçoit vraiment les ministres ou est-ce que les ministres interpellés le sont par une équipe d’audition, des conseillers ? Reviennent-ils avec les recommandations qu’on nous lit au JT de l’ENTV
ou seulement avec un accusé de réception de dossiers déposés à la fenêtre d’El Mouradia ? Le pire cependant n’est pas la réponse, mais l’obligation de se poser la question. Car à l’évidence, la communication institutionnelle a atteint des limites surréalistes en Algérie. L’ENTV appartient tellement (du moins officiellement) à la Présidence, qu’elle s’en est fait le perroquet idiot. Une sorte de volatile gras et gominé qui ne dit rien lorsque le maître ne dit rien ou perd ses plumes.
La lecture hypnotisante au 20 h des longs communiqués est l’une des dernières traces du stalinisme chez nous et en Corée du Nord. C’est une forme de violence et de confiscation de la parole que l’on croyait évitable au moins au nom de la politesse entre deux personnes : le peuple et son Président (ou le contraire : le Président et son peuple). Que non ! Chaque Ramadan, on se retrouve au même point : soit des audiences présidentielles pendant lesquelles le son est coupé, obligeant le peuple à écraser le visage sur la vitre pour lire sur les lèvres ; soit ce genre de communiqués aux chiffres insupportables sur « ce que l’Etat a fait pour nous parce qu’il est un gentil Père et que les autres opposants sont des méchants ». S’interroger sur « si Bouteflika reçoit vraiment les ministres » ou pas est une absurdité : c’est le bon peuple qui n’est pas reçu. Un homme « élu » recevant des hommes qu’il a désignés pour se faire servir des chiffres qui ne sont pas charmants au lieu de recevoir les élus du peuple, le peuple ou, au moins, des gens qui ne mentent pas, est une séance incestueuse qui ne peut pas avoir d’enfants ni de sens.
Tout ça pour dire que la communication institutionnelle en Algérie en est au point de l’atteinte à la sécurité du pays : des gens que nous payons pour nous gouverner se reçoivent (ou pas) mutuellement pour parler devant nous dans notre dos de nous, sans nous. La raison ? Le nœud même de la démocratie : le Pouvoir peut. C’est-à-dire qu’il ne Doit pas se sentir obligé de rendre des comptes ou même de nous adresser la parole. Même à l’ENTV, et le peuple l’a remarqué au point d’en faire un humour, un ministre, accroché lors d’une sortie ou dans un chantier par la caméra, semble toujours s’adresser à son employeur, le Président, qu’au peuple qui est dans les parages. Une parution au JT, avec un casque à la tête et deux chiffres dans la bouche, est aussi importante pour un ministre qu’elle ne l’ait pour un maçon qui veut démontrer à son patron qu’il a bien travaillé. Exemple direct de la communication publique « en boucle » fermée. Conclusion ? Le chiffre est un os dont l’animal est une mathématique vagabonde. C’est-à-dire n’importe quoi. « Rongez les chiffres » vous dit votre Etat.
26 août 2010
Contributions