T ahar Ouettar a tiré sa révérence. Hier, durant l’hommage rendu au Palais de la culture, les choses se sont passées pratiquement comme il l’avait pressenti dans un texte court et hilarant paru en 2005. Le texte s’intitulait «Le jour où je suis allé à mon enterrement et où les gens y sont allés».
Il y décrivait avec précision et ironie les gens qui arrivent, avec la mine de circonstance, mais qui finissent par oublier le mort et parler des choses triviales et des affaires. Le tout raconté avec cette tendresse et cette bonté, toujours présentes, même quand l’écrivain tonnait et dénonçait. Homme de forte conviction, Tahar Ouettar s’est vu écrivain proche du peuple et il l’est resté. Il a incarné, mieux que tous ses pairs, le rôle de l’intellectuel engagé et impliqué dans la cité, n’hésitant pas à prendre position et à critiquer. Les journalistes ne s’ennuyaient jamais à aller voir «ammi Tahar» : il y avait toujours quelque chose à prendre car l’écrivain avait toujours quelque chose à donner. Ceux qui n’appréhendent Tahar Ouettar que par ses polémiques avec des pairs francophones – le conflit francophone-arabophone fait partie de l’histoire politique et intellectuelle de l’Algérie et il est, espérons- le, en voie de résorption – ont une vision tronquée de lui. On peut témoigner ici qu’il n’avait pas d’animosité envers les francophones, mais qu’au nom d’une vision assez marxisante de l’histoire, il les considérait comme relevant du passé. Et s’ils les rudoyait – ils le lui rendaient d’ailleurs avec férocité -, il n’y mettait aucune haine, aucun ressentiment. Il était trop intelligent pour ne pas comprendre qu’ils sont encore là pour un certain temps, même si l’histoire «continuait sa marche». Tahar Ouettar a, en tout état de cause, on ne le dira jamais assez, largement contribué à briser le «complexe de l’arabophone vis-à-vis du francophone» et il a toujours refusé d’être, comme il disait, l’alibi arabophone des «faux progressistes». Il était ainsi Tahar Ouettar : il se considérait comme un «écrivain politique », donc un intellectuel qui prend parti et affirme ses idées avec conviction. La politique a été au coeur de son oeuvre et quand il parlait de Beggar Hadda, de cheikh Bouregaa ou de Aïssa Djermouni, ses compagnons au long cours, il saluait les artistes, mais il ne pouvait s’empêcher d’en décoder les aspects politiques. Il a fait constamment de la politique au FLN, où il a été cadre à un moment de l’histoire et en écrivant ses romans. Cet homme n’avait aucune répulsion à être avec les classes populaires, c’est chez eux qu’il prenait son inspiration. Et dans une Algérie rendue presque déserte, il a fait d’Al-Djahidiya un nom et un lieu où des écrivains de passage se sentent plus à l’aise que dans les grands hôtels. C’était un as de… coeur. Il nous manque déjà.
14 août 2010
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