La justice internationale apparait bien souvent partiale et la Cour pénale internationale un piège réservé aux chefs d’Etat africains, en témoigne la dernière affaire avec le président soudanais Omar el Béchir poursuivi pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Il ne s’agit pas de remettre en question les chefs d’inculpation, même si l’inculpation pour génocide est contestable sur bien des aspects, entre autres la banalisation de l’usage du terme «génocide»1. Il s’agira dans cet article de tenter modestement une appréhension du phénomène de justice à deux vitesses perceptible clairement au sein de l’ordre international. En effet, la Cour pénale internationale semble vouloir se montrer impartiale sur certaines affaires, voire même excessive, mais aussi oublieuse sur d’autres. La justice internationale a-t-elle eu le courage d’évoquer au sein d’une quelconque institution les noms de George W. Bush ou d’Ariel Sharon pour de possibles crimes contre l’humanité et crimes de guerre ? L’injustice de ladite « justice internationale » révolte alors et la délégitime pour nombre d’observateurs.
Cependant, la justice internationale ne peut être une émanation allant à l’encontre de l’ordre international actuel. Hedley Bull, théoricien des relations internationales nous rappelle que «l’anarchie est le trait fondamental de la vie internationale et le point de départ de toute réflexion théorique sur celle-ci»2. L’anarchie en relations internationales est à concevoir comme l’absence d’autorité centrale et non comme désordre. Il s’agit tout bonnement d’un ordre international déterminé par les unités du système, essentiellement les Etats, à travers leurs interactions qu’elles soient d’ordre conflictuel ou basées sur la coopération et la négociation. Mais les unités de ce système ne sont pas équivalentes. Certains Etats, au sein de cet ordre international anarchique, vont grâce à leurs attributs de puissance, se montrer capables d’imposer leur volonté de manière unilatérale, expression de leur Hard power, (on pense à la guerre en Irak pour les Etats-Unis ou le conflit russo-géorgien en Ossétie du Sud et Abkhazie) ou à travers des négociations dont le résultat est plus ou moins dicté par le Soft power3. La justice internationale est alors dictée par l’expression de la puissance des différents acteurs, des différents Etats.
La justice internationale ne doit pas être confondue avec le droit international fruit de compromis entre les Etats où la puissance est moins, mais toujours présente dans la détermination des règles. Elle s’apparente dans la mémoire collective à la condamnation des criminels. Lorsque l’on découvre que la Cour pénale internationale que l’on veut autonome peut se voir opposer un véto par le Conseil de Sécurité ou que ce même Conseil de Sécurité peut surseoir à une enquête ou poursuite pendant un an, acte renouvelable, on ne peut s’empêcher de se laisser aller à un certain cynisme… L’expression de la justice internationale se fait avec une immunité de facto accordée aux puissants et à leurs alliés…
Enfin, lorsque la justice internationale se décide à condamner les criminels, à l’image du procès de Douch, l’ancien tortionnaire khmer rouge, responsable de la prison S-21 où près de quinze mille personnes furent torturées et exécutées, on s’aperçoit que la scène internationale fait davantage dans le symbolique. Symbolique car l’on condamne un ancien geôlier pour ses crimes, que l’on met en prison pour 19 ans alors qu’il est âgé de 67 ans, symbolique car l’on condamne un homme qui n’était que le bras, voire l’outil de décideurs non jugés… Le dictateur Pol Pot n’est-il pas déjà mort ? Le procès des quatre autres ex-dignitaires du régime de Pol Pot qui devrait avoir lieu en 2011 ne peut symboliser le jugement de tous les décideurs et personnes responsables des massacres perpétrés par le régime du «Kampuchéa Démocratique», à moins que l’on fasse encore dans le symbolique…
Dénoncer une justice à deux vitesses s’apparente à un combat perdu d’avance car le problème est structurel. Il s’agit de l’expression encore et encore de la puissance des Etats de manière plus ou moins tacite, plus ou moins subtile où l’ancestrale loi du plus fort se rappelle à nous constamment. Une justice internationale ne permettant pas l’impunité ou l’immunité et émanant d’un multilatéralisme où toutes les voix des Etats comptent de manière plus ou moins égale ne pourra se faire qu’avec le courage des puissants, courage d’accepter la consolidation des institutions et en dedans l’expression de tous de manière égale, sinon équitable. Aujourd’hui, l’exemplarité démocratique dont se prévalent les pays occidentaux pour légitimer «leur devoir de dénonciation» de certaines situations, hélas exercé de manière sélective, n’a que très peu de pertinence et de crédibilité. Il s’agit alors, de répondre à l’impératif de démocratisation des institutions internationales, complément indispensable de la quête de l’idéal démocratique au sein des Etats.
*Diplômé de l’ILERI (Institut en relations internationales, Paris)
Notes :
1) Lire Cheikh Yérim Seck, Pourquoi la CPI est allée trop loin, Jeune Afrique, n°2584, du 18 au 24 juillet 2010.
2) Lire Hedley Bull, Society and Anarchy in International Relations, dans H.Butterfield et M.Wight (eds), Diplomatic Investigations, Londres, Allen Et Unwin, 1966, p. 35-60.
3) Hard et Soft power sont des concepts introduits par J.Nye. Le Hard power est la puissance coercitive (soit le militaire et l’économique). Le Soft power est la puissance douce, c’est-à-dire la capacité d’influencer un acteur indirectement.
13 août 2010
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