Edition du Lundi 17 Mai 2010
Des gens et des faits
Portrait de famille
La nouvelle de Yasmine Hanane
Par :Yasmine Hanane
Résumé : Ma grand-mère Yasmina était une jeune fille espiègle, intelligente et très ouverte d’esprit. Elle vénérait le savoir et s’était inscrite à l’école dès l’âge de 8 ans. Mais c’était compter sans les aléas de son époque.
44eme partie
D’ailleurs, elle rendait d’énormes services aux femmes dont les maris avaient émigré sous d’autres cieux et qui peinaient pour se faire lire le courrier ou encaisser des mandats. On faisait alors appel à Yasmina à tout bout de champ, et cette dernière s’y prêtait volontiers. Elle était abonnée à la bibliothèque de l’école, et y puisait savoir et culture sans frontières. Elle recevait d’ailleurs des livres et des magazines par correspondance et n’hésitait pas à en faire profiter certaines jeunes écolières de son âge qui partageaient avec elles les bancs de classe. Quatre années passèrent ainsi. Yasmina venait d’avoir 16 ans, mais avide de savoir et de lecture, elle continuait sans relâche à se cultiver. Remontant les escaliers du quartier, un jour, Mohamed surprend Yasmina en pleine conversation avec une maîtresse d’école. Sans prendre en considération la présence de la vénérable femme, il tire sa fille par le bras et l’entraîne jusqu’à la maison où elle recevra une belle correction. S’en prenant ensuite à sa femme, Mohamed ne décoléra pas de la soirée.
- Ta fille fréquente encore l’école et ces colons de français. Je t’avais pourtant interdit de la laisser sortir sans mon autorisation.
- Mais elle ne fait rien de mal Mohamed. Yasmina est un peu curieuse, elle aime toucher à tout. Je la laisse se rendre chez nos voisines pour apprendre la broderie et la couture et…
- Non femme. Ta fille n’est pas faite pour la couture. Ta fille veut vivre comme ces femmes de l’autre côté de la mer. Elle veut apprendre à lire et à écrire tout comme elles. Et Dieu seul sait où cela la mènera. Je crois que je ferais mieux de la marier le plus tôt possible.
- Mais tu n’y penses pas, Mohamed. Ce n’est encore qu’une gamine !
- Une effrontée oui…
- Allons, Mohamed, ne te mets pas dans cet état. Qu’a-t-elle bien pu faire de mal ? Elle n’a même pas quitté le quartier.
- Mais, ma foi, tu es complice avec elle. Tu attends qu’elle quitte le quartier pour t’inquiéter sur son
sort ?
- Non. Mais je sais qu’elle n’osera pas aller plus loin.
- Prépare-là plutôt à sa future vie de femme. Et je fais le serment devant Dieu le Tout-Puissant que je la marierais au prochain homme qui viendra demander sa main. Il sortit en claquant la porte et Razika va retrouver sa fille dans sa chambre. Loin d’être frustrée, Yasmina, qui avait tout entendu, paraissait plutôt calme. Elle feuilletait un magazine et sa mère le lui arrache des mains.
- Tu as entendu ton père. Il ne veut plus que tu sortes. Tu m’as humiliée Yasmina. Mais que trouve-tu donc de bon dans cette école de
malheur ?
Yasmina se met à rire.
- Cette école, maman, est un phare du savoir. On y apprend beaucoup de choses.
- Des choses qui ne servent à rien. Tu oublies que tu vis dans une société de mâles. Pourquoi ne prends-tu donc pas exemple sur ta sœur Zahra ?
- Zahra est mariée et mère de
famille.
- Oui. Elle est mariée au fils aîné d’Ali et s’occupe de sa maison comme une grande.
- Zahra n’a jamais été ambitieuse. C’est une femme effacée tout comme tes deux belles-filles.
- Mon Dieu ! Mais que veux-tu
dire ?
- Que ces femmes n’avaient pas d’autres choix dans leur vie que celui de se marier et d’avoir des enfants.
- Qu’y a-t-il d’autres alors ? Comment veut vivre ma chère fille ?
- Comme celles-là…
Yasmine reprend le magazine que sa mère venait de lui arracher pour lui montrer des portraits de femmes habillées en pantalon et les cheveux coupés cours au volant de petites machines à roues.
- Qui est-ce ?
- Des femmes qui vivent de l’autre côté de la mer. Elles sont instruites, ambitieuses et libres.
- Elles ressemblent à des hommes !
- Oui. Dis plutôt qu’elles travaillent comme des hommes. Elles ont participés à la guerre, elles ont affronté les canons et, aujourd’hui, elle travaillent et conduisent des automobiles.
- Comme des hommes ?
- Oui, mère. Ces femmes sont taillées dans une autre étoffe. Elles vivent leur époque. Nous sommes en 1919.
Razika se reprend pour lancer :
- Arrête toutes tes niaiseries. Nous vivons dans une société différente. Ces femmes n’ont ni notre éducation ni nos mœurs.
- Qui te demande donc de vivre comme elles maman ?
- Mais tu viens de dire que tu aimerais vivre comme elles.
(À suivre)
Y. H.
13 août 2010
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