Edition du Mercredi 19 Mai 2010
Des gens et des faits
L’humiliation
La nouvelle de Adila Katia
Par : Adila Katia
1ere partie
Abdelghani aurait voulu ne pas s’être rappelé qu’aujourd’hui, c’est son anniversaire. Ce simple fait qui marque le temps l’emplit de tristesse.
Depuis ses trente-cinq ans, il n’arrive pas à supporter de voir ce jour arriver, sachant qu’inévitablement il vieillirait d’une année.
Aujourd’hui, il s’en veut d’avoir jeté un coup d’œil à l’agenda. Ce dernier ne s’était pas seulement contenté de lui rappeler le programme du jour mais aussi que c’était son anniversaire. Il allait avoir cinquante ans. C’était lourd à porter. Surtout qu’il était seul… Abdelghani se rend compte qu’il n’a rien fait de sa vie. Un amer constat. Certes, il possède un grand appartement à Sacré-Cœur, une belle voiture d’un vert métallique qu’il entretient avec amour et aussi des plantes qu’il soigne chaque matin avant de se rendre au travail.
Parfois, il joue au piano, pour s’occuper, pour briser le silence qui l’entoure. Avec retard, avec beaucoup de regrets, il s’est aperçu que tout ce qu’il avait, ne faisait pas le bonheur et que ce n’est pas l’essentiel dans la vie. Il n’aurait pas dû se consacrer à ses études et son travail. Il aurait dû regarder autour de lui, de se donner l’occasion de chasser la solitude de sa vie.
Abdelghani regrette de ne pas avoir laissé sa mère lui choisir une fille. Il aurait eu une vie normale, une femme pour le combler de tendresse, si ce n’est pas d’amour. Elle lui aurait donné des enfants. Il n’aurait plus été seul. Si sa vie familiale aurait réussi, sa femme et ses enfants auraient songé à marquer l’événement en fêtant ce jour.
Mais il n’y aura rien de cela. Abdelghani est seul et plus que jamais, il ressentait comme une douleur au fond de lui. Une douleur qui se ravivait à chaque année, quand il se rendait compte que le temps a encore passé et sans apporter un changement à sa vie, à mettre quelque couleurs sur les dernières pages qui restent dans le cahier de la vie.
Une vie marquée uniquement par l’obtention de diplômes en comptabilité et en économie, puis l’ouverture de son cabinet de commissaire aux comptes. S’il avait réussi dans sa profession, sa vie privée est un échec.
Enfin, il reconnaissait qu’il s’était donné corps et âme à son travail qui l’avait éloigné de sa famille, l’emmenant à Oran, à Ghardaïa, à Constantine ainsi qu’au Sud. Son travail l’avait séparé de sa mère, unique parent qu’il l’avait. Elle était morte alors qu’il était en mission à Oran. N’ayant pu être contacté à temps, elle avait été enterrée en son absence.
À son retour, la nouvelle avait terrassé Abdelghani. Sa mère était tout et il venait de tout perdre à son départ.
La présence de la famille et des amis l’aidèrent à se remettre. Ce n’est pas facile d’être orphelin à trente-trois ans. Certes, il est grand mais de n’avoir rien fait de concret en sa présence le chagrine toujours. Elle aurait été heureuse. Sûrement que là où elle est, elle se fait encore du souci pour lui !
Les deux années suivantes, Abdelghani se montra très courageux puis le vide qui l’entourait prit le dessus et le torturait depuis…
Sa secrétaire étant en congé de maladie, Abdelghani ayant beaucoup plus de travail que l’habitude put oublier, le temps de quelques heures, l’échec de sa vie qu’il entrevoyait chaque année en ce fameux jour où il était venu au monde.
Il trouve un peu de soulagement en se disant que son père mort durant la guerre de Libération et sa mère n’étant plus aussi de ce monde lui évitait de s’excuser et d’expliquer son échec.
À dix-sept heures, il perçut du mouvement dans le couloir. Les trois spécialistes qui avaient des cabinets au même étage que lui s’apprêtaient à partir. Abdelghani repousse d’un geste las le dossier qu’il a commencé à étudier. Il décide de ne pas mettre d’ordre sur son bureau. Dès demain, la remplaçante de sa secrétaire viendrait. Elle aura de quoi occuper sa matinée…
Il se lève et enfile sa veste. Il ouvre la fenêtre et ferme les volets. Dehors, il commence à pleuvoir, il vente un peu aussi.
Pour une fois, il se sent en plein accord avec le temps.
Tout en fermant les portes à clé avant de partir, il décide de ne pas rentrer chez lui tout de suite. Le silence qui allait l’accueillir ne fera que l’angoisser un peu plus.
Il choisit de se rendre au bar qu’il fréquente habituellement chaque jeudi soir pour noyer sa tristesse dans l’alcool. Le bar est situé non loin de son lieu de travail et son appartement.
Tout en s’y rendant à pied, il est surpris par une apparition qui le fige sur le trottoir. Il ne voit qu’elle et voulant se persuader qu’elle n’est pas une vision, il s’accroche des yeux à elle, indifférent à la pluie et aux gens qui le bousculent au passage…
A. K.
(À suivre)
13 août 2010
1.Extraits