ORAN… 5 JUILLET 1962 : LA VERSION D’UN PIED NOIR La nuit tomba sur Oran
La nuit tomba sur Oran. Le couvre-feu le plus pesant de toute l’histoire de cette ville s’abattit sur les Oranais encore assommés par ce qu’ils venaient de vivre. Les quartiers européens n’existaient plus, ils avaient été rayés de la carte. Oran la ville lumière, celle que l’on surnommait « l’Andalousie française », était morte…
A la radio française, le speaker annonça d’une voix calme :
« Quelques incidents se sont produits à Oran » et le journal du jour avait reproduit une déclaration de Ben Khedda qui, s’adressant aux Européens avait dit : « Nous appliquerons loyalement les accords d’Evian car les Européens ont leur place ici ».
A cet instant, toutes les pensées étaient dirigées vers la ville arabe où étaient retenus des centaines -peut-être des milliers- de Français. Une étrange lueur montait du village nègre en liesse. Quels sacrifices célébrait-on?
Au même moment, un grand gala avec la participation de nombreuses vedettes avait lieu sur la Côte d’Azur. Dans la joie, au son des orchestres, on dansa tard dans la nuit… comme on avait dansé à Versailles, pendant que la France perdait le Canada.
Le lendemain 6 Juillet, Oran se réveilla hébétée. Tous ceux qui avaient pu conserver la vie voulaient partir. Oui, fuir… quitter cette ville au plus vite et cette odeur de sang. Courir sans se retourner, et que tout cela s’efface à jamais, Seigneur Dieu…
Ce brusque retour à la sauvagerie, ces crimes d’une cruauté inconnue qui, en quelques heures, achevèrent de vider la cité, créèrent l’irréparable. Les Oranais se sentaient tellement menacés en ville qu’ils préféraient camper, entassés au port ou à la Sénia (aéroport), sous un soleil de plomb, dans des conditions absolument inhumaines. De jeunes enfants, des vieillards en moururent. Les avions étaient inexistants, les transports maritimes en grève.
Cette ultime brimade sonnait le glas des Oranais. On leur refusait les moyens de sortir de leur enfer ; on leur marchandait l’exode. Jamais! Jamais ils ne devraient oublier!…
Ce jour là, le journal « Le Monde » avait titré :
« LA CELEBRATION DE L’INDEPENDANCE DE L’ALGERIE »
Une fusillade éclate à Oran au passage d’une manifestation de Musulmans. La responsabilité de ces incidents entre Européens et Algériens n’a pu être établie ». Ce sera vite chose faite.
Tout comme les services officiels d’information, le général Katz laissa supposer que le massacre résultait d’une provocation attribuée à l’OAS. Pourtant un Musulman, le préfet d’Oran, M. Laouari Souiah, officiellement désigné par l’exécutif provisoire ne rejettera nullement la responsabilité sur l’OAS qui, faut-il le rappeler, n’existait plus à cette date. Il proclama à cet effet :
« Les événements de la veille sont le fait d’irresponsables qui seront sévèrement châtiés. »
Cependant, beaucoup refusaient encore le départ, attendant désespérément le retour d’un mari, d’un enfant, d’un frère disparus depuis la veille. Pour eux c’était l’attente inhumaine, sans nom. L’espoir était bien maigre, mais chacun s’y accrochait. Peut-être l’armée se déciderait-elle « enfin » à réagir et tenterait une opération de secours… une opération humanitaire pour sauver ces malheureux? Et dans toutes les administrations, aux commissariats, aux gendarmeries, à l’état-major de l’armée française, à la mairie, à la préfecture, les déclarations de disparition s’accumulaient. Des scènes déchirantes avaient lieu ; des mères terrassées par le chagrin et l’angoisse s’effondraient. En quelques heures, des milliers de noms furent enregistrées… mais le général Katz ne s’émut pas pour autant. Pire, au lieu d’ordonner une perquisition générale dans la ville arabe, alors qu’il en avait militairement les moyens, il affirmait que ces disparitions étaient l’œuvre de personnes « ayant quitté Oran dans la journée du 5 Juillet »
Ainsi donc, des pères, des mères, des enfants s’en seraient allés, séparément, au plus fort de l’émeute, sans prévenir personne, abandonnant leurs familles? De qui se moquait le « boucher d’Oran » ?
Et pour justifier son ignominieuse conduite, il déclara haut et fort que le nombre des disparus était exagéré et que l’OAS avait provoqué les incidents en tirant sur les Arabes…
Et pourtant, il était très facile pour l’armée française de sauver tous ces malheureux. Son effectif s’élevait, pour la seule ville d’Oran, à 18000 hommes qui demeurèrent inertes face à ce massacre. Il est à noter cependant que sur le millier d’officiers présents, moins d’une dizaine (dont le lieutenant Kheliff, d’origine algérienne) refusèrent d’obtempérer aux ordres indignes de la hiérarchie et se portèrent, la plupart du temps avec un effectif réduit limité à une section, au secours d’Européens, leur évitant ainsi une mort atroce. Par ailleurs, si les gendarmes mobiles -au lieu de se contenter d’investir les quartiers européens- avaient poussé leur progression vers la Ville Nouvelle (quartiers arabes), ils auraient libéré en un rien de temps les centaines, voire les milliers de pauvres gens retenus captifs. Toutes les exécutions n’avaient pas encore eu lieu et ce ne fut que les jours suivants, pour effacer toutes traces, que les victimes furent massacrées et dépecées quand elles ne furent pas acheminées dans des endroits tenus secret pour y être réduites à l’esclavage et à la prostitution. D’autre part, dans les témoignages qui affluaient de toute part, les autorités militaires notaient qu’il était souvent question du « Petit Lac ». Des exécutions en série y avaient lieu.
Le « Petit Lac », était un endroit situé à la périphérie d’Oran, en plein quartier arabe. C’était une grande étendue d’eau salée qui servait de dépotoir clandestin et aux abords duquel aucun Européen ne s’aventurait jamais depuis plus d’un an. Bientôt des camps furent dressés où furent parqués les « disparus », survolés en cela par l’aviation française, ce qui ajoutait à la torture physique des malheureux, la torture morale qui était d’espérer et d’attendre l’intervention de l’armée française. Pourtant, ils y croyaient fermement car, comble d’ignominie, à proximité de leur univers concentrationnaire, existait un camp militaire français dont la sonnerie du clairon leur parvenait distinctement matin et soir. Que d’horribles, que d’épouvantables hurlements ces militaires français ont-ils du entendre des jours durant, eux qui étaient terrés derrière leurs remparts de barbelés, l’arme au pied, attendant la quille prochaine!…
Mais la grandeur gaullienne ne s’abaissa pas à donner les ordres nécessaires pour sauver ces sacrifiés et les cadres de l’armée respectèrent les ordres reçus de ne pas intervenir, abandonnant ceux qui n’étaient plus que des morts en sursis, oubliant que, pour des raisons similaires, on condamna à la fin de la seconde guerre mondiale, les officiers allemands qui ne s’étaient pas opposés aux ordres d’Hitler. Ils sauvèrent ainsi leur carrière, certes! Plus tard, colonels et généraux, couverts de titres et de médailles usurpés, ils se prélasseront et se féliciteront de leur « bon choix ». Mais, où est leur honneur? Que devient une armée sans honneur?
Le samedi 7 Juillet, le journal Le Monde annonçait : « Une trentaine de personnes tuées au cours des incidents de jeudi ». Page 2, dans son développement, l’information passait au conditionnel : « La fusillade d’Oran aurait fait plus de trente morts » et France-Soir, pour sa part, ne parlait que de « nombreux blessés » (!)…
Pourtant à trois reprises sur les ondes de la radio, M. Souiah, le Préfet d’Oran, avait déclaré : « Nous ne pouvons tolérer de pareils actes criminels à un moment où il est demandé une mobilisation générale de toutes les énergies saines ». Comme la veille, il rejeta la responsabilité de l’émeute sur des éléments provocateurs, mais à aucun moment il ne fit allusion à la défunte OAS. La rancœur de Katz était sans bornes. Mais le préfet n’en resta pas là. Pour mieux se faire comprendre, il donna l’ordre de désarmement aux éléments incontrôlés, annonçant des mesures très sévères à cet effet. Le coup de grâce était assené au « boucher d’Oran » qui, dit-on, faillit manger son képi.
Le préfet, lui, un chef de la rébellion venait de confirmer devant la presse internationale que les « éléments incontrôlés » n’étaient pas le fait d’irréductibles de l’OAS… alors qu’il lui aurait été facile de le laisser croire à l’opinion. De plus, si la presse française, dans son ensemble (hormis le journal L’Aurore), continuait de mentir sur les événements du 5 Juillet, les Arabes eux-mêmes, pris d’un certain sentiment de culpabilité -et peut-être de honte- se livrèrent à quelques déclarations. C’est ainsi que dans « L’Echo d’Oran » du 9 Juillet, page 6, le Docteur Mustapha Naid, directeur du Centre Hospitalier d’Oran, parlait déjà de 101 morts européens et de 145 blessés, sans compter les disparus. On était encore très loin du compte mais on y venait peu à peu…
Le mardi 10 Juillet sera un jour noir pour le « boucher d’Oran ». Tous les journalistes présents furent conviés à une conférence de presse du capitaine Bakhti, le responsable de la zone autonome d’Oran. Il s’agissait de faire la lumière sur les récents événements.
Vers dix huit heures, au lycée Ardaillon, le capitaine annonça que tout le monde allait être conduit en un lieu où étaient détenus plus de deux cents bandits responsables des massacres. Cette nouvelle fit sensation. Katz pâlit, il était effectivement sur le point de croquer son képi. Toutefois un espoir subsistait… Bakhti avait parlé de bandits sans indiquer leurs origines. Peut-être s’agissait-il de « désespérados » de l’OAS ?… Peut-être avait-il eu « l’idée » de puiser dans la masse des « disparus » européens ces deux cents bandits que l’on aurait facilement fait passer pour des activistes?…
Quelques minutes plus tard, les journalistes prirent la direction de Pont-albin, un petit village situé à une dizaine de kilomètres d’Oran où étaient installés les détachements de l’ALN. Là, le capitaine Bakhti leur présenta les deux cents meurtriers qui, expliqua t-il, composaient un gang d’assassins de la pire espèce dans les faubourgs du Petit Lac, de Victor Hugo et de Lamur. Ce furent -aux dires de l’officier- eux qui provoquèrent le massacre.
A leur tête, se trouvait un assassin notoire -une bête sanguinaire- : Moueden, dit Attou, connu pour son caractère particulièrement violent et sauvage et sa cruauté qui lui procurait une indicible jouissance.
Bakhti expliqua que lors de son arrestation, ce bandit tenta de résister et fut abattu. De plus, deux tonnes de matériels de guerre, armes et fournitures diverses, furent récupérées ainsi que des quantités d’objets volés aux Européens le 5 Juillet et les jours précédents. Ce fut là la version officielle reprise en toute bonne foi, sur le moment, aussi bien par les journalistes de la presse internationale, que, plus tard, par d’éminentes personnalités telles que Claude Martin, Marcel Bellier, Michel Pittard qui relatèrent cette tragédie. En outre, cette version officielle fut confirmée -trente ans après- par le général Katz, en personne, dans son recueil d’ignominies et d’infamies : « L’honneur d’un général ».
Pourtant, un premier coup de théâtre sema le trouble parmi ceux qui avaient travaillé sur le sujet.
Le 6 Juillet 1972, le journal « RIVAROL » révélait sous la plume du Docteur Jaques Couniot, que « le dit, Attou, se portait comme un charme et qu’il était même (ça ne s’inventerait pas) employé aux Abattoirs municipaux d’Oran », ajoutant même à l’adresse d’Attou : « Un homme, vous le voyez, dont la vocation est indéracinable »…
Les choses en seraient restées là s’il n’y avait pas eu, en 2002, la parution d’un ouvrage remarquable intitulé « Fors l’Honneur », qui contait la guérilla OAS à Oran en 1961/62 et dont l’auteur n’était autre que Claude Micheletti, responsable du Renseignement au sein de l’Organisation oranaise.
Second coup de théâtre : P. 215, nous apprenions avec stupéfaction que le sinistre Attou ne pouvait être, le 5 juillet, à la tête des tueurs dès lors qu’il avait été abattu quelques semaines plus tôt par un commando de l’OAS. Faisant preuve d’un scepticisme bien légitime après 40 ans de désinformation, je m’en ouvrais directement à l’auteur qui, avec compréhension, m’apporta les éléments qu’il était le seul à détenir.
De plus, à l’appui de ses explications verbales, il me fit parvenir, pour exploitation, une liasse de documents originaux « top secrets », émanant de sources officielles de l’époque, notamment du FLN/ALN et de la gendarmerie « blanche ».
Concernant le triste sire Attou, sa férocité était telle qu’il répandait la terreur au sein même de sa bande de tueurs…
Pour un mot, un geste, un rien, il torturait à mort ses propres coreligionnaires, femmes et enfants inclus, trouvant dans les délices des sévices une jouissance indicible…
L’écho de ces excès ne manqua pas de parvenir aux sphères dirigeantes de la rébellion qui, à maintes reprises, « avertirent » Attou de réfréner sa frénésie hystérique sur la population musulmane. Rien n’y fit! Le sang l’enivrait et le meurtre, chez lui, était profondément enraciné.
Les recommandations -voire, les réprimandes- adressées par la hiérarchie n’ayant aucun effet sur ce tortionnaire, en « désespoir de cause », le FLN décida de « lâcher » Attou en le livrant à la gendarmerie « blanche » française. Cependant, convaincue que ce dernier serait aussitôt libéré s’il était présenté à un juge ; las de rédiger des P.V mortuaires où les sévices du dénommé Attou gagnaient chaque jour en raffinements et ulcérée de constater les connivences dont profitaient les égorgeurs patentés, la gendarmerie informa, le 24 Avril 1962, le 2ème Bureau de l’OAS (Renseignements) dirigé par Claude Micheletti et lui livra l’intéressé. De ce jour, Mouedenne Attou, né le 17 Août 1921 à Thiersville, C.I n FU68038, n’eut jamais plus l’occasion d’exercer ses cruautés…
Par ailleurs, de Pont-Albin où avait été organisée la mascarade, aucun journaliste ne fut convié à se rendre en Ville Nouvelle et au Petit Lac, là précisément où les survivants étaient regroupés avant d’être exterminés…
Ainsi, malgré le grotesque de cette mise en scène qui consista à faire endosser à un mort la responsabilité exclusive du génocide du 5 juillet, avalisée en cela par un général Français, il fut officiellement confirmé qu’aucun Européen ne fut à l’origine de l’émeute sanglante.
Un journaliste demanda au capitaine Bakhti pourquoi le gouvernement français tenait-il tellement à faire rejeter la responsabilité du massacre sur des éléments de l’OAS qui n’existait pourtant plus. L’officier répondit dans un sourire amusé que le gouvernement et ceux qui le servaient –sous entendu, le général Katz- détenaient, seuls, la responsabilité de leurs propos… ce qui fit dire tout haut à un journaliste Pied-Noir, à rencontre de ses confrères :
« Si le 26 Mars, pour la fusillade de la rue d’Isly, vous êtes arrivés à faire croire que c’était l’OAS qui avait ouvert le feu sur la foule… cette fois-ci, c’est râpé »
D’après certaines « mauvaises langues » de l’entourage de Katz, il paraîtrait que le valeureux général n’en dormit point de la nuit…
Le 11 août 1962, l’Echo d’Oran informait ses lecteurs que la décharge du « Petit Lac » allait disparaître :
« Le gouvernement algérien a commencé son œuvre de salubrité. Cela représente quinze hectares d’immondices de cinq mètres de haut. L’odeur qui s’en échappait était devenu insoutenable. »
Bien qu’une partie du « Petit Lac » subsiste encore aujourd’hui, ainsi seront murés définitivement les tombes des torturés, des lynchés, des égorgés du Village Nègre du 5 juillet et la trace de cet odieux holocauste à tout jamais effacée.
Les victimes de cette journée meurtrière avaient été évaluées officiellement à trois mille personnes, disparus inclus, et quand on sait avec quelle parcimonie le gouvernement diffusait ses informations, on tremble à l’idée de ce que pourrait être le véritable bilan de ce génocide. On ne connaîtra jamais le nombre exact des morts, des blessés et des disparus ; la France ne le dira probablement pas… en admettant qu’elle ne le connaisse jamais.
Ces morts, les Français ne les ont guère pleurés. Il est vrai qu’ils ne surent pas grand chose de leur fin tant les organes d’information, et les responsables politiques, heureux d’avoir retrouvé « enfin » la paix, se gardèrent bien d’assombrir les multiples réjouissances. Après tout, il ne s’agissait là que de victimes Pieds-Noirs, de colonialistes et de sueurs de burnous. On leur avait tant répété durant sept ans que la guerre d’Algérie n’était rien d’autre que la révolte des pauvres indigènes opprimés contre les « gros colons », qu’ils ne pouvaient éprouver la moindre compassion à l’égard de ce million de nantis européens. Ils méritaient leur sort, voilà tout!… Et la France, Patrie des droits de l’homme, ferma les yeux et tourna la page.
José CASTANO
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LES CAUSES HISTORIQUE DES MASSACRES DU 5 JUILLET 1962 A ORAN. Cliquez sur : Lire la suite
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- 5 Juillet 1962 et le massacre des harkis : La fin de l’Algérie française (cliquez) :
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12 août 2010
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