Le pays, l’bled ou tamurt, si vous préférez, a changé ces trente dernières années. On ne va pas remonter à l’indépendance, ça ferait trop nostalgique du passé. Alors, parlons de ce présent qui se conjugue avec le bâti. On construit. De nombreux Algériens se sont transformés en «constructeurs-architectes-ingénieurs-urbanistes» ; vous les entendrez vous parler du calibre 18 pour les fondations, du 14 pour ceci et du 12 pour cela, en vous assénant en conclusion sur un air d’expert: «c’est garanti antisismique» ! Une seule certitude : la vérification aura lieu, en situation réelle, lors du prochain séisme.
Sur tout le territoire donc, on construit. On ne construit pas que des cités, type dortoirs pour rurbains. On construit des maisons individuelles d’Est en Ouest, du Nord au Sud. Individuellement, minimum «R+1» mais, en général, c’est «R+2» et davantage avec, au rez-de-chaussée, l’incontournable rideau métallique qui va permettre d’ouvrir un commerce. N’importe quel commerce. Même que le commerce ouvre, en général, avant que la maison ne soit achevée. D’ailleurs, on a l’impression très forte, où que l’on aille, que l’Algérie est un chantier permanent. Que de maisons inachevées ! Que de chantiers en cours ! Certaines bâtisses font penser à la Colombie ou au Brésil. Murs de cinq à six mètres de hauteur, barbelés au sommet, caméras de surveillance et panneau «Chien méchant». La totale.
Bien sûr, il y a nettement plus modeste.
Ils se situent dans la catégorie «R+2», ce qui n’est pas peu. Faut de l’argent. Il paraît que nombre de ces gens-là se serrent la ceinture pour construire ce que l’on appelle prosaïquement «le tombeau de la vie». Ils se la serrent tellement qu’ils ne mangent plus à leur faim, évitent la viande, les friandises, tout ce qui coûte cher, y compris en habillement pour se contenter de pain, de lait, d’oignons, légumes secs, genre loubia, d’œufs et, de temps en temps, un peu de poulet. Ce minimum alimentaire justifierait, selon d’acerbes observateurs, qu’ils se rattrapent sur la viande durant le Ramadhan ou durant les fêtes familiales.
Au-delà de ces propos droitiers, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette consommation effrénée de ciment et de béton, et donc des sommes d’argent colossales que cela draine. Finalement, chaque propriétaire d’un tombeau de la vie est millionnaire. Au moins. A côté de ce parc immobilier impressionnant, il y a aussi le parc roulant domestique. C’est le salon de l’auto de Paris et de Genève réunis que l’on observe sur les routes. Cet autre signe d’aisance sociale est frappant. Et dire qu’autour de nous, l’on n’entend que plaintes et jérémiades, à tous les niveaux de l’échelle sociale. A moins que nos congénères ne soient de fieffés menteurs et des hypocrites parfaitement coulés dans de l’acier inoxydable. La richesse exhibée ne serait alors qu’un cache-misère spirituel.
12 août 2010
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