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Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons (1re partie)

10 août 2010

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Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons (1re partie)

Par Yacine Téguia*
Pour l’historien anglais, Eric Hosbsbawn, «l’histoire est plus que jamais révisée ou même inventée par des gens qui ne souhaitent pas connaître le passé véritable, mais seulement un passé qui s’accorde à leurs intérêts. Notre époque est celle de la grande mythologie historique ».

La publication d’une biographie d’Amirouche par Saïd Sadi s’inscrit dans ce contexte drainant sa part d’enjeux politiques et géopolitiques plus ou moins clairs ou assumés mais aussi des questions légitimes.
C’est pour cela qu’elle suscite tant de controverses. En effet, des rectifications historiques sont parfois nécessaires. Car oui : les contraintes que le pouvoir algérien fait peser sur l’écriture et l’enseignement de l’histoire sont réelles. Encore oui : il y a nécessité de connaître la vérité historique et d’en finir avec les mensonges de l’histoire officielle. Et toujours oui : il faut refuser l’isolement de l’histoire, tout en rejetant l’interaction actuelle entre l’histoire et le pouvoir, c’est-à-dire la légitimité historique. Pourtant, Louisa Hanoune refuse qu’un débat ait lieu et a lancé pour disqualifier Sadi : «Seuls les historiens doivent écrire l’histoire.» Elle sera ignorée, comme, avant elle, trois historiens et Ali Kafi qui aurait dû se rappeler sa fonction présidentielle avant d’avoir l’imprudence de brandir cet interdit et de verser dans la confusion. Pierre Vidal-Naquet pour qui «l’historien n’est jamais dissociable du citoyen» a détruit l’argument qui veut réduire le livre de Sadi à un alibi historique pour intervenir dans le débat politique. Et pourquoi pas ? C’est le reproche inverse qui aurait pu être fait à Sadi, à savoir non pas de se mêler d’histoire, mais de donner le sentiment qu’il pourrait renoncer à la politique. Et c’est bien qu’il dépasse ce moment où le RCD avait décidé de geler ses activités, après l’élection présidentielle de 2004, et où il s’était plongé dans le silence. L’attraction que les sciences humaines exercent sur les politiques, la reconversion de certains d’entre eux en historiens ou géopoliticiens, leur permet, parfois, d’échapper au thème de la mort du politique que paradoxalement ils contribuent à répandre. Las, Aït Ahmed, dans un des ses derniers messages au FFS, n’écrit-il pas : «Le pays est malade du vide politique» ? Des critiques ont tenté de jeter le discrédit sur la personnalité et le combat politique de Sadi, mais en trahissant le rapport qu’ils entretiennent avec l’opposition démocratique. Lakhdar Bensaïd vient de s’illustrer en lançant que le père de Saïd Sadi serait un harki, espérant frapper de suspicion patriotique son travail ! Avant lui Benachenhou parlait des «thèmes récurrents, trop connus, car toujours répétés jusqu’au dégoût, par tous ceux qui se piquent d’action dans l’opposition ». Le militantisme de l’auteur étant réduit à une espèce de coquetterie, il ajoutait qu’«Amirouche a été choisi comme thème de base de son écrit parce que c’est plus productif politiquement d’utiliser un héros local pour construire son instrument de lutte politique que des héros nationaux.» L’objet du débat, à son tour mis en cause, il restait à faire le procès du débat lui-même, pour mettre Sadi en contradiction avec son engagement démocratique. Et Benachenhou de donner des leçons de libre débat. Seuls ceux qui en ont si peu l’expérience peuvent attendre qu’on en fixe définitivement les termes, les limites et surtout la forme. Enfin, quand tout est épuisé, on en revient aux vieilles accusations de régionalisme. Sadi ferait une espèce de fixation sur la Kabylie. Il se présente comme un «homme politique originaire de Kabylie», rappelle que Ben Boulaïd recommandait «de se tourner vers les frères kabyles si quelque malheur lui arrivait», présente la Wilaya III comme «la plus organisée», celle dont les services de santé étaient les plus performants… Si on néglige la manière dont le pouvoir a procédé à une substitution identitaire, en tournant le dos à l’algérianité, en se livrant à des provocations contre la Kabylie dont seule la mobilisation a pu arracher la constitutionnalisation de tamazight, on pourrait s’offusquer devant une réaction passionnée. Mais, on ne peut pas prendre prétexte de la forme pour rejeter le fond de la cause amazighe, en particulier le fond démocratique largement partagé aujourd’hui dans la société, y compris à Sidi Salem, dans la wilaya de Annaba, où des jeunes protestataires ont été accusés d’avoir brûlé le drapeau algérien alors qu’ils avaient brandi un drapeau symbole de la lutte pour tamazight pour exprimer leur solidarité et leur attente de solidarité de la part de tous ceux qui luttent pour la démocratie dans notre pays. Surtout, on ne peut pas ignorer que Sadi rappelle que, pour Amirouche, il était manifeste que «l’entité algérienne transcende tous les aléas sociologiques, qu’ils soient culturels ou politiques ». Est-ce parce qu’il évoque «Amirouche le chef kabyle», qu’on peut présenter le livre de Sadi comme une espèce d’addition d’aigreurs acoquinées par une exaltation presque mystique d’un Amirouche «chef officieux des maquis de l’intérieur», «homme insaisissable» doté d’un «don quasi animal à détecter le danger», «un être à part», «au-dessus de tous» ? A la décharge de Sadi, cette façon d’évoquer Amirouche, en biographe extasié, prend le pouvoir à son propre jeu. Le moindre trait négatif chez Amirouche est réduit à la propagande de Boumediène, comme hier le moindre aspect négatif de la guerre d’Algérie était réduit à une manipulation française. On peut y percevoir un phénomène d’identification entre l’auteur et son sujet, mais, quand on personnalise l’histoire — comme l’a fait le pouvoir avec «les historiques » — les seules catégories qui peuvent exister sont les martyrs, les traîtres et les oubliés. C’est finalement le pouvoir qui — comme hier la France — pousse la société à produire des héros et Sadi analyse avec justesse ce processus en partant de sa propre expérience. Mais si le livre de Sadi formule, surtout, une accusation contre Boussouf et Boumediène — suspectés d’avoir trahi Amirouche — il n’apporte guère de révélations, ce qui témoigne de l’échec de ceux qui ont voulu manipuler l’histoire. Du coup, même au FLN, le très conservateur Salah Goudjil, commissaire politique de son état et un des principaux artisans du sinistre article 120, sent le vent tourner et signe une pétition pour qu’on permette à chacun de pouvoir contribuer, en toute liberté, à l’écriture de l’histoire. On peut se réjouir de cette nouvelle attitude, mais on peut craindre, cependant, que ce soit, aussi, parce que l’empathie de Sadi et sa façon de se laisser aller à la pente victimisante peuvent être aussi stériles que l’histoire officielle. Le premier responsable du RCD est-il pour autant un mauvais Algérien ? Un bleu envoyé en mission au moment où s’opère, en France, une espèce de tournant interprétatif et même un révisionnisme radical qui amène d’autres à traiter des «aspects positifs» de la colonisation ? On a vu la polémique qu’a pu provoquer la projection de «Hors-laloi » au festival de Cannes ou avant, en Algérie, pour les raisons inverses, le documentaire de Jean-Pierre Lledo ainsi que les romans de Boualem Sansal ou d’Anouar Benmalek ou les déclarations du sénateur Habibi qui estime que le chiffre de un million et demi de martyrs est surévalué. On pourrait rejeter Sadi comme tenant d’un état d’esprit réactionnaire, en s’appuyant sur une dénonciation de ses erreurs et oublis historiques intéressés. Mais Sadi mérite mieux que cela, même si on peut s’interroger sur les circonstances de la mort d’Amirouche et dénoncer la séquestration de son corps, sans devoir pour autant accuser Boussouf et Boumediène. On peut même tenir compte de certaines des accusations de Sadi sans lui reprocher une idée arrêtée sur leur compte, comme l’a fait le bureau de l’association des anciens du MALG et, surtout, sans en tirer la conséquence que la guerre de libération serait devenue suspecte et qu’on devrait lui tourner le dos. La polémique empêche, somme toute, qu’Amirouche devienne consensuel, que toute la société se l’approprie. Au final, on ne saurait ni accepter, ni rejeter en bloc le livre de Sadi (surtout en refusant de le lire !), il faut le critiquer. Il faut en débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons. Et si Boussouf ou Boumediène ne sont pas au-dessus de la critique, Amirouche ne l’est pas non plus. Pas plus Sadi d’ailleurs.
La question de l’écriture de l’histoire
L’universitaire Ounassa Siari- Tengour rappellait que «dans construction d’une histoire à cheval sur la vie privée et sur la vie publique, il y a toujours un risque de succomber à la subversion du récit vécu et livré par un témoin et de céder à la tentation de faire revivre un passé au lieu de l’expliquer ». Dans sa biographie, Sadi fournit une documentation assez faible. Son livre peut être considéré comme destiné à perpétuer la légende du chef de Wilaya III. Cette démarche est digne de l’école romantique qui assignait aux héros le rôle de direction dans l’histoire de l’humanité. Mais elle doit aussi correspondre à une certaine conception de l’action politique, qui n’est pas propre au premier responsable du RCD, mais avec des conséquences sur la reproduction des élites dans sa propre organisation. Sadi insiste souvent sur ses 40 ans de recherches, donnant l’impression d’avoir été, durant ce temps, dans une véritable quête. Cependant, sa bibliographie est limitée, très récente et constituée pour l’essentiel de témoignages. Or, Gilbert Meynier le dit : la mémoire n’est pas l’histoire l’histoire n’est pas la mémoire elle en est même dans un sens le contraire». Les souvenirs purs n’existent pas : tous les souvenirs sont des reconstructions déterminées par des appartenances sociales, passées et présentes. Un historien français même élaboré le concept de «mémoires-écrans qui fonctionnent comme des censures d’autres souvenirs du passé». Si la polémique actuelle traduit cette joute des mémoires, elle exprime d’abord et surtout le besoin de mémoire, au moment où l’oubli et la trahison avancent, à grands pas, à travers la condamnation à mort de Mohamed Gharbi, ce moudjahid qui avait repris les armes pour combattre le terrorisme islamiste. Une approche scrupuleusement scientifique conduira à la révision d’un grand nombre de vues concernant la guerre de libération et devra inciter à une étude intensive des documents disponibles et de ceux, inédits, conservés dans les différentes archives. Et, Anissa Boumediène, qui a eu le privilège d’accéder à certaines d’entre elles, devrait en faire partager l’accès. Quant à la barbarie islamiste, l’Etat —qui détient une somme immense de preuves et documents — devrait les livrer l’opinion publique. Pas uniquement pour des besoins de mémoire mais pour que justice soit enfin rendue, contre les bourreaux et non pas contre les victimes! En histoire, une théorie renvoie à une typologie : lutte des classes, conflit ville/campagne… Celle de Sadi c’est victime/bourreau dans laquelle les victimes représentent le bien et les bourreaux le mal. Sadi nous appelle tous à «assumer notre part de la responsabilité, qu’elle soit active ou passive, dans le désastre national». Après les sermons sur la tragédie nationale, il paraît, peut-être sans y prendre garde, reprendre un thème de Bouteflika qui, face au terrorisme islamiste, a d’abord dit que tous les Algériens étaient des victimes, y compris les terroristes qu’il disait comprendre, avant de considérer que ces mêmes Algériens étaient tous coupables. Finalement, il renverra dos à dos ce qu’il considère comme deux extrémismes : les laïcs et les tenants de l’Etat théocratique. Dans une interview au Matin, en août 1999 — justement au moment où se dessinait le projet de concorde civile que soutiendra le RCD — Benjamin Stora considérait que Boutefilka était en train de réorganiser «la mémoire collective après 40 ans de confusion idéologique et de perte d’une histoire réelle… pour occuper pratiquement seul un espace symbolique et imaginaire, celui de la nation et du nationalisme ». Alors que le besoin de dépasser certaines étroitesses historiques est une exigence que Bouteflika ne peut pas prendre en charge de façon conséquente, Sadi ne semble pas prêt à rompre, lui non plus, avec l’idée du 1er Novembre comme unique événement fondateur. Il est cependant perturbant de constater que Bouteflika peu aller plus loin que lui, même si c’est à son seul bénéfice. On a pu observer que ce dernier a baptisé un aéroport du nom de Messali Hadj, qu’il a inauguré une stèle à la mémoire du GPRA, que le centenaire de la naissance de Ferhat Abbas a été l’occasion de sa réhabilitation ou que les pieds-noirs sont revenus. Même les hommages rendus aux communistes Henri Maillot, Fernand Yveton et Maurice Audin ont pris une dimension moins confidentielle depuis que s’y associent des milieux patriotiques qui s’en tenaient à distance jusque-là. On se trouve ainsi entre remise en cause du silence et réhabilitation tous azimuts, ce qui met dans l’embarras de nombreuses forces. Certaines parce qu’elles refusent les amalgames, d’autres parce qu’elles rejettent toute idée de remise en cause de l’histoire officielle, ne se rendant pas toujours compte à quel point le discours sur la réconciliation nationale, qu’elles soutiennent, est venu se substituer à celui sur la légitimité historique, pour défendre des intérêts aussi étroits que ceux qu’ils ont toujours défendus. Surtout au sein du FLN dont Bouteflika est pourtant président. On note la publication des mémoires controversées d’Ali Kafi, la polémique de Ben Bella sur Abane Ramdane ou la sortie de Chadli sur la base de l’Est et la mort du colonel Chabani. Même en France, le débat historique a connu des évolutions. On relève ainsi la publication des témoignages de Louisette Ighil Ahriz, des généraux Massu, Bigeard, Aussaresses, les révélations sur Le Pen, le fait que le général Schmit a été accusé de torture. Le tout a été rapporté par Florence Beaugé dans le quotidien Le Monde. La loi sur les essais nucléaires ou les propos de l’ambassadeur de France qui reconnaît en 2005 que le massacre de Sétif en 1945 était inexcusable sont des signes que les choses changent, malgré les nostalgiques de l’Algérie française qui restent très actifs. Plutarque disait : «Il est politique d’enlever à la haine son éternité.» Mais, justement parce que la réconciliation est une question politique, il y a autant de réponses à cette exigence qu’il y a d’intérêt en jeu. Chacun veut donc en livrer sa conception, en instituant les partenaires légitimes, en fixant le rythme et en posant ses limites: historique, nationale… globale. Sadi paraît donc s’inscrire dans un large courant qui revisite l’histoire, parce que la vérité est une exigence de la réconciliation. Cependant, il ne s’appuie pas sur la méthode historique qui suppose une critique externe (les documents ou les témoignages qu’il produit sont-ils vrais ou faux ?) et une critique interne (ces témoins se trompent-ils ? Nous trompent-ils ? Et si oui pourquoi ?). Une telle critique aurait été un signe fort d’une volonté de s’élever au-dessus des enjeux politiciens immédiats pour poser la problématique plus générale du projet de société. D’autant que la réflexion critique sur l’histoire a commencé depuis longtemps. Un symposium intitulé «l’Algérie 50 ans après 1954-2004, l’état des savoirs en sciences sociales et humaines» a été organisé par le CRASC à Oran. Il avait été précédé de deux autres colloques en 1984 et en 1999. Dans une des publications auxquelles ont donné lieu ces rencontres, Omar Lardjane affirme qu’en vérité «le problème aujourd’hui n’est pas dans la question du paradigme mais plutôt celle plus fondamentale et plus complexe des conditions culturelles générales que supposent et requièrent l’existence et la pratique des sciences sociales», dont l’histoire. La démocratie pouvant, certainement, être considérée comme une de ces conditions sans laquelle les questions historiques resteront des questions politiques, dans leur acception la plus utilitaire, l’autre versant de la légitimité historique. Dans un article de la revue Insaniyat, dans lequel il traite de l’intervention institutionnelle et de son impact sur la pratique historiographique, Hassan Remaoun explique précisément comment la politique de réécriture s’est attachée à «valoriser une identité algérienne ayant pour racines les «tawabit» ou «constantes» héritées d’un passé qu’on tend à réduire au «caractère arabo-islamique. » Il montre aussi que le mot d’ordre d’écriture visait à légitimer le pouvoir politique. Ainsi, malgré tous les efforts du pouvoir, tous les intellectuels n’adhèrent pas à sa conception de l’histoire. D’ailleurs, alors qu’il avait espéré plus de coopération, Boumediène concluait, dès 1968, que «les intellectuels algériens n’ont pas joué le rôle attendu dans ce domaine». Voilà qu’à son tour, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Sadi évoque le «silence des élites» et le naufrage intellectuel». Peut-être n’était-il pas au courant des travaux évoqués plus haut ? Il serait plus surprenant qu’il ait oublié les réactions aux accusations de Ben Bella et Ali Kafi contre Abane Ramdane. En riposte, le mouvement citoyen avait organisé une rencontre, à Larbaâ Nath Irathen, à laquelle avaient participé Réda Malek, le Commandant Azzeddine et Hachemi Chérif. Le secrétaire général du MDS publiait même un texte intitulé «Abane, toujours vivant» dans lequel il écrivait en réponse à l’attaque de Ben Bella : Sa caractéristique majeure est que cette «critique» prend sa source à partir de positions conservatrices et islamistes. Ben Bella s’abîme ainsi dans la cause islamiste conservatrice qui l’a appelé à sa rescousse comme «historique» pour attribuer la paternité du Congrès de la Soummam en ce que ce Congrès a de condamnable à leurs yeux, c’est-à-dire à la Kabylie et à Abane, Kabyle ès qualités, accabler les Kabyles et attiser leur orgueil déjà fortement provoqué par le comportement du pouvoir, contenir la revendication démocratique moderne à la Kabylie (exactement le scénario sur lequel travaille Bouteflika avec qui il est en parfait accord sur la question !). Les élites n’ont donc pas manqué à leur devoir sur les questions d’histoire et sur la critique du pouvoir. On peut, alors, se demander au profit de quelle cause Sadi voudrait mettre ainsi ces élites sur la défensive. Veut-il les enjoindre à ne pas poursuivre un combat qui a permis l’édification de l’Etat algérien puis contribué à le sauver du péril islamiste ? Le voilà encore qui fustige «les étudiants appartenant aux courants qui gravitaient à la périphérie du pouvoir et qui puisaient dans sa besace idéologique quand il fallait déverser les anathèmes officiels sur l’opposition». Il semble tellement en vouloir à ces camarades du PAGS, pourtant auto-dissous, en guise d’autocritique radicale, qu’il ajoute, paraissant craindre un retour de ses vieux démons : «l’intellectuel algérien n’a pas seulement démissionné, il a trop souvent accompagné ou précédé le pire». Cela fut particulièrement vrai pour les communistes qui, après avoir été durement réprimés, ont systématiquement revendiqué et assumé le statut de «soutien critique » des «autocrates». Ce genre d’emportement risque de ruiner le crédit de sérieux que le lecteur de bonne volonté peut conférer à son entreprise historique, surtout s’ils donnent lieu à des accès de fureur comme ceux qu’ont eu à essuyer les étudiants de Béjaïa, lors de l’une des conférences organisées à l’occasion de la sortie du livre.
Y. T.
(A suivre)
*Membre du Mouvement démocratique et social

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/08/10/article.php?sid=104360&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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2 Réponses à “Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons (1re partie)”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Contribution : Contribution
    Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons (3e partie et fin)

    Par Yacine Téguia*
    Le désir de vérité
    Le besoin de comprendre est très fort en ce moment. Il dépasse le cadre de l’histoire. Nous sommes, nous dit-on encore une fois, dans un contexte de crise de confiance dans le pouvoir —qu’Ali Kafi alimente en disant qu’il ne sait pas où on va.
    Les affaires de corruption prolifèrent et tournent à la lutte des clans, nous assurent certains. Le chef de la police est assassiné dans son bureau ce qui donne lieu à une enquête pour le moins troublante tandis que le gouvernement qui vient d’être changé accueille un nouveau vice-Premier ministre dont les fonctions ne sont pas encore déterminées, situation tout à fait originale. En vérité, la crise de la nature de l’Etat a évolué sans connaître son dénouement. Dans de telles conditions, on pourrait estimer, comme l’historien Jean-Pierre Rioux, que «cette désunion spectaculaire et querelleuse de la mémoire collective masque une crise sociale de la temporalité autrement plus grave… une fracture temporelle s’élargit dans la société… Elle laisse libre cours au présent, elle ignore ou récuse l’avenir comme l’au-delà et, du coup, elle instrumentalise à tout-va le passé l’histoire et la mémoire des êtres, des groupes sociaux et de la nation. Cette rupture est grave car, on le sait bien, l’état du souvenir conscient et organisé, l’état de marche d’une mémoire sont subordonnés à celui d’un avenir plausible et non à celui d’un présent brumeux ou d’un passé coupable». Face à l’opacité du présent, il faut donc s’interroger sur les projets de chacun pour mieux en comprendre la vision du passé, dans la perspective du rassemblement et du débat auquel appellent de nombreux acteurs du camp démocratique. Le responsable du RCD évoquant, lui-même, un débat républicain, le CCDR parlant d’un débat citoyen et le FFS d’un débat entre les forces représentatives. Le débat ne concernerait pas certaines forces. Soit. Chez Sadi, les ennemis politiques ne doivent pas seulement être rejetés, ils sont même niés puisqu’ils deviennent coupables du point de vue de l’histoire et moral. Le biographe d’Amirouche dépolitise la question de Boumediène. Il est ainsi dans une stratégie qui prolonge le procès intenté par le RCD à l’occasion de la présidentielle de 2009. A dissimuler l’adversaire politique derrière le rideau du juridisme moral, on construit un obstacle à l’élaboration d’un compromis. Avec qui le faire, s’il n’y a plus d’adversaire ? Est-ce une ruse destinée à ramener la société précisément à négocier avec cet adversaire, en se justifiant d’une intransigeance première ? Rappelons-nous que juste avant de rejoindre le gouvernement, Sadi dénonçait «la dernière fraude du siècle». Mieux encore, on peut évoquer comment l’islamisme qui dénonçait le taghout, a ajouté «la critique par les armes aux armes de la critique », pour finalement accepter la réconciliation nationale… en contrepartie de l’impunité. A moins que cette démarche soit la manière de Sadi de faire un constat d’impuissance face au pouvoir, tout en lui signifiant son refus d’abdiquer ? Cette moralisation de la politique ne vaut pas mieux que la politisation de la morale : dans les deux cas, il s’agit d’une confusion des essences suscitant plus de problèmes qu’elle n’en résout. On l’a vu avec l’islamisme qui prétendait agir au nom de la morale et de la religion et qui a fini par commettre de véritables crimes contre l’humanité, qu’on ne peut effacer avec un référendum trafiqué, pas plus que les cas de disparitions forcées, dues aux agents de l’Etat. Cependant, Sadi pose une question d’actualité : comment mener à bien un objectif de transformation politique sans que celle-ci engendre des épisodes de terreur ou le refus de tout compromis ? Soit comment faire surgir l’autre du même, sans reproduire ce dernier et en réussissant à développer l’idée d’une pluralité politique ? C’était face à cette question que se trouvaient les acteurs de la guerre de libération, qui ne devaient pas employer les méthodes du colonialisme, mais c’est aussi face à elle que se trouve la classe politique actuelle. Comment mener la transition historique et comment rend-on justice aux victimes d’un affrontement politique ? Questions lancinantes depuis la guerre de libération, réitérées à chaque épisode douloureux de notre histoire : octobre 1988, terrorisme islamiste, Printemps noir. Aussi est-il légitime de se demander si ces enjeux ont bien été identifiés par la classe politique ? Il est même possible que Sadi n’ait pas voulu élaborer une telle problématique. Après tout, il ne joue, peut-être inconsciemment, que le rôle de bélier contre Boumediène et ceux qui incarneraient son système aujourd’hui. Il y a quelques années, Boukrouh l’avait fait contre Zeroual, en s’attaquant à Betchine, pour mieux préparer l’arrivée de «l’homme du consensus», coopté par le système dont il dénonçait pourtant avec violence l’homme fort du moment. Après en avoir été gratifié, il a sombré dans l’oubli politique. Le but d’une partie des réponses à Sadi étant de rallier les milieux conservateurs, en proie à une lutte entre deux lignes, on devine que ces milieux ne peuvent pas être considérés comme totalement soumis à la ligne imposée par le pouvoir actuel et que semble, malgré tout, viser autant Sadi que certains de ses contradicteurs. Peut-être que ces derniers ont l’espoir de stimuler les masses attachées à Boumediène contre l’idée de dissolution du FLN qui avance dans la société. C’est peine perdue car la charge principale est ailleurs. Elle est tellement forte dans la société que Bouteflika est même tenté de la récupérer insidieusement. On voit, d’ailleurs, dans quel état d’instabilité se trouve le FLN depuis son arrivée au pouvoir. Mais si les coups de Bouteflika sont insidieux, c’est parce que l’objectif n’est pas d’en finir avec les partis/Etat, mais de dérouler le tapis rouge à une nouvelle formation présidentielle, dont son frère Saïd serait le fer de lance, dit-on. Il est donc impossible de comprendre le livre de Sadi si on ne rappelle pas la bataille idéologique qui se livre, d’une part à propos de l’islamisme, d’autre part à propos du nationalisme, que Bouteflika voudrait digérer, l’un comme l’autre. Malheureusement, dans cette phase de recomposition de la classe politique, ceux qui prétendent vouloir débarrasser la société de certains archaïsmes, ne sont pas, eux non plus, détachés d’intérêts en contradiction avec les aspirations de cette société. On se rappelle l’épisode Benflis, ou plus récemment les attaques contre le FLN, y compris de la part de Hamid Sidi Saïd, ancien wali de Tizi-Ouzou au moment du Printemps berbère qui — dans une interview à l’occasion du 30e anniversaire des événements — rend la direction centrale du FLN responsable de l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri. En fait, se profile la nécessité d’en finir avec l’accaparement du sigle FLN qui devrait être restitué au patrimoine de la société algérienne. Après Boudiaf et le MDS, voilà même un cacique du FLN, Mohamed Djeraba, qui pense que son «ultime mission» c’est d’emmener son parti au musée! Tant mieux ! La biographie d’Amirouche est aussi l’occasion d’aborder la question de la régionalisation. La conception de l’Etat doit être revue nous explique Sadi en opposant une nouvelle forme de wilayisme à la conception attribuée à Boussouf et Boumediène. S’agit-il de se situer dans le prolongement de Salah Boubnider qui évoquait un découpage du pays en régions qui recouvriraient les anciennes wilayas de la guerre de libération ? De faire pièce au pouvoir et à sa «régression régionaliste» ? Au FFS et à sa régionalisation positive ? Malheureusement, Sadi qui veut opposer la régionalisation au régionalisme, ne voit pas qu’on peut être pour la régionalisation et régionaliste en même temps. La preuve c’est la proposition d’autonomie de la Kabylie portée par le MAK de Ferhat Mehenni qui non seulement ne propose pas cette solution aux autres régions d’Algérie, mais réussit le tour de force de proposer un gouvernement provisoire kabyle avec un nouveau parti unique, le sien et un… ministre des affaires étrangères, qui laisse présager plus qu’une autonomie. Ouyahia, en réduisant à un «tintamarre» la mise en place de ce GPK, montre, avec férocité, qu’au sein du pouvoir personne ne craint encore un risque séparatiste. Est-ce l’aveuglement habituel, alors que la France intervient militairement à nos frontières sud ? En tout cas, le Mouvement citoyen de Kabylie et la formidable mobilisation autour de l’équipe nationale de football ont démontré la volonté de la Kabylie de se réapproprier les symboles de la nation. Mais, la régionalisation, on en parle aussi à l’ambassade des Etats-Unis où on questionne des personnalités sur leur appréciation d’une telle proposition et sur un partage de ces régions entre différentes forces politico-idéologiques. Au lieu de déjouer les pièges de ce débat, Sadi — qui se plaint du «sectarisme qui cible la Kabylie» —, menace de sombrer à chaque instant dans celui qui consiste à laisser penser que les limites des projets de société qui traversent le pays recouvrent celle des données géo-linguistiques et qui voudrait que seule la Kabylie soit ouverte au projet démocratique, tandis que les autres régions seraient plutôt favorables à l’option arabo-islamiste. Il alimente ainsi les pires scénarios. A moins que derrière la dénonciation du jacobinisme de Boumediène, il s’agisse, pour Sadi, de prolonger l’œuvre des tenants du néolibéralisme qui ont depuis longtemps favorisé l’affaissement des collectivités locales comme élément de réduction de la régulation par l’Etat. Ce n’est peut-être pas pour rien que le RCD mène d’ailleurs une bataille autour d’un financement par le Pnud à Tizi-Ouzou, manière de dire : on peut se passer de l’Etat. Une version moderniste du rejet de l’Etat centralisateur et de ses missions, après celle de l’islamisme qui disait que la zakat peut remplacer l’impôt. Si la décentralisation doit être l’occasion de reconsidérer un découpage ignorant les réalités socio-culturelles, si elle doit permettre la mise en place d’un système de régions offrant des possibilités nouvelles d’aménagement et de coopération et dotées d’assemblées, elle ne doit pas être, par contre, un habillage légal à une remise en cause du caractère républicain, démocratique et social de l’Etat et favoriser le développement de nouvelles inégalités. Une des questions les plus importantes que pose Sadi, dans son livre, est : quelle est la place de l’armée et des services de sécurité dans l’édifice institutionnel algérien ? Il y a deux ans, ce problème était abordé dans une polémique entre Chafik Mesbah et Lahouari Addi. Le concepteur de la régression féconde, qui vient de dénoncer les contradictions de Saïd Sadi après lui avoir apporté son soutien — pensant d’abord que les accusations contre l’EMG et le MALG venaient prolonger utilement le qui-tue-qui — avait proposé «la modification de la Constitution pour reconnaître à l’armée le rôle de garante de l’unité nationale, du caractère républicain de l’Etat dans le respect des valeurs de Novembre 1954 et de l’alternance électorale. Le schéma serait un système avec un président faisant corps avec l’armée dont il sera le chef, élu au suffrage direct ou indirect (par les deux chambres) et incarnant les intérêts suprêmes de la nation, et un chef de gouvernement issu d’une majorité parlementaire d’un parti (ou d’une coalition de partis) exerçant une réelle autorité sur les ministères et menant la politique économique et sociale promise aux électeurs. Ce schéma suppose la transformation de la Sécurité militaire en un corps au service de la nation et non au service du régime des «grands électeurs». On doit effectivement interroger la place de l’armée et des services de sécurité, surtout quand on se rappelle leur rôle, qui reste à éclaircir, dans l’épisode du 8 avril 2004. Le point 11 de la plate-forme d’El Kseur pose lui aussi ce problème, Ammar Koroghli l’abordait dans les colonnes du Quotidien d’Oran dans une contribution intitulée «l’armée pourvoyeuse de chefs d’Etat ?». L’exigence de rassemblement démocratique ne doit cependant pas amener à des alliances contre nature sur des questions sensibles. A un antagonisme entre deux projets de société, l’un despotique néolibéral — qui ne veut rompre ni avec la rente, ni avec l’islamisme — et l’autre démocratique et social, on substituerait alors un conflit entre les défenseurs de l’armée et ses accusateurs. Tout cela sur fond d’un vieil antimilitarisme, porté par le politiquement correct de la pensée social-démocrate. L’accusation pourrait alors se transformer en ruse, pour troubler les véritables enjeux et favoriser certains regroupements, dans une logique qui porte dans son ventre un système bipartisan pour lequel Bouteflika a exprimé sa préférence. Avec un parti conservateur, réunissant les «défenseurs » de l’armée et un parti réformiste qui rassemblerait ses «accusateurs », tournant l’un et l’autre le dos au changement radical et à la rupture. Avec sa proposition, à laquelle Sadi n’est pas loin de souscrire, Addi voudrait revenir à une sorte de bicéphalisme institutionnel alors qu’il semble que le scrutin présidentiel de 2004 a voulu le remettre en cause. Dans une évaluation, le MDS considérait que cette élection avait formellement consacré la rupture entre l’armée, qualifiée de pouvoir occulte, et le pouvoir civil, au point où la société n’aurait plus à exiger des comptes à l’ANP, mais à celui qu’elle aurait élu. Cependant, si l’armée a annoncé prendre ses distances à l’égard de la gestion politique directe, cela n’implique ni de penser qu’il y a des divisions entre Bouteflika et l’armée ou au sein de cette dernière, entre le DRS et le corps de combat, ni de croire que de telles divisions n’existent pas. Par contre, il est clair que les contentieux de la guerre de libération ne pèsent plus dans l’évolution de l’ANP. Les dernières promotions nous montrent, d’ailleurs, une image très différente de celle que nous donne la classe politique qui paraît toujours lestée par les vieilles querelles de l’ALN. Le contraire aurait-il été possible dans un contexte international qui fait peser sur l’ANP de lourdes responsabilités régionales ? Pour cette raison, on ne peut, en même temps, imaginer un strict cantonnement de l’ANP dans les casernes. Son intervention dans le champ politique change uniquement de forme. D’ailleurs qui pourrait y croire au moment où elle se voit confier la gestion de grandes entreprises publiques comme la SNVI ou l’ENIE ? Aurait-on pu le croire quand Bouteflika manque toujours d’une base sociale que les partis de l’Alliance présidentielle ne peuvent pas prétendre lui apporter tant leurs résultats électoraux sont mauvais et alors que le nouveau parti de son frère n’a toujours pas vu le jour ? Ou, encore, peut-on croire à un retrait de l’armée, quand le général Hamel est promu général-major, avant de devenir DGSN, en remplacement du colonel Tounsi qui, après des années, n’avait pas réussi à réorganiser la police pour qu’elle puisse produire un cadre pouvant être nommé à sa tête ? A moins qu’il ne s’agisse seulement de faire de ce poste un tremplin pour lancer la carrière politique officielle d’un nouveau porte-parole officieux de l’armée ? En tous cas, le moment semble propice pour promouvoir un tel profil. Alors que certains évoquaient le retour de Lamari, peut-être parce que, au sein du pouvoir, on estime venu le temps d’en finir avec le terrorisme islamiste, c’est le général de corps d’armée Gaïd Salah qui, lors d’une rencontre à Oran, a donné instruction d’«éradiquer totalement le terrorisme avant la fin de l’année 2010». Quelles accélérations annonce cette nouvelle détermination ? Dans quelle forme et dans quels délais va-t-elle s’exprimer au plan politique ? Quoi qu’il en soit, l’ANP, désormais, qu’on la découple du pouvoir politique ou pas, fait partie de l’équation à résoudre. Comment lui redonner l’autorité morale et le crédit dont elle a besoin pour agir en cas de nécessité ? Vieilles questions! Ce n’est pas l’approche paradoxalement courtisane de l’ANP qui prévaut autant chez Lahouari Addi que chez Saïd Sadi qui y répondra. Elle a déjà atteint ses limites. C’est celle qui a prévalu quand Zeroual a été élu président de la République et, qu’à la suite, des élections législatives ont permis au Hamas devenu deuxième force politique, entre le RND et le FLN, d’investir les institutions. Du point de vue de la démocratisation, l’échec patent de cette stratégie entriste et quantitative montre, qu’au plan stratégique, toute solution, qui nierait l’exigence de rupture, n’est pas viable. Cette forme de partage du pouvoir ne serait que la poursuite, au mieux un aménagement, avec l’exigence d’une profonde remise en cause du système de partis actuel, de la mainmise sur le sommet de l’Etat. Ce serait une caution au despotisme qui serait ainsi «éclairé» par un Premier ministre, éventuellement accompagné de deux vice-premiers ministres pour apporter leurs lumières ! Tout ce qu’on pourrait espérer, alors, c’est d’avoir des élections sans la fraude, autant dire l’Etat de droit sans la démocratie, comme on a déjà eu la paix sans la justice et la croissance sans le développement. Ce serait seulement un jeu de balancier où les mêmes forces changeraient d’alliances. Et dans lequel l’ANP aurait toujours le monopole sur la nomination du président pour contrarier les aspirations démocratiques de la société. Au lieu de sceller cette désunion comme le proposent certains démocrates et la graver dans le marbre constitutionnel comme l’espèrent, peut-être, des segments du pouvoir, il s’agit en vérité de revenir à la fusion historique qui a permis de vaincre le colonialisme puis, même si c’est dans une moindre mesure, de mettre en échec le projet d’Etat théocratique, en proposant une nouvelle unité entre l’armée, la société et l’Etat. Le MDS a avancé l’idée que la solution serait que l’ANP devienne une institution transpartisane fondée sur une stratégie de défense nationale, de souveraineté et de progrès, qu’elle soit le reflet de l’ensemble des forces démocratiques qui traversent la société avec ses contradictions, mais après avoir disqualifié l’islamisme et les partis/Etat. Plutôt que de vouloir la cantonner dans le choix problématique, car anti-démocratique du président, c’est en séparant le politique du religieux et en n’acceptant dans le jeu politique que des partis affirmant leur adhésion aux valeurs démocratiques qu’on peut espérer que l’ANP joue le rôle qu’en attend la société. Alors qu’en 2007, nous abordions cette idée d’une ANP transpartisane, dans une émission à la chaîne III, M. Lounaouci parlait d’utopie. Dernièrement, un député du RCD, se voulant certainement pragmatique, tentait même d’expliquer qu’il suffisait de réduire le budget de la défense pour limiter les pouvoirs de l’ANP, car cela lui apparaissait comme une condition à l’émergence de la démocratie. Sans revenir sur le réalisme du RCD qui l’a souvent amené à rejoindre, en retard, les solutions «utopistes» du MDS et du courant qu’il incarne, je voudrais juste rappeler ce qu’écrivait El Hachemi Chérif, en août 1999, dans le quotidien Le Matin. Dans ce texte, intitulé «Algériens, n’oubliez pas», il disait : «Quel est le secret de la victoire éclatante du mouvement de Libération nationale sur le colonialisme ? Certains se contentent de répéter que le mouvement de libération a vaincu grâce à sa détermination et parce qu’il allait dans le sens de l’histoire, ou parce que le peuple était uni comme un seul homme. Soit ! Mais en serait-il ainsi si ne s’était pas réalisée cette symbiose – on dirait une synthèse, une fusion même entre le peuple et son armée, son avantgarde, sa force politique organisée ? Et quelle en est l’explication ? Et l’explication de l’absence d’une telle fusion, aujourd’hui, dans les conditions de cette crise violente de la modernité ? Et quelle vocation cette fusion présente-t-elle de la relation entre le peuple et son élite, une vocation de représentation froide, d’émanation mécanique, ou d’avant-garde, ou une combinaison de ces trois caractéristiques à la fois ? Pourquoi ce qui était possible hier n’est plus possible aujourd’hui ? Ne faut-il pas y voir un signe que c’est la révolution, c’est-à-dire la volonté partagée de rupture et de changement traduite en actes, qui rend possible ce qui paraissait la veille une utopie, qui libère et met en mouvement des forces gigantesques en sommeil dans la société ? Ne peut-on pas avancer l’idée qu’au fond cette fusion porte sur la relation intime entre un peuple et son Etat en gestation en train de s’orienter, dès ses premiers pas, dans le sens du progrès et de l’émancipation, de la liberté, de la justice et de la dignité.» Le rapport à l’armée est donc en liaison intime avec la conception et les objectifs de la lutte politique. Une conception faite de compromis et de réformisme pour les uns, d’esprit révolutionnaire et de volonté de rupture pour les autres. Les positions par rapport à l’arrêt du processus électoral et à la lutte contre le terrorisme islamiste, comme celles en rapport avec l’été 1962 ont été des marqueurs de ces différentes conceptions. Voilà que les réconciliateurs se retrouvent rejoints par Sadi, dont ils relèvent les contradictions par rapport à l’idée de putsch. Mais si, dans un premier élan, ils lui ont apporté leur soutien c’est parce qu’il reproduit les limites de leur position en lui donnant un nouvel habillage, celui de la mise en accusation du MALG et de l’EMG. Cette approche réduit le rapport entre le politique et le militaire à un rapport de l’armée au pouvoir alors qu’il s’agit en vérité de questionner le rapport de l’armée à l’Etat et à la société. Ce n’est pas dans l’armée seule que l’on trouvera des remèdes à la hauteur des exigences démocratiques auxquelles doit répondre la transition dans laquelle se trouve l’Algérie. Il ne s’agit pas, en tout cas pas seulement, de faire respecter des règles du jeu à l’ANP, il faut aussi changer les règles pour des règles démocratiques. Il ne faut donc pas faire à l’ANP et aux services de sécurité des faux procès qui les laisseraient indemnes de leurs responsabilités réelles et surtout qui font diversion sur la nature de la crise que connaît notre pays. Il faut refuser une analyse partielle et partiale de la crise que l’on doit considérer comme crise de la nature de l’Etat et pas seulement comme une crise de pouvoir. C’est pourquoi, après avoir sous-estimé l’islamisme et le caractère rentier du régime, les démocrates ne doivent pas maintenant ignorer son glissement néolibéral lié à son évolution despotique. Dans le camp démocratique, on n’a plus le droit de faire preuve d’indigence et d’incompétence, en négligeant la menace politique que représente le despotisme, en se disant, peut-être, qu’on a échappé au pire avec l’islamisme. La seule issue, pour les démocrates, c’est de vaincre le despotisme sur le plan politique, y compris sur sa conception du rôle de l’ANP, mais aussi sur les plans idéologique, économique et social, afin d’ouvrir la voie au changement radical et à une alternative de progrès. C’est seulement en fondant une deuxième république qu’alors une réconciliation sera possible, prenant en charge tous les épisodes douloureux de notre histoire.
    Y. T.
    *Membre du Mouvement démocratique et social

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Contribution
    Il faut débattre sans tabous, sans injures et sans soupçons (2e partie)

    Par Yacine Téguia*
    Le procès de Boussouf et de Boumediène
    Dans un ouvrage intitulé Les intellectuels contre la gauche, l’historien Michael Christofferson analyse la genèse de l’idéologie antitotalitaire en France entre 1973 et 1981. Il explique comment ce discours antitotalitaire a ouvert la voie au libéralisme qui allait bientôt dominer, alors même que la gauche était en passe d’arriver au pouvoir.
    Il souligne comment la relecture de la Révolution française a été essentielle dans cette histoire, et que l’historien François Furet y a joué un rôle capital. En effet, l’auteur de Penser la Révolution française soutenait que la culture jacobine expliquait la tentation communiste en France au XXe siècle. Capitale de la gauche européenne après 1945, Paris devenait la capitale de la réaction européenne, comme Alger capitale des révolutionnaires semblerait condamnée à devenir la capitale du reniement néolibéral. Cela passe par un procès, non seulement des pratiques condamnables du pouvoir mais aussi de toute opposition constructive et surtout de l’orientation patriotique portée par Boumediène et qu’il n’est pas impossible que Sadi pense retrouver, ou pense nous faire retrouver, dans l’inflexion que connaît la politique économique de Bouteflika depuis la loi de finances complémentaire de 2009. Mais si Bouteflika et Boumediène partagent le populisme, ce dernier est cependant passé de gauche à droite, car si en 1974 on nationalisait le pétrole, en 2010 on place l’argent du pétrole en bons du trésor… américain. Le discours sur le patriotisme économique ne doit donc pas faire illusion. Mais c’est là qu’il faut, certainement, chercher l’explication du revirement d’Omar Ramdane, officier de la Wilaya IV, dans l’appréciation des orientations économiques de Bouteflika, dont le FCE, à la tête duquel il se trouvait, avait pourtant soutenu la candidature à un troisième mandat. Et c’est donc naturellement, même si c’est aussi avec prudence, qu’il interviendra dans la polémique historique pour évoquer la réunion des colonels de décembre 1958 et sembler, dans un vieux débat, prendre parti pour l’intérieur contre l’extérieur en disant : «Les décisions qu’ils ont prises lors de leur conclave ne sont pas connues dans leur totalité. Ont-ils convenu d’instaurer une coordination, une sorte de commandement unique, assumé à tour de rôle par chacun des colonels ? Ont-ils décidé de dépêcher le colonel Amirouche à Tunis pour porter à la connaissance de la direction nationale la réalité de la situation qui prévalait à l’intérieur ? Nous ne le savons pas.» Si une contribution de Salim Sadi vient de poser des limites à la critique de l’armée des frontières et relativiser le conflit intérieur/extérieur, le livre de Sadi suppose, pourtant, venu le temps de répondre aux questions soulevées, le temps du jugement. Une nouvelle génération d’hommes politiques arrive chargée d’instruire le procès. Elle demande des comptes sur le passé, au moment où les 286 milliards de dollars du plan 2010/2014 sont sur la table. Pour justifier sa démarche, Sadi écrit : «En Wilaya IV, M’hamed Bouguerra, Si Salah exhortaient les commandants au cas où ils viendraient à disparaître, de ne jamais oublier de mettre en place à l’indépendance un tribunal militaire pour juger Boussouf et Boumediène.» Peutêtre même s’est-il senti encouragé par les propos du dernier chef de cette wilaya qui demande aujourd’hui un débat télévisé ? Mais l’historien a-t-il le droit de juger les acteurs historiques puisque l’histoire s’occupe de ce qui a été et non de ce qui aurait dû être ? On se rappelle comment les Français, en 1989, ont acquitté Louis XVI à l’issue d’un procès télévisé. Deux siècles après la Révolution française, les menaces qui pesaient sur la République n’étant plus là, il était facile de se montrer clément. A rebours, mais en dehors de tout contexte aussi, on peut condamner Amirouche pour crime de guerre comme le suggère Benachenhou et vouer Boussouf et Boumediène aux gémonies comme le fait Sadi. En vérité, ce dernier n’est pas le premier à apostropher un passé tenu pour criminel, soupçonné d’être un mal héréditaire et transmissible. Sur internet, Saâd Lounès n’arrête pas de se livrer à la critique de ceux qu’il appelle les marocains du clan d’Oujda. Méprisant, Addi Lahouari parlait des «Boussouf boys» quand le premier responsable du RCD évoque «la chouannerie boussofo- boumediéniste». D’autres ont fait la critique de l’EMG, sans avoir recours à l’insulte. En janvier 2010, à l’occasion d’une commémoration du cinquantenaire de la création de l’état-major général, le commandant Azzedine a rappelé que celui-ci avait voté contre les accords d’Evian. Durant son exposé, il est apparu que la logique du pouvoir a enjoint à l’EMG de s’opposer au GPRA qui était favorable à ces accords. Ainsi, la parution du livre de Sadi n’a rien d’une révélation ouvrant les yeux d’une élite jusqu’alors aveugle à la nature autoritaire du pouvoir, mais permet de se saisir de la dénonciation de l’autoritarisme et de la métaphore de la trahison comme d’une arme de combat politique dans le contexte d’une montée du rejet de la légitimité historique qu’illustre, paradoxalement, l’affaire des magistrats faussaires. En effet, le manque de réaction qu’a suscité la condamnation de Mellouk suggère que les Algériens n’acceptent plus que qui que ce soit instrumentalise le statut de moudjahid pour obtenir des privilèges et que — de ce point de vue — il n’est donc plus nécessaire de faire la distinction entre vrais et faux moudjahidine. Cependant, il est utile de souligner qu’il existe une différence entre la position qui consiste à critiquer la légitimité historique, en tentant de sauver une partie de l’héritage patriotique, et la position de Sadi qui considère qu’il y a eu trahison et que Boumediène et Boussouf sont uniquement des assassins et des putschistes. Dans le premier cas, Boussouf et Boumediène, comme tous les véritables moudjahidine, appartiennent à la famille révolutionnaire, par conséquent leur œuvre peut être dépassée en même temps que cette dernière; dans le second cas, Boussouf et Boumediène deviennent des traîtres, comme d’autres sont de faux moudjahidine, et leurs actions sont comprises en dehors de tout aspect historique. Comme il paraît sur-dimensionner le rôle d’Amirouche, Sadi ne pouvait pas manquer d’exagérer celui de Boussouf et de Boumediène et rendre ces derniers responsables, voire coupables de la mort d’Amirouche. Ce que Sadi ne comprend pas, c’est que si l’histoire n’est pas le chaos, elle n’est pas non plus une intrigue. Pas plus que l’action politique ne peut se réduire à une lutte des clans et des révolutions de palais. Pour Sadi, la mort d’Amirouche n’est plus le produit des circonstances, celles de la guerre de libération, mais de l’idéologie d’un groupe qui déterminerait la manière dont ce dernier menait cette guerre et les objectifs qu’il s’était fixés à l’indépendance. Dans sa conception, seuls quelques chefs décidaient de tout, la société n’aurait pratiquement rien fait dans cette guerre de libération. Pas même crié, à l’indépendance : 7 ans ça suffit ! Ni n’aurait tenté de résister en 1963 ou organisé une opposition au coup d’Etat de 1965. Sans parler de toutes les luttes depuis la mort de Boumediène. Elle se serait soumise à un clan sans broncher. Dans sa démarche, Sadi privilégie une interprétation où «la valeur des hommes, autant dire leur subjectivité règne absolument». L’histoire perd toute complexité, il refuse de «saisir l’intrication des faits politiques, sociaux, économiques, juridiques, moraux, psychiques» à l’œuvre durant la lutte de Libération nationale. Le biographe ne voit pas combien la violence et le cynisme de certains dirigeants de la guerre de libération étaient organiquement liés au cynisme et à la violence du colonialisme. C’est pourquoi il ne se demande pas si les projets d’Amirouche auraient été sans danger pour la conduite de la guerre de libération ou sur l’évolution de notre pays à l’indépendance. Pourtant, Sadi rapporte que, face aux défaitistes, Amirouche lui-même disait «nous prenons tous des risques. Le seul risque qu’il ne faut pas prendre est de mettre en danger le combat libérateur». Jusqu’où serait-il allé pour ne pas prendre de risque ? Alors qu’un ancien du MALG déclare à Sadi, «Amirouche nous embêtait, on s’en est débarrassé», est-il défendu de penser qu’Amirouche ne s’interdisait pas non plus ce genre de procédés ? Les épurations en Wilaya III, quelle que soit leur ampleur, sont, quand même, un premier élément de réponse suffisamment éloquent. Et, dans le prolongement de cette réflexion, on peut même s’interroger jusqu’à quel point les conditions de la lutte antiterroriste n’ont pas largement déterminé le résultat politique qui en est sorti. La violence et le cynisme de l’islamisme, mais parfois, aussi, de certains acteurs dans le camp démocratique, n’ont-ils pas conforté le pouvoir dans une démarche despotique et opaque ? Des erreurs, des fautes, voire même des choses plus graves, ne lui permettent-elles pas de continuer à manœuvrer ? La thèse de Sadi selon laquelle Amirouche aurait été victime de sa volonté de remettre en cause les pouvoirs des dirigeants de l’armée des frontières et du GPRA, qui n’est pas insoutenable, ni même dénuée de vraisemblance, sans être plus crédible qu’une autre, n’est finalement étayée que par un faisceau de présomptions. Le livre de Sadi amène à s’interroger : n’est-il pas plus intéressant de s’intéresser à la signification historique des actes de Boussouf et Boumediène ou d’Amirouche plutôt qu’à leurs motifs ? Autrement dit, ne devraiton pas voir en chacun d’eux, même en retenant l’hypothèse de Sadi, ce que Pouchkine — parlant de Napoléon — appelait «le fatal exécuteur des volontés obscures » de l’histoire. En l’occurrence, au moment où l’unité du mouvement national, à l’intérieur et à l’extérieur, entre l’intérieur et l’extérieur, était plus que jamais nécessaire face au colonisateur, chacun n’était-il pas convaincu qu’il devait la réaliser contre les autres ? Peu importait alors qui de l’intérieur ou de l’extérieur aurait la primauté ! N’est-ce pas cela qu’Hegel appelait une «ruse de la raison», qui veut que le sens de l’histoire se déroule en dépit des intérêts et des passions des hommes qui la font ? Il semble, pourtant, que dans l’atmosphère délétère du «tous pourris» où baigne actuellement la politique algérienne, rien n’est meilleur marché que l’honneur des hommes, surtout morts. Mais, la dénonciation de Sadi n’aurait pu être aussi brutale si la distance entre le culte institutionnel prétendument orchestré autour de Boussouf et de Boumediène — présentés comme les pères vénérés du système — et le culte pratiqué ne l’avait pas rendue possible. En fait, si Boumediène peut disparaître, c’est bien parce qu’il est devenu le synonyme de quelque chose de rejeté, ou pour le moins abandonné, à la fois par les tenants du système comme Ali Kafi ou Bouteflika et par des démocrates comme Sadi qui se retrouvent paradoxalement liés non par le passé, sur lequel ils ont des désaccords, mais par le présent. Eux aussi sont de fatals exécuteurs des volontés de l’histoire, chargés d’assurer les tâches de la transition historique, parfois contre leur gré, parfois en assumant un pouvoir de fait. Car l’histoire prend le chemin qu’elle peut. Certes, il n’est pas trop tard, ni inutile, de «repérer les signes de gestation du régime à venir à l’indépendance », mais faut-il encore en saisir les traits essentiels. Il faut s’interroger, du point de vue historique, est-ce le caractère autoritaire du régime ou sa farouche volonté de souveraineté qui est primordial ? De ce point de vue, on peut penser que si Boumediène a commis des erreurs, celles-ci sont secondaires, y compris aux yeux de certaines de ses victimes (Boudiaf arrêta même la politique à la mort de celui-ci, en découvrant l’émotion populaire suscitée par sa disparition). Ces erreurs font partie du patrimoine de la première tentative de construire un Etat indépendant, elles n’ont qu’une importance minime comparé au reste, qui est un jalon essentiel dans la marche de la société algérienne pour s’émanciper et se développer. C’est pourquoi la société retient d’abord de Boumediène son caractère égalitaire. Mais Sadi refuse, surtout, de prendre en compte les différences et les contradictions qui permettraient de repérer les rythmes et les cassures de l’histoire. Il préfère en lisser le cours et en dérouler l’enchaînement comme si tout procédait d’un péché originel, à savoir la trahison d’Amirouche. En nous livrant une chronique des antécédents coupables du pouvoir, Sadi essaie de nous convaincre que l’histoire a défini de manière mécanique la nature de l’Etat algérien. Et, alors qu’il voit dans l’opposition intérieur/extérieur et dans une trahison supposée d’Amirouche, l’origine de la prise de pouvoir par Boumediène, Lahouari Addi, dans un texte intitulé Misère de l’intellectualisme, écrivait quant à lui : «J’ai reconstitué, comme dans un puzzle, les différents éléments de la vie officielle de l’Etat pour découvrir une logique interne à ce pouvoir d’Etat : il est marqué par une structure double qui prend son origine dans l’histoire du mouvement national. L’opposition entre l’OS et le MTLD officiel est reproduite par l’antagonisme entre l’état-major de l’ALN et le GPRA. Ils préfigurent le coup d’Etat du 19 juin 1965, la désignation de Chadli Bendjedid par la Sécurité militaire en décembre 1978, le départ de celui-ci sous la pression de 180 officiers supérieurs qui ont signé une pétition dans ce sens, la démission de Liamine Zeroual qui avait refusé l’opacité des accords entre le DRS et l’AIS en été 1997, et enfin la faiblesse de Bouteflika qui disait en personne qu’il ne voulait pas être un trois quarts de président.» Sadi semble tomber dans la même espèce de déterminisme. Il imagine et laisse imaginer que la démocratie aurait été un fruit naturel de l’indépendance, si Boussouf et Boumediène n’avaient pas confisqué la lutte contre le colonialisme. En vérité ni ce dernier, ni le pouvoir de Boumediène ne représentaient les seuls obstacles à l’édification d’un Etat démocratique, alors que c’est tout l’héritage historique de sous-développement de la société – comprises les conséquences du colonialisme et du système rentier, qui constituent des causes de blocage jusqu’à aujourd’hui. Et c’est l’apparition de l’islamisme (produit contradictoire de la lutte de libération et expression paroxystique de la rente), dont Sadi prend soin de ne pratiquement pas parler, sauf pour en blanchir Amirouche, qui en s’opposant à un devenir démocratique, nous a fait saisir que la démocratie allait être une nouvelle conquête, après celle de l’indépendance. C’est pourquoi, on peut considérer que Sadi verse dans l’anachronisme, en projetant la critique légitime du FLN d’aujourd’hui sur celui du 1er Novembre, pour évoquer «le conservatisme du FLN» alors qu’il parle de l’organisation qui menait une ardente guerre révolutionnaire! Il confond ce qui était avec ce qui est devenu, pour justifier ses conclusions. Si on ne partage pas l’approche de Sadi, on peut toujours dépasser sa manière de flétrir les dirigeants du MALG et de l’EMG, manière indirecte de s’attaquer à leurs héritiers du DRS et de l’ANP. Quand il évoque «la pieuvre tchékiste de Boussouf», chacun pourra apprécier cette image tirée de l’arsenal de la propagande anti-soviétique. Mais, au-delà de la formule, ce qu’il faut retenir c’est que Sadi dénonce les accointances d’un pouvoir assurément liberticide, avec le régime soviétique dont il l’accuse de partager l’orientation bureaucratique étouffante, aussi bien au plan politique qu’économique. Bien que la Tunisie d’aujourd’hui n’ait rien à envier au despotisme du pouvoir algérien — comme d’ailleurs aucun pays décolonisé, quelle que soit son option après l’indépendance (à part l’Inde, mais à quel prix!) — Saïd Sadi ne cache pas qu’il estime Bourguiba, voyant en lui un visionnaire largement inspiré par les idéaux démocratiques. Non seulement celui-ci avait refusé d’adhérer à la Ligue arabe, comme Sadi le rappelle avec une sorte de jubilation, oubliant que Tunis accueillera plus tard son siège, mais surtout parce qu’il avait «une vision que l’histoire validera tout au moins sur certains aspects, notamment après l’effondrement du mur de Berlin». Dans cette logique, à la fois anti-arabe et anti-communiste, Sadi voit même dans Kennedy «l’un des soutiens les plus fidèles et les plus crédibles du peuple algérien pendant la guerre». Et, avec l’anecdote du Pasteur qui après avoir été relâché par le chef de la Wilaya III ira prêcher pour la libération de l’Algérie, on découvre un Amirouche devenu subitement pro-américain comme l’auteur de sa biographie. Le procédé peut paraître artificiel, mais surtout, force est de constater que l’Amérique de Sadi est réduite à l’Amérique libérale car des intellectuels américains de gauche, tel Noam Chomsky qu’on ne peut pas soupçonner de complaisance envers le régime soviétique, ne partagent pas son opinion sur le totalitarisme et estiment que c’était un concept de guerre froide instrumentalisé par le gouvernement américain. Quant aux options politiques, très contradictoires, des hommes du 1er Novembre, on peut aussi rappeler que Ben M’hidi écrivait dans les colonnes d’ El Moudjahid : «Le peuple algérien reprend une autrefois les armes pour chasser l’occupant impérialiste pour se donner comme forme de gouvernement une République démocratique et sociale, pour un système socialiste, comportant notamment des réformes agraires profondes et révolutionnaires, pour une vie morale et matérielle décente, pour la paix au Maghreb. Le peuple algérien est fermement décidé, compte tenu de ses déboires et ses expériences passées, à se débarrasser à jamais de tout culte de la personne.» Comme quoi, tous n’étaient pas forcément hostiles à l’option formellement adoptée à l’indépendance. D’une certaine manière, le livre de Sadi n’est pas sans évoquer le rapport Krouchtchev. En février 1956, alors que les journalistes ont quitté la salle du XXe Congrès, Nikita Krouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste d’Union soviétique, livre aux délégués un discours dans lequel il dresse un bilan sévère de la politique de Staline. Le texte, qui devait rester confidentiel, est rendu public par le New York Times. Dépité, Aragon qui découvre ce rapport sublime ce moment difficile pour lui et écrit «ainsi donc l’histoire passe par cette ornière», un poème inédit du Roman inachevé. Dans Comment on écrit l’histoire, Paul Veyne rappelle que, suite au rapport, s’engage une polémique entre Krouchtchev et Togliatti. «L’homme d’Etat soviétique aurait bien arrêté l’explication des crimes de Staline sur la première liberté venue, celle du secrétaire général et sur le premier hasard qui le fit secrétaire général, mais Togliatti, en bon historien non-événementiel, rétorquait que pour que cette liberté et ce hasard aient pu être et faire des ravages, il fallait aussi que la société soviétique fût telle qu’elle pu engendrer et tolérer ce genre d’homme et de hasard.» Non seulement Krouchtchev n’aura pas le dernier mot dans sa polémique avec Togliatti, mais, en plus, Hannah Arendt finira par le considérer comme un «despote éclairé», lui qui avait pourtant dénoncé le culte de la personnalité. .Sans être aussi sévère avec Sadi, accusateur de Boumediène, on peut quand même relever que cette manière de faire, par la bande, la critique du système est révélatrice de l’ambiguïté de l’objectif. Peut-être que — tout comme Krouchtchev — Sadi veut le changement, mais pas le changement radical. Si Sadi ne veut plus du despotisme, il voudrait, on peut le craindre, accentuer l’orientation néolibérale de Bouteflika, accélérer le rythme de certaines réformes. Celles qui l’avaient amené dans un gouvernement qu’il a, peut-être, quitté, non seulement pour condamner la répression en Kabylie, mais aussi, parce qu’elles n’étaient pas assumées de manière assez résolue.
    Y. T. (À suivre)
    *Membre du Mouvement démocratique et social

    Source de cet article :
    http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/08/11/article.php?sid=104411&cid=41

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