Edition du Jeudi 29 Juillet 2010
Culture
Le livre, la mer et le Ramadhan
Souffles…
Par : Amine Zaoui
Les pieds dans les vagues, la tête dans les livres. Les beaux romans ! Cela est-il possible chez nous ? Cette image, aussi romantique que nostalgique, nous habite, nous hante, en ces temps de l’hégémonie de consommation sauvage, d’impuissance et de démission. Toutes sortes de démissions ! Que reste-t-il de nos plages, nos belles plages ?
Que reste-t-il de nos sables d’or dévorés par les camionneurs de construction ! Que reste-t-il de nos eaux bleues de baignade prises par les écoulements d’autres usées ? Certes, tout ce qui reste de nos plages est envahi par les jeunes, les moins jeunes, les femmes et les hommes, en gandoura, en kachabia, en bermuda, en maillot d’une ou de deux pièces, ou même avec un bikini islamique ! Peu importe. Partir dans une plage c’est partir vers le plaisir, mais aussi pour être accompagné par les rêves. Et les rêves les plus solides, dans et par leur fragilité, habitent les livres ! Les beaux romans. Il n y’a pas de rêve sans livre. Lire est un plaisir. Mais lire est aussi un devoir envers soi et envers autrui. Sous d’autres cieux, les gens, et avant de prendre le chemin des vacances, préparent leur “lecture”. La lecture se prépare ! Se respecte ! Se prépare et se planifie comme la réservation d’hôtel ou celle d’avion.
Sous d’autres cieux, les maisons d’édition publient des livres, surtout des romans, destinés particulièrement au lectorat d’“été”. Un lectorat d’un goût spécial ! Des livres pour les soleils. Un autre parasol ! Les lecteurs allemands, par exemple, préfèrent prendre la route des vacances confortés par des “pavés”, les gros volumes. Ainsi ce lectorat mesure ses jours de plaisir estival par le nombre de pages d’un roman. En juin de chaque année, comme à l’accoutumée, les éditeurs français préparent la sortie “été”, des romans hautement étudiés, épicés d’amour, journal de bord, mémoires et de polar. Sous d’autres cieux, là où le livre se respecte encore, il y a aussi “la lecture” pour enfants.
L’enfant, lui aussi réclame “lecture” et soleil. Cet été, ce qui reste de notre capital du lectorat estival, installé sur ce qui reste de nos plages protégées, est menacé. Il est menacé, cette fois-ci, par la culture bornée de l’“écran” ramadhanesque. Le mois du Ramadhan est à notre porte. Il avance dans une pluie de pub télévisuelle. Depuis quelques semaines, “les grandes chaînes de télévision” arabes ne cessent de marteler les téléspectateurs par des réclames annonçant des feuilletons. À dormir debout ! La haute gamme d’une médiocrité artistique et intellectuelle, sans paire ! Ces séries, en concurrence farouche, menacent ce qui reste de notre culture profonde. Cette culture visuelle “aveugle” nous apprend à ne pas penser, tuant tout germe de la critique, de la raison. Cet été, sous d’autres cieux d’Allah, les pieds sont dans l’eau et les têtes dans les livres.
Cet été, sous notre ciel, les têtes sont dans les marmites et les yeux dans les feuilletons syro-égyptiens. Jadis Ramadhan fut le mois où nos parents l’accueillaient par les lectures et les récitals : “le Coran”, “Charh Khalil”, “Les Mille et Une Nuits” et la poésie de la spiritualité. Aujourd’hui, nous l’accueillons par les séries télévisuelles sommeilleuses et ensommeillées.
A. Z.
Aminzaoui@yahoo.fr
29 juillet 2010
1.LECTURE