La coupe est derrière nous, le ramadhan est à nos portes. L’été vacancier se défile entre les deux. La joie ne semble cependant pas patente au cours de frottins festivals, galas galeux ou commentaires posthumes. La vie ordinaire reprend ses droits de cité.
Depuis l’ouverture du Mondial, toutes les sensations furent installées sur les tribunes virtuelles de Johannesburg. Un match est pour tout citoyen ce qu’est une gourde d’eau pour tout un chacun en perte de repère dans l’immensité d’un désert. Le monde national vivait profondément son équipe. Ainsi, la vie d’ici, de chez nous se trouvait mise au banc de touche.
Ni le nouveau plan quinquennal avec ses 286 milliards de dollars, ni la hargne spontanée de ceux qui sont censés les dépenser, ne furent aptes à rapatrier le cœur des Algériens se trouvant en goal-average à des milliers de kilomètres et se trouve à quelques encablures d’un mois d’abstinence. Voilà que la Coupe du monde est perdue, les menus festivaliers essorés : bonjour chère morosité !
Bref ! Ne parlons plus de ce foot qui a fait pousser des cheveux blancs sur le crâne des bébés. Restons dans le terrain. Un autre que celui du tartan. Celui de la vie de toujours. Si en 2010, à l’ère des TIC, de la couleur numérisée, l’on continue à transporter dans nos têtes, comme dans des compartiments d’appareils photo d’antan, des pellicules en film plastique et l’on s’attend aux miracles des lotions de développement, il ne se passerait rien, sauf que les photos seront dans le noir et blanc au moment où l’attente de les voir gaies et colorées s’estompe aussi vite que ne le sera le tirage.
Cette façon de percevoir les choses, penser une chose et attendre une autre, avait entraîné dans la profondeur de nos âmes des états de déséquilibre dont seul, après coup, le résultat obtenu nous aidait à constater les dégâts. Dans nos villes, nos maires, avant qu’ils ne le soient, nous promettaient monts et merveilles. Une fois élus et confrontés à la dureté du système faisant fonctionner les rouages internes d’une petite commune, ils réalisent à leur corps défendant la fermeté de l’inertie à laquelle ils sont appelés à se positionner.
Ils se sont tout de même contentés de dresser des écrans géants pour visualiser les rencontres de l’Algérie. Une autre façon de retenir l’angoisse, au moins pendant plus de 90 minutes. Ils sauront également le faire tout le long du ramadhan.
Dans le temps, les maires se targuaient d’être d’une certaine école où l’unique matière fondamentale se résumait dans le nationalisme assorti de matières secondaires de légitimité, d’histoire et d’actes d’héroïsme. En ces jours, les esprits échaudés d’électeurs avertis ont pu bousculer la machine un peu en avant pour nous offrir une liste de candidats plus ou moins potentiels, de l’énarque à l’informaticien, de l’ex-administrateur à l’ingénieur. L’on croit de ce fait possible de faire mourir de la sorte toutes nos angoisses et nos appréhensions quant au devenir de nos cités continuellement mal gérées.
Quelles ne sont encore ces surprises inqualifiables ! Les gestionnaires communaux, présumés adroits et jouissant d’aptitudes professionnelles avérées, butent encore et toujours contre une résistance ou un front qui ne les prépare que pour s’investir à perte de temps dans la gestion coulissière de la bataille et de la guéguerre. Comme à l’avant d’un match, tous jubilent et croient en cette victoire que rapportent seulement les déclarations de presse. Omettant d’emblée le nectar doucereux de la candidature, ils plongent sans volonté et cou tordu en plein règlement de compte. On leur fait les quarante misères pour qu’ils abandonnent leurs charges dans les quarante-huit heures qui suivent leur investiture. Ils finiront par partir, si l’on ne précipitait pas rapidement leur départ.
Le même constat est à faire à un certain niveau de la hiérarchie gouvernementale. C’est quoi ce ministre qui prétend ne pas être responsable d’une chose, pourtant naturellement greffée aux attributions de son département ministériel ? Un wali qui se dit non concerné par un démembrement extérieur d’un service central, mais officiant sur le sol où ce wali est censé exercer ses prérogatives de puissance publique, en sa qualité d’unique dépositaire légal de l’autorité de l’Etat ? Un chef d’entreprise qui s’en fout à tue-tête de la clientèle patentée de son entreprise ?
Le programme de relance économique n’est-il pas a contrario l’expression contraire d’un slogan dépassé qui a fait, après tant d’émules et de bonheur ménager, couler le pays dans les guichets du FMI et des bailleurs de fonds ? « Pour une vie meilleure ». Ce programme, nonobstant à le voir s’afficher à travers les centaines de grues et d’engins de travaux publics qui bouchonnent le firmament des ZHUN, les artères des agglomérations, ou qui transpercent et labourent vergers et forêts pour dégager les couloirs devant servir aux tronçons d’autoroutes, n’aurait pas atteint les objectifs escomptés. Relancer la machine en ses avant-toute !
Le béton et l’asphalte sont par principe physique les éléments garants d’une bonne santé entrepreneuriale, soit un développement national. Tous ces chantiers sont supposés aussi être des sources d’emploi. Des pôles créateurs de richesse de par la dynamique économique qu’ils sont capables d’engendrer dans la sphère socio-économique. De ce fait, la masse salariale ou la part patronale, chacun en ce qui la concerne, iront renflouer les caisses respectives de l’employé et des caisses sociales. A déduire notamment les minimes sommes en devises fortes que la sélection nationale a pu légèrement dépenser entre palaces, jet privé et maillots Puma. Ce qui aurait comme effet dentraînement une facilité d’accès vers un pouvoir d’achat, ce qui à son tour ne manquerait pas d’encourager la consommation par le désir de satisfaire un besoin que l’on aurait naturellement créé d’autre part. Tout ce circuit des acteurs économiques demeure un indicateur de performance, de plein emploi et de bonheur social. Y sommes-nous ?
Sait-on au moins qui des ministres est en charge d’approvisionner le marché national, sinon le juguler, à la limite réguler les instruments concurrentiels de la fatidique loi du marché, quand un produit de première nécessité n’arrive pas sur les étals de l’épicier ou du marchand de quartier ? La pomme de terre, la semoule, l’huile de table, la pièce de rechange, les timbres fiscaux, etc. Déjà que la fraîcheur de ces viandes qui s’annoncent sur les étals de nos estomacs, en prélude à un carême aoûtien, n’arrive pas à raviver la boulimie habituelle. En termes de prix, il y est fait tout le temps allusion, même référence officielle à cette nébuleuse forme libertaire tendant à laisser faire, laisser passer la liberté des prix là où le consentement mutuel entre acheteur et vendeur se scelle. Oublier de penser que le consentement en théorie ne doit en aucun cas être la résultante d’une pression irrésistible ou une contrainte impérieuse, c’est méconnaître la vérité, l’unique et absolue vérité.
Le ministre chargé de l’élan des supporters des Verts devait prendre à ses dépens les frais des youyous et des wane, to, tri (lire le son). Si l’huile est cédée à un prix très vital, le consommateur s’en découd à ne réduire que la quantité dont l’achat est projeté, sans pour autant qu’il ne soit outre mesure apte à en réduire les effets de ses besoins. Sinon, nous nous inscrirons dans un système de quota. Le rationnement rappelle des époques, pense-t-on, bien révolues. Là, le non-sens est aussi à inscrire, Allah Ghaleb, dans le rapport expression de besoin/moyens de satisfaction.
Dans un autre registre qui se lit et se déchiffre quotidiennement dans les maisons, les bureaux, la rue : le visage des gens, des passants, des clients, des administrés, des administrateurs ne présente aucune lueur de bonheur. L’on sent que nul n’est heureux ni dedans ni dehors. La joie n’a pas changé de camp, elle l’a vraiment foutu. Les fêtes d’entre les cérémonies nuptiales ou promotionnelles n’ont plus le même goût et n’affectent en rien les neurones du bonheur pour qu’elles puissent susciter un semblant de gaieté ou un état d’extase ou de volupté. Perdre le sourire reste la pire des sanctions civiles et citoyennes. Surtout face à son téléviseur terrestre ou devant le commentaire d’El Jazeera. A qui la faute… ?
Ainsi l’on voit, l’on sent que la morosité broie de jour en jour la ténacité des plus vaillants. Que la précarité s’installe dans le quotidien pour œuvrer à anéantir à petit feu l’ultime patience qui récrée encore le plaisir de continuer. La faute incombe à qui ? La réponse serait toute banale si l’on comprenait autrement le mécanisme de fonctionnement actuel de la société actuelle. Une crise originale multidimensionnelle. Malgré les liens de causalité, l’on se soucie aussi peu des causes que de l’effet. On peut avoir une mine patibulaire, les yeux cernés, les paupières ballonnées et assister à un carnaval, une parodie ou une ambiance festive et voir un mondial qui ne présage pas beaucoup de choses pour nous. Le comble, l’on peut inaugurer, présider ou ouvrir dans cet état grisâtre de décrépitude et de manque d’éclats un salon du livre, une séance de travail ou une réception mondaine.
L’autre non-sens à résumer est que le costume gris souris, la cravate terne et la chemise pâle peuvent, avec sourire et hilarité, être arborés dans les allées d’un cimetière ou sur le trottoir d’un domicile mortuaire, quand la participation à un enterrement devient un devoir professionnel, électoraliste ou de faire-valoir.
Dans cette situation paradoxalement comique et souvent dramatique, l’on retrouve également le même décor taciturne quand la paix tant souhaitée se confine toujours dans la probabilité d’un attentat et tarde à venir se répandre aux alentours des endroits où la mort se profile pour faucher les têtes et exploser les cervelles.
Certes, le terrorisme pur et dur s’est sensiblement réduit. Mais l’autre terrorisme, plus grave car légal, est situé dans cette inquiétude meurtrière qui mine la totalité des citoyens quand ils se trouvent régentés, sinon gérés par des gens moins enclins au savoir-faire et dont l’exclusif ravissement demeure la réjouissance que leur procure l’autorité qu’ils jubilent de pouvoir exercer sur le dégoût et la résignation des autres. Le non-sens n’a pas à être identifié tant qu’il vous crève l’œil à chaque lever de jour.
Entre deux marches, le citoyen essaye de regagner un bonheur éphémère. Il hurle, il jubile, comme il peut se décevoir et vite oublier. Le manque de joie comme le Mondial continue ailleurs Vers un autre tour.
Il est de ce soleil plombant qui, absent des cœurs, s’installe à son confort dans l’épiderme déjà fort basané de nos êtres. Il est de ces vents, qui, faisant défaut aux soirées d’antan, ravagent les récoltes annuelles d’une seule rafale de décision. Il faudrait pourtant savoir vivre ses peines et ses joies. Il faudrait aussi avoir l’envie d’éviter l’ennui que suggère une angoisse estivale à peine achevée d’un été itératif tout à fait vraisemblable à tous les autres.
23 juillet 2010
Contributions