Il est pour le moins curieux, de voir de plus en plus des stores bannes sur les devantures de plusieurs magasins et de superettes portant le sigle de « la vache qui rit » et la mention en gros caractères: « Alimentation générale » dans la langue de Voltaire.
Insidieuse, cette réinfestation de l’espace public n’est certainement pas innocente. Le groupe agroalimentaire français, doit encore considérer que l’Algérie est toujours sous domination linguistique française. Il doit avoir bien raison, les responsables chargés de cette veille, ont le regard tourné ailleurs. Comment veut-on, faire apprendre à ces multitudes d’apprenants, la langue dite nationale si dans l’environnement immédiat on ne trouve que des idéogrammes étrangers indéchiffrables ? Et même si l’on sait les déchiffrer, on n’en connaît généralement pas le sens lexical car inexistants, dans la langue d’El Moutanabi. L’inverse est aussi vrai dans ces transcriptions, qui utilisent l’alphabet arabe ressemblant à si méprendre aux pachtou afghan ou le farsi iranien que nous ne savons pas déchiffrer. Il est devenu habituel de voir des écriteaux portant de truculentes expressions telles que : « Taslih Chacmate» (réparation de pots d’échappement), « Taslih el kardate» (réparation de cardans) tirées du français. Nous nous sommes appropriés « fast-food» et « pizzeria» et qui ne veulent rien dire dans le stricto sensu arabe. Il à noter aussi que la permissivité a été du seul fait, de responsables de haut rang. S’adressant au citoyen lambda, ils commencent leur intervention par un « bismillah» de pure forme en s’excusant de parler en langue étrangère. Il se trouve fréquemment dans l’assistance un diplomate ou un expert international, tout heureux de nous damer le pion par une joute oratoire dans la langue que nous sommes sensés pratiquer. Chez nos voisins immédiats qui ont subi un sort colonial, tout aussi funeste que le nôtre, la problématique a été, depuis longtemps, résolu par un bilinguisme franc et affirmé. Sans perdre leur authenticité berbéro-arabe, ils ont su faire la part des choses. On continue à alimenter un débat académique sur l’aptitude de l’arabe à devenir la langue des sciences et des connaissances, alors que l’Etat hébreu a évacué ce problème depuis fort longtemps. L’hindoustani et le farsi, n’ont pas empêché leurs locuteurs de faire partie des nations, actuellement émergentes. Le turc a fait son choix en adoptant l’alphabet latin. Mais qu’on avance, la bigoterie linguistique a fait son temps.
En ce qui concerne la prétendue inaptitude de la langue arabe à s’approprier les technologies nouvelles, le président du haut conseil de la langue arabe disait dans une émission télévisuelle qu’à l’instar de Cordoue, le centre scientifique de Béjaia a rayonné, du 11è au 17è siècle, sur tout le pourtour méditerranéen et bien au-delà. L’insuffisance ne réside pas dans la langue elle-même, mais dans ses pratiquants. Elle est langue officielle de 22 nations et usitée secondairement par plus d’un milliard d’individus dans le monde islamique, pour leur spiritualité religieuse ou la lecture du Saint Coran. Elle ne peut être dans ce cas, qu’une grande langue. Ne faudrait-il pas la délester de certaines locutions qui n’ont plus cours aujourd’hui ? L’orateur rappelle que la langue germanique qui se caractérise pourtant par la longueur de ses mots, dont beaucoup de lettres muettes, n’a pas empêché de grands penseurs d’écrire des oeuvres universellement reconnues. Vieille de plus de mille ans, la langue arabe a survécu aux langues hellénique et latine. L’Extrême Occident (les Amériques) et le Moyen Occident (Europe), ont construit des langues à genèse helleno-judaio-chrétienne qui ont à peine trois à quatre siècles d’existence. Dans ses « Règles de la Méthode» écrits en latin, Descartes s’excusait d’avoir écrit une page en dialecte (le français de l’époque), c’est dire tout le long processus de procréation de langues écrites ou même parlées. Les caractéristiques d’une langue, ne sont pas seulement d’ordre véhiculaire mais plutôt d’ordre civilisationnel et culturel à la fois. Le meilleur exemple qu’on pourrait en donner, est celui de la Chine, qui avec un idéogramme extrêmement complexe, a su s’adapter et évoluer du statut de pays sous développé au statut de « Global Power» ou grande puissance. De ce fait, la langue arabe a des spécificités extra nationales et intra nationales, tout comme la langue parlée chez nous qui a des spécificités régionales issues de la langue tamazight et d’autres langues qui ont fait irruption dans notre pays à un moment ou un autre de son histoire. On peut affirmer à ce propos, dit-il, que la langue arabe n’est pas là pour supplanter la langue berbère de nos aïeux ni pour subir l’inverse. Il y aura de par le monde près de 6000 langues qui vont disparaître, leur existence est menacée par l’inexorable involution. Il est des pays africains qui ont pour langue officielle le français et d’autres l’anglais, mais ceci ne leur a pas pour autant, permis d’émerger socio économiquement et scientifiquement. Donc ce n’est pas un problème d’incapacité linguistique, mais un problème de pensée.
S’agissant de notre pays, la langue arabe a connu un séquestre de plus de 130 années de colonisation culturelle violente. Elle était même, interdite d’exercice, sa pratique dans les zaouias relayées bien plus tard par l’Association des Uléma, a été d’une sublime résistance. Elle s’est défendue courageusement contre l’extinction et cette résistance n’est comparable à aucune autre dans le monde arabe, dont certains pays n’ont connu que des occupations transitoires ou des protectorats.
L’animatrice, un soupçon scolastique, donnant la nette impression de défendre bec et ongle, la langue d’Imrou El Kaiss, revenait plusieurs fois à la charge en rappelant à l’invité et aux téléspectateurs, la « détresse linguistique» de ces enfants n’arrivant pas à comprendre ces flots d’étranges locutions délivrés à l’école, dans la famille et dans la rue. Les intrusions langagières parasitant la pureté de la langue parlée ne peuvent être que préjudiciables à l’entendement de l’apprenant affirmait-elle. Indémontable, l’invité rappelle qu’il est de même pour l’anglais qui souffre de francisation, l’inverse étant aussi vrai. Il est actuellement, convenu que toute langue doit se rapprocher d’un modèle qui serait admis par tous. Le modèle français serait consensuellement le parlé d’Ile de France et le modèle anglais serait celui de la B.B.C. Aussi les greffons et autres barbarismes linguistiques, ne doivent pas inquiéter outre mesure. Quand la langue est maîtrisée par une large majorité, elle saura s’auto-épurer des scories et autres locutions invasives. L’animatrice dont l’argumentaire ne reposerait que sur une simple présomption, prétendait que la langue arabe perdait du terrain, qu’à l’instant même où elle parlait, il y aurait des téléspectateurs qui zapperaient à la vue de l’émission. L’invité égal à lui-même, rappelle à son interlocutrice, que dans les années soixante dix, quand il enseignait lui-même, il y avait des classes qui enseignaient en arabe et d’autres en français, et ce n’était pas du bilinguisme. Il n’y avait aucune imcompatibilté entre les deux options. Il rappelle à ce propos que le terme « francophone» est inapproprié dans le contexte national, il s’agit en fait de « francographe» qui écrit en français, mais dont la réflexion et l’expression verbale sont d’authenticité arabe ou berbère. Il est constaté actuellement que le JT est suivi et compris pratiquement par tout le monde. Il est tout aussi vrai, que les arabophones parlent volontiers de « télévisioun» mais pas de « chacha mari’ya», ni de « idha’a» mais de « radiou». Donc l’osmose linguistique est bien là et n’a pas de quoi inquiéter outre mesure ! disait-il.
L’orateur ajoute dans la lancée: « Il ne faut surtout pas oublier qu’au recouvrement de l’Indépendance, il n’y avait que quelques milliers d’élèves scolarisés dans les trois paliers de l’enseignement général et quelques centaines dans l’enseignement supérieur. Parler maintenant d’élite sans démocratisation de l’enseignement, relèverait probablement plus de l’inconséquence que d’autre chose. L’élitisme qui veut que le fils de médecin soit forcément médecin et celui de l’avocat forcément avocat, ne doit pas être érigé en règle, mais peut être admis jusqu’à une limite raisonnable. Il est vrai que la qualité et la quantité devront aller de pair, mais l’héritage colonial, n’a pas autorisé ce choix. Quant à la Loi portant généralisation de la langue nationale, il n’y pas que les outils cœrcitifs qui doivent entrer en jeu, il y a un état d’esprit qui prévaut encore cher le citoyen. D’aucuns croient encore qu’en libellant un formulaire en arabe, celui ci ne sera pas pris en considération. Ils continuent donc à l’écrire en français même s’ils maîtrisent graphologiquement la langue arabe. Certains grands secteurs d’activité ont depuis longtemps arabisé leur administration, tels les collectivités locales, le secteur de la Justice. Dans ce dernier, il n’y pas un seul avocat qui plaide dans une autre langue que l’arabe. Il est vrai que d’autres secteurs tenus par une technicité spécifique continuent à utiliser les deux langues, ceci dépend beaucoup plus du responsable hiérarchique que du système administratif lui-même. Le subalterne se « met» parfois à la langue du chef, soit par mimétisme ou par crainte de privation d’une évolution dans la carrière. Arabiser tout, ne serait nullement raisonnable, il est exigé pour certains postes, la connaissance parfois même de plusieurs langues, tels que les personnels des chancelleries, les cadres de Sonatrach qui, pour les besoins de marketing, sont obligés de parler d’autres langues ainsi que le guide touristique évidemment. Pour ce dernier profil, il n’est pas nécessaire de postuler à la connaissance des méandres de la langue à maîtriser, seul l’aspect communicatif dans ce cas, est à rechercher.».
A l’animatrice qui revenait encore sur l’impossible arabisation des sciences médicales, Mr Ould Khalifa, rappelle une fois encore, qu’au vu de la complexité évolutive dans la technologie de l’acte médical, la pratique de l’année sabbatique de mise à niveau est devenue une nécessité pour tous les pays et d’ajouter : «Il serait dans ce cas plus judicieux de communiquer dans la langue du patient que de tenter une aventure dont les dividendes ne sont pas certains». Il rappelle à ce titre ce que disait Frantz Fanon, psychiatre de souche étrangère plus est : «La communication dans la langue du patient, constitue à elle seule, la moitié du traitement !»
23 juillet 2010
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