Ecrivain burkinabé, il est à Alger pour la troisième fois, mais cette fois pour écrire. Dans cet entretien, il évoque son séjour à Alger, les thèmes qui traversent son écriture et l’interpellent, sa conception de la littérature et son rapport aux mots qui, selon lui, doivent dire le bien et le beau.
Liberté : Vous êtes en résidence à Alger depuis le 10 juin dernier. Comment cela se passe-t-il pour vous et où en êtes-vous avec l’élaboration de votre roman ?
Ansomwin Hien : Le gros du travail est terminé. Cela s’est passé en l’espace d’un mois, ce qui signifie que c’est une prouesse. En tout cas, pour moi, parce que, habituellement, je mets un an pour produire un manuscrit, mais cette fois-ci, grâce à la résidence, j’ai fait le manuscrit en deux mois, ce qui est véritablement une prouesse. Les conditions ici me conviennent pour mon travail, ce pourquoi je suis ici. Je suis venu pour écrire pas pour faire autre chose, et on me met dans des conditions pour faire mon travail. Quelqu’un d’autre se serait senti mal à l’aise, trop cloîtré. Ce que je vais dire n’engage que moi : si vous mettez dix auteurs ici, vous aurez dix points de vue. En fait, dans la résidence, il y a un peu de tout. Évidemment, la sécurité, la tranquillité et le contact, alors qu’ici, c’est un peu limité. Mais moi, ça ne me gêne pas. Il y a des auteurs qui se sentiraient un peu à l’étroit. Il y a des gens qui aiment, comme on dit vivre, qui aiment la vie pétillante, ils voudraient, par exemple, passer la journée à travailler et la nuit, ils voudraient faire un tour par-ci par-là ; ou au contraire ils travaillent la nuit et s’amusent le jour. Mais, chez moi, ce n’est pas le cas. Pour moi, les conditions sont idéales et je me trouve dans des conditions où l’inspiration vient.
Et comment vous avez retrouvé Alger ?
En ce qui concerne Alger, je dois avouer que je ne peux pas l’apprécier en raison de la résidence, parce que depuis que je suis arrivé, je me suis plutôt concentré sur l’écriture plutôt que d’aller découvrir Alger, de telle sorte que je n’ai pas pu découvrir Alger, juste la zone à côté où je fais mes courses. C’est l’année dernière que j’ai pu réellement la découvrir. J’étais là dans le cadre du Panaf. J’étais avec les auteurs qui étaient en résidence. Et donc à cette occasion, nous avons pu découvrir Alger. J’ai découvert une ville en chantier. Autour de la périphérie, il y avait des constructions. Ensuite, j’ai vu que partout où il y a des projets de construction, il y a des plantations d’arbres. En troisième lieu, il y a le contact humain, la rencontre avec les gens. Ça m’a beaucoup plu. C’est ma troisième visite en Algérie, la première a eu lieu en 1987 et à ce moment-là, j’avais constaté la distance entre les visiteurs et les autochtones et plus particulièrement avec les femmes. Par exemple, avec les guides, il n’y avait pas la possibilité d’échanger. L’année dernière et cette année, quand je suis arrivé, j’ai vu le changement et c’est formidable. C’est un grand pas. En tout cas, il y a eu beaucoup d’amélioration. Une progression et un changement des mentalités. Maintenant, le gouvernement ne peut pas tout surveiller s’il y a, par exemple, des écarts de langage. Et cela se passe même chez nous. En fait, ça dépend de la volonté des individus.
Pourriez-vous nous parler de
ce roman que vous êtes en train d’écrire ? Et vous a-t-on imposé un thème particulier ?
On ne m’a pas imposé de thème particulier. Ils ont juste demandé le projet de l’écriture, c’est-à-dire la présentation et c’est ce que j’ai fait. Moi, tous mes écrits sont orientés vers la spiritualité et évidemment, on ne peut pas dissocier la spiritualité de la culture. Elles vont ensemble. Présentement, la trame du roman se passe au Burkina Faso, dans ma région d’origine, Dano, située au sud-ouest du Burkina Faso. Il se trouve que j’ai un demi-siècle de vie, donc j’en ai vu des choses dans ma vie. J’ai réfléchi et cherché le moyen d’aider à ma manière et c’est comme ça que dans mes recherches, j’ai compris qu’il y avait des lois que tout le monde connaît mais ignore. J’ai analysé la situation et j’ai trouvé que ce n’est pas aussi simple que cela. Les pratiques d’antan permettaient aux villageois de vivre dans la paix et l’entente, mais pourquoi ne pas revenir à certaines de ces pratiques ? Tout ça est parti d’une situation que j’ai vécue quand j’étais rentré au pays. Je suis allé à des funérailles et quand je suis arrivé, j’ai constaté qu’il y avait deux cadavres, et que la deuxième dépouille mortelle était exposée nue, cela m’avait choqué. C’était la première fois que je voyais cela. Donc, quand je me suis renseigné, on m’a dit qu’elle était morte des suites d’une morsure, et c’est comme ça qu’on faisait pour les femmes. Si une femme meurt d’une morsure, c’est comme ça qu’on la traitait. J’étais choqué et puis au troisième millénaire, ça pose quand même un petit problème. J’ai réfléchi au moyen de trouver une solution parce que ceci n’est pas spécifique à mon village, c’est toute la zone linguistique, en fait toute l’ethnie bambara laquelle ethnie se trouve au Burkina Faso et au Ghana. Ils ont les mêmes pratiques coutumières. Et j’ai voulu donc comprendre comment on en est arrivé à cette dégradation. À partir de là, j’ai réfléchi et j’ai trouvé que même la forme des funérailles a changé, ce n’est plus comme avant. Je me suis rendu compte que de nos jours, les gens organisent des marchés la nuit, alors qu’avant on disait que la nuit était réservée aux fantômes, aux insectes. Du coup, ça dérègle les rapports.
Vous voulez dire qu’il y a de nouvelles pratiques qui sont entrées dans les us et coutumes ?
Bien sûr, et c’est tout ça qui a conduit au chaos qu’on vit là-bas. Il y a la consommation abusive d’alcool. Les gens sont au marché là-bas, sans éclairage, et ils ne font que boire de l’alcool. Ils se bagarrent sur place ou alors rentrent chez eux et se défoulent sur les femmes et les enfants. Les femmes s’y sont également mises devenant ainsi des proies faciles, et les hommes n’en demandent pas mieux. Tout cela conduit à l’adultère. Et cet adultère conduit à la morsure. Et c’est tout cela que je suis en train de décortiquer.
Pour la première fois, vous avez opté pour un “il” comme narrateur. Pourquoi ? Est-ce pour la distance ?
Oui, tout à fait. Généralement, mon personnage, c’est un “elle”. Dans mes quatre premiers romans, le personnage est un “elle”, ce qui explique un peu ma vision des choses parce que, pour moi, la femme est l’avenir de la planète, bien qu’on n’ait pas encore compris cela. Pour moi, le Créateur a donné à la femme l’intuition la plus fine par rapport à celle de l’homme. Donc, cette intuition féminine qui permet à la femme d’être en contact avec le monde.
Outre la spiritualité, quels sont les thèmes qui traversent votre écriture, ou plus généralement, quel est, selon vous, le rôle de l’écrivain dans sa société ?
Le rôle de l’écrivain est très important parce qu’il participe à la construction de ce monde-là. Il a une très grande part de responsabilité dans la marche du monde aujourd’hui, en tant qu’artiste. Voyez-vous, beaucoup de choses sont véhiculées par le biais de l’écriture, du cinéma… Ce sont des choses qu’on sème. Nous vivions des conflits et des guerres de toutes sortes, à un moment, on a semé cela. Et c’est pour cela que je parle de la responsabilité des artistes et c’est pour cela qu’à un moment, je me suis orienté vers la spiritualité où je m’efforce quelque part dans mes écrits de produire quelque chose de potable. Je connais bien comment fonctionne la loi des semences et des moissons. Tout ce qu’on fait par parole, par action ou par pensée, on le sème. Si l’on produit des œuvres qui choquent, ça ne fera que perpétuer la haine. À quoi ça sert ? Certains pensent que ce sont des dénonciations, mais mieux vaut semer le beau et le bien parce que c’est cela qu’on va récolter, ça ne peut pas être autre chose.
Mais si l’on ne dit pas nos maux, comment peut-on aspirer à récolter le beau et le bien ?
Il y a le relativisme ici. Même si on le dit, comme une forme d’ouverture, il faut qu’à la fin de la conclusion, on montre qu’au fond, mieux vaut tendre vers ceci et non pas en rester là, parce qu’on ne peut pas se contenter de dénonciation. Sur cent lecteurs, vous en aurez juste un ou deux qui comprendront l’attitude de l’écrivain. Pour ma part, j’essaie de prendre le contre-pied de ce que les autres font. Dans mes écrits, j’essaie de souligner le côté positif de la vie, au lieu de montrer le côté négatif, ou bien de dénoncer.
Est-ce que votre engagement se décèle également dans la forme ? Quel est votre rapport aux mots ?
J’essaie de construire mes histoires de sorte que le lecteur puisse suivre pas à pas la réflexion. Je m’efforce d’être simple, la simplicité c’est ça qui fait la grandeur, malheureusement, nous ne l’avons pas encore compris. Et ça va, même les lecteurs moyens arrivent à me comprendre. Les messages que je véhicule son compris par tous.
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21 juillet 2010
LITTERATURE