Il est peut-être inutile d’invoquer la li berté de la presse ou le droit à l’information quand on s’adresse aux autorités tunisiennes qui viennent d’embastiller notre confrère Fahem Boukadous, coupable d’avoir couvert un mouvement de contestation sociale à Redeyef, dans la région de Gafsa.
Boukadous est coupable d’avoir commis les rares images – très fortes – de ce mouvement de contestation sociale. Il a été condamné en son absence à 4 ans de prison et les autorités tunisiennes n’ont pas essayé de faire preuve d’imagination en matière de chefs d’inculpation : le journaliste est présenté comme un casseur, un fauteur de troubles
Dans une Tunisie ordinaire, une manifestation de mécontentement social est un évènement ordinaire et sa couverture médiatique une banalité. Mais la Tunisie n’a rien d’ordinaire. A trop vouloir donner l’image d’un paradis anesthésié – une aberration sociopolitique , la grogne sociale de Redeyef est apparue comme une gigantesque lame de fond, un mouvement massif de contestation radicale du système. Ce n’était pourtant qu’une banale manifestation de revendication sociale, ce qui n’est en rien une exclusivité tunisienne. Loin de là !
En choisissant de punir le journaliste, le régime tunisien cherche-t-il à conforter l’idée qu’il ne se passe jamais rien qu’il n’ait ordonné dans la vie sociale du pays ? On ne sait. S’il est donc inutile d’invoquer la liberté de la presse, les droits de l’homme, on peut essayer de faire remarquer au gouvernement tunisien que sa remarquable capacité à faire le juste ratio des gains et des pertes en économie lui fait visiblement défaut en politique. Pourtant, ce n’est pas si difficile : il suffit que le gouvernement tunisien décide qu’il a raison à 90% et qu’il concède aux autres 10% des possibilités d’erreurs.
La contestation sociale de Redeyef et l’excellente couverture journalistique de notre confrère Boukadous feraient ainsi partie de ces négligeables 10% que la Tunisie officielle peut supporter sans risque. Tous les rapports économiques internationaux gratifient la Tunisie d’une bonne place méritée, selon les économistes et c’est tant mieux. Dans ces rapports, on met en avant régulièrement le problème posé par le niveau élevé du chômage des diplômés et la Tunisie officielle n’en fait pas un drame. Car, malgré ce 15% de chômeurs diplômés, le tableau général reste positif.
Pourquoi diantre n’acceptent-ils pas que nos amis journalistes, comme Boukadous, qui couvrent les mauvaises nouvelles, ne sont pas plus dangereux que les 15% de chômeurs diplômés ? Pourquoi se contenter d’un bon classement au Doing Business alors qu’il est possible, en évitant d’agiter inutilement la matraque et d’imposer le bâillon, de se faire complètement oublier des ONG de défense des droits humains ? Pourquoi diantre choisir l’étouffement, alors que la Tunisie a bien plus à gagner en laissant les Tunisiens à la pondération proverbiale respirer et s’exprimer ?
Allons donc messieurs, encore un effort ! Préservez et améliorez votre place dans le Doing Business et dans les multiples indices de performance économique ! Mais offrez à la Tunisie le bonheur d’être complètement ignorée par Amnesty International et consorts. C’est à votre portée. Il suffit seulement d’évaluer le problème. Vous savez le faire, en termes de bénéfices et de pertes. Libérez donc Boukadous…
17 juillet 2010
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