Edition du Jeudi 15 Juillet 2010
Le monde intellectuel arabe vient de perdre l’écrivain rationaliste le plus courageux et le plus controversé dans ces deux dernières décennies. Le penseur et philosophe égyptien le plus persécuté Nasr Hamed Abou Zeïd nous a quittés le 5 juillet à l’âge de soixante-sept ans (1943-2010). Je le surnomme le loup à sonnaille ! L’écrivain Nasr Abou Zeïd
a traversé sa vie turbulente d’intellectuel et universitaire en éclairé et en bon éclaireur de conscience collective. Courageux sans fléchir ni reculer, lui, l’Azharien, a mené ses combats d’idées, sans merci, contre les groupes d’obscurantistes d’El Azhar. Vatican de l’Islam. Face à un courant composé d’extrémistes et fanatiques, il n’a jamais cessé de dire, à haute voix, ses idées et ses analyses, sans relâche ni fatigue. À cause de ses réflexions modernes, ses écrits rationalistes herméneutiques portés sur sa lecture faite au Texte sacré le Coran, Nasr Hamed Abou Zeïd a été accusé par les forces intellectuelles passéistes d’apostat. Jugé par le tribunal du Caire, l’écrivain a été condamné à divorcer avec sa femme Ibtihal Younès, enseignante universitaire au département des lettres et langues étrangères (l’université du Caire). Menacés de mort par les fous de Dieu, l’écrivain et sa femme, ont pris le chemin de l’exil. Ainsi, ils se sont installés aux Pays-Bas. En relisant quelques écrits intellectuellement courageux de Nasr Hamed Abou Zeïd, je constate que dès qu’une petite lumière d’avancée voit le jour dans cette obscurité qui perdure couvant la pensée arabe, elle est, vite, éteinte et assassinée par les forces du mal. Depuis le scandale houleux créé par les foukahas d’El Azhar suite à la publication du livre Dans la littérature antéislamique (Fi adab al jahili), du cartésien Taha Hussein (1889-1973), cela s’est produit dans les années vingt, depuis, rien n’a changé. Taha Hussein, traducteur de Voltaire et de Paul Valéry ! a été chassé de l’université. Sa maison a été lapidée ! Le livre a été interdit. Il demeure jusqu’à nos jours interdit. Et la mort de Nasr Hamed Abou Zeïd rouvre les plaies Quand je relis cette histoire agitée entre Taha Hussein et l’institution Al Azhar, cela me renvoie aux péripéties d’un autre scandale de censure monté par l’aile salafiste azharienne contre un autre penseur porteur de modernité et de courage intellectuel, Ali Abdel-Razak (1888-1966). Suite à la publication d’un livre intitulé l’Islam et les principes du pouvoir (al Islam wa ouçoul al houkm)1925, Ali Abdel-Razak, accusé d’hérésie et de renégat, a été jugé et condamné. Le livre interdit. Quelques voix d’intellectuels de services se sont élevées (parmi elles celle de Mohammed Amara) pour dire que le livre a été écrit en collaboration avec “le mécréant” Taha Hussein. D’autres sont allés plus loin en affirmant que le livre n’est que le produit d’un orientaliste impie. En ces jours arabes desséchés, et après l’interdiction, en 1978, des Mille et Une Nuits, et diwan intégral d’Abou Nouwâs, en 1991, nous apprenons, avec tristesse et angoisse, que Al Azhar vient, une fois de plus, d’interdire, en 2009, la célèbre œuvre Al Foutouhat Al Makkiya (Expéditions mecquoises) du Cheikh Al Akbar Ibn Arabî (1165-1241), et de censurer des passages dans le livre les Avares (Al Boukhalaâ) d’El Jahiz, jugés trop osés, immoraux et licencieux. En ces jours infertiles des Arabes, où nous venons de perdre le rationaliste Nasr Hamed Abou Zeïd, héritier d’Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198), celui qui vivait depuis 1992 dans la persécution, la peur et la clandestinité, je me dis : le monde arabe, depuis Taha Hussein, sur le plan de la liberté d’expression et d’opinion, n’a pas avancé d’un iota. Et le sang de Nasr Hamed Abou Zeïd est vain ! En ces jours de la rétrograde, je médite sur la vie et sur la mort de Nasr Hamed Abou Zeïd, celui qui portait en permanence son linceul sur ses épaules et entre les lignes illuminées de ses écrits, et je dis : rien n’a changé, les intellectuels arabes des lumières sont condamnés à vivre le silence, la peur, la mort ou l’exil angoissant. En 2008, en marge de la Foire internationale du livre du Caire, pour la première et la dernière fois, j’ai rencontré Nasr Hamed Abou Zeïd, c’était au club du syndicat des avocats situé au centre du Caire. Longtemps on a parlé sur l’expérience de l’Algérie dans la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Sur Mohammed Arkoun, sur Kateb Yacine et sur l’assassinat d’Alloula. Il me disait : “L’histoire de l’Algérie n’a jamais été bien décortiquée. L’histoire contemporaine riche de votre pays, le modèle algérien par sa souffrance coloniale et post-coloniale peut apporter beaucoup de lumières à nos réflexions théoriques politico-culturelles et à notre combat d’idées contre le passéisme et le fanatisme.” Adieu Voltaire arabe ! Adieu Nasr Hamed Abou Zeïd.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
15 juillet 2010
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