Par référence à l’Indice de perception de la corruption (IPC) établi par l’ONG Transparency International (TI) — qui correspond à une bien mauvaise note de 2,6 sur 10 —, l’Algérie se classait à la 111e position – sur 180 pays, en 2009. A bien des égards, les experts scrupuleux et autres patriotes intègres (excusez ma nostalgie pour la période boumediéniste), œuvrant au retour d’une image de marque que notre pays ne retrouvera pas de sitôt au regard des tendances lourdes qui le traversent pour le moment, tous ont tort de se comparer aux pays scandinaves et autres Etats exemplaires du Nord.
Comme on ne peut comparer que ce qui peut l’être (unité culturelle, linguistique, religieuse et autres), l’actualité la plus récente en la matière fait de la Jordanie un bon exemple pour nous. Un ancien ministre des Finances, ainsi que trois autres responsables jordaniens, poursuivis dans une affaire de corruption, viennent d’être condamnés à trois ans de prison ferme. Adel Kudah, ex-ministre des Finances de juillet à novembre 2005 et ancien président du conseil d’administration de la Raffinerie de pétrole de Jordanie (RPJ), a été arrêté aux côtés de trois autres complices le 4 mars et leurs biens saisis, avant d’être inculpés «pour avoir reçu des pots-de-vin et pour abus de pouvoir» dans l’attribution d’un contrat pour l’agrandissement de la même raffinerie. L’affaire concerne un appel d’offres lancé en 2009 pour la modernisation et l’agrandissement de cette installation pétrolière pour un montant estimé à 2,1 milliards de dollars. Dans une récente étude, intitulée «Corruption, en Jordanie : Ce sont les mécanismes, pas les manifestations, qui comptent» (*), le juriste jordanien Obaidat Sufian passe en revue le dispositif juridique mis en place par son pays pour venir à bout d’un fléau dont l’existence semble structurellement attachée à notre identité commune. «Les tentatives visant à contrôler la corruption au moyen d’enquêtes, de statistiques, de comparaisons entre pays, et en examinant ses manifestations ne parviennent pas à résoudre le problème principal, qui est que la corruption est inhérente au régime de l’Etat, notamment dans la législation et son exploitation par le gouvernement. Ce souci de l’enregistrement des manifestations extérieures de la corruption plutôt que de ses mécanismes sert finalement à le renforcer.» Côté étymologie, l’expression arabe de «Fasad» (qui exprime la corruption) est le contraire de «Salah» (justice), et «Mafsada» (mal) est à l’opposé de la «Maslaha» (avantage). On s’attaquera au fléau par la lutte (mukafaha) ou la confrontation (muwajaha). On dit généralement «lutte contre la corruption» (mukafahat alfasad) – «face à la destruction» (muwajahat al-kharab). En droit jordanien, comme dans nombre de législations arabes, la corruption prend plusieurs significations. En droit civil, un contrat entaché de nullité est décrit comme étant «corrompu ». On recourt à la même expression pour désigner des produits ou une denrée alimentaire impropre à la consommation (Fasid). En droit pénal, la corruption est appliquée à l’éthique, la nourriture, les médicaments et l’offre et la demande sur le marché. Les lois spécifiques à la matière «se contentent de décrire la corruption financière et administrative». L’auteur soutient mordicus que dans nos pays, la corruption réelle est celle qui ronge la structure du régime au pouvoir et qui, partant de là, se propage dans la société. Il soutient également — ce en quoi nous le rejoignons — que tout «bon Etat doit avoir une gouvernance démocratique » sans laquelle aucune action ne pourrait venir à bout de la corruption. «L’État démocratique repose sur trois piliers : un système judiciaire indépendant dont le contrôle s’étend à tous, y compris à l’élection du parlement, un parlement qui est élu selon un système électoral juste, qui façonne le système politique que le peuple a légitimé, et un gouvernement exécutif dont l’autorité est en rapport avec sa responsabilité devant le Parlement, et dont tous les différents organes sont soumis à un contrôle judiciaire». Ce repère est précieux. L’adopter force à dire que la corruption est, comme on disait jadis, «en dernière instance», une crise de gouvernance résultant d’une crise (ou absence) de la démocratie et de la primauté du droit. «Comme la primauté du droit et la démocratie vont de pair, il ne peut y avoir aucune règle de droit sans démocratie pour le protéger.» Le texte instituant la commission anti-corruption établit un dispositif de lutte contre la corruption financière et administrative, et attribue à ses membres des prérogatives de police judiciaire. Les objectifs énoncés pour cette structure sont de : «Garantir les principes de l’égalité, l’égalité des chances, la justice, la lutte contre la diffamation et le favoritisme (wasta)», ainsi que «l’utilisation abusive de fonds publics.» Pour le reste, il est fait référence au code pénal pour définir ce qui constitue la corruption. Si l’enracinement de la primauté du droit est le seul moyen par lequel peut être éliminée la corruption, force est d’associer cette primauté à l’existence préalable d’un régime démocratique qui semble malheureusement faire défaut à ce petit pays frère. Chez nous, on annonce depuis début février dernier un amendement imminent de la loi sur la corruption en vue, susurre-t-on à la presse, de «renforcer les mécanismes de contrôle des deniers publics et durcir les sanctions contre les corrupteurs». A ce jour, de nombreux secteurs ont été éclaboussés : les travaux publics, l’énergie, les transports, la pêche, etc. Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a annoncé publiquement que les ministres seront placés sous l’œil de la justice : «Chaque ministre sera entouré d’un juge», a-t-il affirmé — parallèlement à la mise en place d’une commission de lutte contre la corruption qui sera composée de conseillers juridiques (magistrats) placés au niveau de certains ministères et institutions économiques. Ces «incorruptibles» auront pour mission de veiller à ce que l’octroi des marchés publics se déroule dans le strict respect de la loi. Cette structure semble suppléer «l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption» — prévu par la loi n°06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption — qui, quatre ans plus tard, n’a toujours pas vu le jour. A croire les premières indiscrétions, c’est vers les banques que l’action semble se réorienter. L’amendement de la loi du 20 février 2006 introduira de nouveaux mécanismes au niveau des ministères et des banques pour mieux surveiller les transactions financières. Il s’agit de rendre effectives les enquêtes instituées par cette loi concernant «l’enrichissement illicite» d’agents de banque et les opérations d’octroi et de remboursement de crédit. Au sens de cette loi, «les agents de la banque sont considérés comme des agents publics directement concernés puisqu’ils sont investis d’une fonction dans une entreprise publique». Concernant «l’enrichissement illicite», cette loi stipule que «tout agent de la banque qui ne peut raisonnablement justifier une augmentation substantielle de son patrimoine par rapport à ses revenus légitimes s’expose à des sanctions pénales sévères». Cette législation interdit à tout agent de la banque d’accepter d’une personne, un cadeau ou tout avantage indu, susceptible de pouvoir influencer le traitement d’une procédure ou d’une transaction liées à ses fonctions. Bien plus que les mécanismes pratiques, c’est le système de gouvernement et, au-delà, son impact sur la société, qu’il incombe d’interroger. Le tissus social est gangrené par les corrompus et leurs valeurs : la puissance sociale se mesure aux relations, au favoritisme, aux passe-droits, bien plus qu’à l’investissement ou l’effort. L’accès aux privilèges, au luxe, au faste procure plus de respect que le travail honnête, tandis qu’une lecture (et un vécu) pervertie du discours religieux autorise à passer l’éponge sur les pires crimes commis par un simple voyage à La Mecque ou une fréquentation de la mosquée du quartier. Sous cape, on murmure même que la ruse étant une arme de guerre, il est permis et licite de déposséder un Etat impie ! Autant dire que la lutte contre la corruption revêt une dimension multiple, culturelle, morale, éthique qui transcende les clivages politico-idéologiques pour mettre en avant le civisme, l’amour du travail, le savoir-faire et l’application à la tâche inscrite dans la durée, le savoir-être pour cultiver la bonne tenue, le bon exemple moral et la droiture, enfin le savoir-vivre qui interdit tout écart vis-à-vis de soi-même et de son prochain.
A. B.
(*) Sufian Obaidat, Corruption in Jordan: It’s the Mechanisms, Not Manifestations, that Matter, Arab Reform Initiative, 23 June 2010.
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/07/13/article.php?sid=102926&cid=8
13 juillet 2010
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