Y a des endroits où le mercure tutoie les 40 degrés Celsius ! On bout comme des œufs. T’as beau te protéger, la canicule a cette particularité commune avec l’eau, c’est qu’elle arrive à passer par où on peut à peine l’imaginer. Si ce n’est pas de l’entrisme ça, c’est quoi ! Canicule. Et panne. Pannes au pluriel, bessif ! L’électricité est coupée. Va savoir pourquoi ! Quelque chose a dû péter les plombs. Ça va être bientôt mon tour. L’ordi ronronne mais comme aboie le chien du dicton.
Sans jamais mordre. Chien qui aboie, etc. Le ventilo est plat comme l’électrocardiogramme d’un refroidi. Le frigo, sans jus, est cramé comme un four. Le téléphone sert de porte-clés, frime et inutilité. La voiture «l’a dite». Tu vois à quoi ça tient, la modernité ! Quelques objets qui te font rouler fluide sur les sillons de la vie quotidienne et puis il suffit d’un petit couac, et te voilà revenu aux temps glorieux des cavernes. Bref, tu es immergé dans un bain d’alluvions, et surtout ne charrie pas. Et avec ça, tu dois écrire une lettre au poulpe ! Le truc, c’est de se jeter à l’eau, et d’y demeurer. Là au moins, t’es sûr de voir clair, peut-être même très clair. C’est bien ce qui t’est arrivé, Paul. Oh, pardon, on ne t’a pas présenté ! Si tant est qu’on doive présenter quelqu’un comme toi. Bien. Paul, c’est ce poulpe allemand qui, jusqu’à ce jour, ne s’est pas encore planté dans la prédiction des résultats de match de foot. Comme un bon bookmaker ! Le céphalopode oracle aux huit tentacules a, au moins, lui, la chance d’habiter l’eau. A la fraîche, s’alimentant de sandwichs aux sardines, il a «vu» juste chaque fois. Eh, oui, comme le direct enregistré des télés, on vous fait croire que c’est direct alors que ça ne l’est que pour le cameraman au moment où il filme, cette chronique s’écrivant le samedi, je ne connais pas encore le résultat de la finale. Tu as donné vainqueur l’Espagne. On verra bien si tes présages auront été exacts là aussi. Après la défaite de l’Allemagne face à l’Espagne, que tu avais prédite comme les autres, ta popularité avait baissé d’un coup dans ton pays. Marrant. Ils croient quoi ? Que tu es responsable de la défaite que tu n’as fait que prévoir. Même pas prédire mais prévoir ? Au lieu que ce soit la fête, ce fut ta fête. Le chaland te traite de noms d’oiseaux. Un comble. Adulé, détesté, tu es une star. La star des devins. Ta page sur Facebook décline 30 000 fans. Je suis sûr qu’il y en a davantage depuis que j’ai commencé à t’écrire cette missive. Du fond de ton aquarium, tu ne vois peut-être pas combien tes déambulations divinatoires bouleversent le monde, suscitant des réactions stupéfiantes. La biologiste marine Tanja Breining, émue par l’exiguïté du logement, s’est indignée : «Paul est enfermé dans un petit aquarium. Ce n’est pas une patrie digne pour un poulpe. Nous pensons que Paul serait bien dans la mer.» L’organisation de protection des animaux, Peta, milite pour ta libération. Peu superstitieux pourtant, pour ne pas dire pas du tout, les Allemands ont fini par croire aux auspices de leur poulpe national. Leur déception a été proportionnelle à leur enthousiasme antérieur lorsque Paul a prédit leur défaite en demi-finale face à l’Espagne. Haro sur le poulpe ! Fustiger la bête est devenu le sport national. En parlant de toi, on passait vite fait à la rubrique gastronomique. Tout le monde s’invente cordon-bleu et avance les recettes les plus rapides pour trucider un poulpe vagabond. Dolores Lusch, une poissonnière à Berlin, s’est écriée la main sur le cœur : «Rien ne vaut le poulpe grillé. Coupez-le en tranches fines et grillez-le sur toutes les faces avec un zeste de citron, de l’huile d’olive et de l’ail. Délicieux !» Pauvre Paul ! Quel destin que de se griller ! Comme de nombreux autres journaux allemands, le Berliner Kuriera émis cet ordre de chef : «Jetez à la friture.» Bénéficiaire en quelque sorte de ses prédictions, l’Espagne s’inquiète des représailles contre Paul. Le Premier ministre espagnol Zapatero a déclaré sur le ton de la plaisanterie à l’issue du match de son pays contre l’Allemagne : «Je suis inquiet pour le poulpe… je suis en train de penser à lui envoyer une équipe de protection.» La ministre de l’Environnement et de la Pêche espagnole, Cadena Ser, surenchérissait : «Lundi, je serai à un Conseil des ministres de l’Union européenne et je vais demander que soit activée une interdiction (de pêche) pour Paul le poulpe, afin que les Allemands ne le mangent pas.» Paul est-il mort ? C’est la rumeur qui court sur le web. Mais non, rassure un porte-parole du centre aquatique d’Oberhausen. «Rien de fâcheux» n’arriverait à la plus célèbre bête tentaculaire au monde, dont les pouvoirs pourraient être mis à profit dans d’autres disciplines. Les éléctions ? Si t’es encore vivant et que tu m’entends, Paul, aide-moi à savoir pourquoi je suis plongé dans la canicule et que rien ne marche autour de moi. Et surtout, dis-moi quand les autorités consulaires françaises consentiront- elles à nous délivrer, à ma vieille mère et à moi-même, un visa pour rendre visite à mon frangin zmigré. Sans qu’elles soupçonnent derrière ma requête une volonté de grossir les rangs des sans-paps et, pour ma mère, celle d’aller se faire soigner à l’œil et de grever la Sécu. Dis-leur, Paul, que même si nos autorités à nous ont fait de nous un peuple de harraga potentiels, nous sommes encore capables de voyager uniquement pour le tourisme ou pour des motifs familiaux. Dis-leur, Paul, avant de passer à la casserole.
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/07/11/article.php?sid=102799&cid=8
12 juillet 2010
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