Edition du Jeudi 08 Juillet 2010
L’Algérie profonde
Noir et blanc
Par : Mustapha Mohammedi
Souvent en défaut de copie, certains correspondants de presse arrivent quand même à débusquer de temps à autre l’information qui fera “tilt” dans leur feuille de chou.
Par exemple, la découverte d’un doyen ou d’une doyenne et dont l’âge dépasse les cent-dix ou cent-vingt ans, présumés. Niche quelque part au sommet d’une colline, au fond d’une dechra ou dans un hameau perdu, l’aïeul qui n’est plus qu’un fossile entouré d’amour et de respect est en général pris en photo au milieu d’une très, très nombreuse descendance : six ou sept enfants de lits différents, une vingtaine de petits-enfants et une cinquantaine d’arrière-petits-enfants au moins. L’auguste relief est présenté dans un bienveillant papier, qui fera d’ailleurs le tour du landerman comme une espèce de vieux chêne qui aurait fait éclater toutes les racines à l’air libre. C’est tout juste si le pigiste, auquel se joint le maire, tout excité d’avoir son portrait dans le journal ne décrète que ce “gros sac de baraka” fait partie désormais du patrimoine de l’humanité. Même le brave pépé, visiblement heureux de l’immense intérêt scientifique qu’on lui porte, s’en va lui aussi de son petit speech. Sa longévité, il la tient si l’on en croit sa recette, au lait frais, au grand air, à la montagne, aux durs travaux des champs, au sommeil profond, à une nutrition saine et naturelle. Pas d’alcool, pas de tabac, pas d’excitants et pas d’excès. Du potage et des légumes à longueur d’année. Bon. Mais est-cela l’objectif d’une vie bien remplie ? Les hommes et les femmes qui sont morts centenaires peuplent les cimetières aujourd’hui. Ils n’ont laissé derrière eux qu’une très longue lignée et le souvenir d’une obscure pierre tombale. Par contre, des peintres de talent, des cantatrices, des sculpteurs, des chefs d’orchestre, des écrivains de génie, des physiciens de taille universelle ont tiré leur révérence avant d’atteindre quarante ans et ont légué à l’espèce humaine des œuvres et des travaux qui font sa fierté.
Alors cher confrère, les papys des douars, laissez-les mourir en paix.
8 juillet 2010
M. MOHAMMEDI