08 Juillet 2010 – Page : 10
Le Coran est trop peu connu alors qu’il énonce un discours passionnant sur les prophètes.
Ce 9 juillet 2010, correspond au 27e jour du mois de Rajeb 1431. Avant l’Hégire, l’Emigration vers Médine, un événement unique dans l’histoire de l’humanité a eu lieu. Le Prophète de l’Islam vécut une expérience que personne d’autre avant lui et après lui, n’a pu ni ne peut connaître: El Isrâ et Miraj, le voyage miraculeux, nocturne de La Mecque à Jérusalem et l’ascension céleste du Dôme du rocher à l’au-delà. Ce récit spirituel est relaté par le Coran et la tradition prophétique. Durant ce voyage céleste furent prescrites comme don les cinq prières canoniques avec, comme valeur, cinquante prières.
L’idée de s’inscrire dans l’accueil du monde, de voyage vers l’infini et la capacité de l’être humain à s’approcher de la vérité sont centrales dans ce paradigme. Cette histoire fantastique, privilège incomparable octroyé au Sceau des prophètes, a influencé des auteurs majeurs du monde entier. Les rigoristes et autres extrémistes qui instrumentalisent la religion occultent pourtant ce récit d’un fait surnaturel avéré, tout comme ils réduisent l’importance de la célébration du Mouloud Enabaoui, la naissance du Prophète, événements historiques qui permettent pourtant de se souvenir d’un modèle excellent pour apprendre à vivre.
Aujourd’hui, le recul de la connaissance au sujet des phénomènes coraniques et de la civilisation islamique est préoccupant. En Orient, les discours sont souvent superficiels et fermés. En Occident, les grands islamologues ont disparu et les discours dominants ne sont pas favorables au savoir approfondi sur le Coran et l’Islam. Pour cette raison et compte tenu des enjeux, un de mes prochains ouvrages s’intitulera Lire le Coran aujourd’hui. Parmi mes préoccupations, reste le fait de découvrir des essais modernes sur ce sujet, de ce même oued. Parmi la nouvelle génération de chercheurs, qui se rattache aux études en islamologie, à partir des sciences humaines et sociales, comme la philosophie et la psychanalyse, un auteur mérite d’être signalé.
Jean Michel Hirt, psychanalyste et professeur d’université, spécialiste de psychologie clinique interculturelle, qui a publié plusieurs essais sur le religieux dans la vie psychique vient de nous gratifier d’un ouvrage brillant, avec comme toile de fond El Isrâ et Miraj, intitulé «Le voyageur nocturne», avec un sous-titre explicite: «Lire à l’infini le Coran.» Ce livre, publié aux éditions Bayard, ce veut une réactivation de la possibilité d’interpréter à titre personnel, une navigation à travers l’océan inépuisable du Coran.
Hirt renoue, avec finesse, avec la tradition de ces maîtres que furent Henri Corbin, Louis Massignon et Jacques Berque. Il aborde la lecture du Coran avec le recul du chercheur soucieux d’objectivité scientifique et en même temps avec le respect que suscite le Livre sacré. D’emblée, il reconnaît que le Coran est trop peu connu alors qu’il énonce un discours passionnant sur les prophètes depuis Adam jusqu’à Mohammed. L’auteur invite le lecteur à un voyage spirituel inédit pour contribuer à tenter de comprendre l’horizon de l’Islam et découvrir les enjeux prophétiques proclamés par le Coran. Il déconstruit et réfute les calomnies que l’Occident a longtemps forgées contre le Prophète. Hirt saisit que le Prophète est conscient de sa mission d’Envoyé, réceptacle du Message et qu’il éprouve que la source de la parole révélée ne s’origine pas en lui, comme celle des poètes, mais en «Dieu». Hirt résume en outre une idée-clé: «Tel un océan qui englobe îles et continents, le Coran rassemble en lui les appels et les paroles délivrés aux hommes par les innombrables prophètes…»
C’est à l’universel, à l’interprétation à l’infini et au discernement que l’auteur de cet essai appelle. Il cite avec précision les versets du Coran qui illustrent les questions du rapport entre le fini et l’Infini, entre le Prophète, cette lampe précieuse qui diffuse la lumière et la source de la lumière: L’Absolu. Hirt explique avec justesse qu’un des enjeux décisifs du Coran consiste dans une affirmation: personne ne peut voir le divin, que par le sens lisible contenu dans le livre révélé. Il affirme avec force, que lire le Coran avec les yeux de notre temps c’est accéder aux promesses qu’il contient et ouvrir son coeur et sa raison sur l’étendue de l’héritage confié à l’être humain, l’empreinte divine confiée à l’espèce humaine, et faire face au défi du conflit entre la lumière et les ténèbres.
Un voyage dans la spiritualité
La lecture personnelle d’Hirt est une sorte de parallaxe par rapport aux postures habituelles. Parallaxe est l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet. C’est l’impact de changement de position de l’observateur sur un objet observé. Hirt, comme les chercheurs, qui respectent leur champ d’observation, contribue à changer le regard occidental au sujet d’un texte religieux de surcroît méconnu. Comme Hirt me le disait, lors de notre première rencontre, il s’étonne que comme cette terre aride qui ne veut pas de la pluie, l’Occident refuse de découvrir le Coran. D’un autre côté, la Rive Sud tarde à renouer avec les belles traditions de l’ijtihad. Le Maghreb en général et l’Algérie en particulier, terre de la communauté médiane et riche de son histoire de la dignité et de l’hospitalité peut y contribuer.
Hirt avec la patience du voyageur qui traverse les océans et les déserts, en prenant comme personnage de son essai original la figure d’Ismaël, fait partager sa lecture du Coran, et les significations possibles qu’il en tire, sans jamais prétendre à l’exclusivité de la vérité, mais avec humilité et hardiesse, arrive à sortir des lectures idéologiques et orientalistes fermées. Cet effort mérite d’être salué. Il se démarque nettement à la fois des discours islamophobes, qui dénigrent, prétendent désacraliser et mettent sur le dos des mythes et des fictions le texte religieux, et des discours apologétiques intégristes qui n’arrivent pas à faire jaillir le sens profond et confisquent le texte pour leurs propres fins.
Il s’agit aujourd’hui d’oeuvrer pour que l’obscurantisme d’un côté et l’islamophobie de l’autre reculent. Un seul chemin: la capacité des êtres humains à retrouver du sens qui ne soit pas un trop-plein en prétendant combler le vide et de vivre de manière ouverte et non fermée afin de préserver et de réactiver de la civilisation. La culture supposée de la désacralisation et de l’humanisme est dans une impasse. Le livre d’Hirt nous invite au voyage de l’interprétation pour lever les voiles de l’Altérité. D’autant que le retour de la religion est marqué, non pas par des semences du renouveau et de l’inventivité, mais des formes rétrogrades, qui n’effacent pas l’image d’un système opposé à la liberté. L’époque en crise devrait amener les uns et les autres à de la vigilance. C’est lorsqu’une forme de vie a perdu sa jeunesse et sa vivacité, voire agonise, que l’acte de penser et l’acte de foi doivent resserrer leur lien.
Hirt est convaincant lorsqu’il constate avec lucidité que le Coran est un livre ouvert qui invite chaque lecteur à se retrouver en chaque prophète. Il se confie en précisant même: «Combien de fois ai-je eu en le lisant (le Coran) la sensation d’être éclairé par le texte, d’être rendu lumineux par l’éclairage qu’il dispense…» Malgré en Occident, l’air du temps consumériste et le refus de connaître l’altérité des musulmans, dont le socle est le Coran, qu’eux-mêmes peuvent perdre de vue, avec ce type d’essai, on peut dire que sous des angles nouveaux, les études en islamologie devenues si rares en rive Nord, peuvent revivre.
Ce livre «Le Voyageur nocturne» est un pont. Il incite à ne pas s’abandonner à la lassitude et à l’indifférence.
Il est possible de partager, de comprendre et intérioriser des significations profondes, à se mettre à l’écoute de Voix irremplaçables et d’engager des luttes à contre-courant de l’air du temps, à partir d’un regard neuf et de solidarités transfrontalières. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer l’ignorance et la sécheresse de notre temps, mais de faire l’effort de «Lire», de changer un mode de représentation ancré dans la subjectivité collective au sujet de la source de vie de l’autre différent.
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Mustapha CHERIF
8 juillet 2010
Religion