Les entreprises étrangères ne sont pas logées à la même enseigne. Normal : on ne peut mettre sur un pied d’égalité ceux qui produisent de l’acier et ceux qui vendent des mots.
Le capital étranger n’est pas le bienvenu en Algérie. C’est le sentiment qui dominait dans les milieux d’affaires depuis un an, avec les fameuses règles définies par le Premier ministre Ahmed Ouyahia pour imposer une participation algérienne dans les investissements étrangers. Depuis, le gouvernement a mis en place, pas à pas, une série de procédures dont la cohérence était évidente. Elles ont abouti à un dispositif qui rend l’investissement étranger difficile, voire impossible.
Les rapports des ambassades étrangères foisonnaient d’indications en ce sens. Dans les séminaires et colloques, tous les intervenants y allaient de leur tirade sur le sujet. FMI et Banque mondiale s’en mêlaient à leur tour, notant que le climat des affaires se dégradait en Algérie à la suite de ces mesures.
Les déboires de l’égyptien Orascom semblaient conforter cette tendance. Important redressement fiscal, lourdes pénalités de retard, découverte de nouvelles dettes envers les impôts, tout semblait indiquer que l’entreprise étrangère la plus connu en Algérie était victime du « nationalisme économique » que le gouvernement venait de redécouvrir.
Les spécialistes avançaient même une nouvelle piste : non seulement l’investissement étranger n’était plus le bienvenu, mais l’Algérie était saisie par une nouvelle tentation, celle de « nationaliser » en douceur certaines entreprises étrangères. Après des années de libéralisme outrancier, mené par le duo Abdelhamid Temmar Chakib Khelil, le pays voulait reprendre la main et faire main basse sur tout ce qu’il serait possible de récupérer.
De nombreuses explications étaient avancées pour justifier cette volte-face. Un noyau dur au sein du pouvoir s’opposait depuis longtemps au libéralisme en vigueur depuis une décennie, et il avait fini par obtenir gain de cause, en raison notamment de la faiblesse des résultats du choix libéral, disait-on. D’autres estimaient que le pouvoir ne s’était jamais converti au libéralisme, et que seules les difficultés financières des années précédentes avaient poussé les autorités à accepter, du bout des lèvres, les recettes libérales du FMI. Un troisième courant affirmait que l’Algérie redécouvrait l’étatisme parce que ses managers ne se savent pas faire autre chose : ne sachant pas quoi faire de l’excédent financier réalisé grâce à la flambée des prix des hydrocarbures, les bureaucrates algériens auraient choisi de racheter les entreprises qu’ils n’avaient pas su créer ! C’est dans cette logique qu’ils auraient décidé de mettre la pression sur Orascom Algérie, pour la racheter au meilleur prix possible, tout en dissuadant le géant sud-Africain MTN de se porter acquéreur.
Dans cette logique, la crise vécue la semaine dernière au complexe d’El-Hadjar était suivie avec une extrême attention par tous les partenaires intéressés par le marché algérien. Une grève générale était déclenchée par un syndicat qui avait tout l’air de verser plus dans l’activisme politique que dans le syndicalisme. Le mouvement de protestation semblait avoir une certaine envergure, car largement suivi par les cinq mille travailleurs du complexe. Le dénouement allait-il conforter ce regain d’étatisme, ou bien les autorités algériennes allaient-elles faire preuve de souplesse pour ne pas décourager définitivement les entreprises étrangères ? Le test était important.
Le résultat a été déconcertant. Non seulement le dénouement s’est fait dans un sens favorable au géant ArcelorMittal, mais tout laisse indiquer que les autorités ont pesé de tout leur poids pour aller rapidement à un dénouement. Le chef du syndicat local, Smaïl Kouadria, a été désavoué par sa hiérarchie, et poussé à la démission, malgré ses cinq mille travailleurs en grève. Abdelmadjid Sidi Saïd, connu pour sa docilité, est lui-même intervenu pour disqualifier la grève. Dans l’intervalle, la justice s’était prononcée avec sa célérité habituelle pour déclarer la grève illégale.
Faut-il voir dans cette issue de la grève d’El-Hadjar un nouveau signal contredisant les orientations antérieures? Un spécialiste du dossier appelle à la prudence. Pour lui, « El-Hadjar est ingérable », et les autorités « préfèrent s’en décharger au profit d’ArcelorMittal », quitte à lui donner un coup de pouce occasionnel. Par contre, les entreprises considérées comme de machines à sous, comme celle de la téléphonie mobile, et celles disposant d’un marché inépuisable, comme les cimenteries, risquent de rester sous pression, au moins jusqu’à ce que le gouvernement définisse une nouvelle doctrine et de nouveaux choix économiques.
Le dénouement de la crise d’El-Hadjar n’a donc pas de signification particulière pour le long terme. Ce n’est pas un indicateur fiable de l’attitude du gouvernement envers les entreprises étrangères. Celles-ci souhaitaient un peu de visibilité. Ce n’est visiblement pas avec M. Ouyahia qu’ils en auront. Avec cette nuance : M. Ouyahia pense que cette opacité est une stratégie. Il s’agit simplement d’indécision.
2 juillet 2010
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