Le football, on ne le dira jamais assez, est un puissant révélateur. Il met à jour des tendances, des vérités qui peuvent s’appliquer à une société entière, à un peuple ou à un pays et à ses dirigeants. On peut ne retenir que le résultat sportif et passer à autre chose. Mais on peut aussi
s’attarder sur les enseignements à tirer d’une élimination en Coupe du monde de football. Commençons donc par un bilan rapide du parcours de l’équipe nationale (EN) algérienne de football dans ce mondial sud-africain. Un misérable petit point, deux défaites, un match nul et aucun but marqué. Voilà qui place les «Verts» (préférons ce surnom, à celui, débile, de «Fennecs» !) au même niveau que le très modeste Honduras, ce dernier ayant tout de même réussi à faire éliminer son adversaire du troisième match (la Suisse) ce que les Algériens ont bien été incapables de réaliser face aux Etats-Unis.
Disons-le tout de suite, il n’y a pas de quoi pavoiser. Certes, il y a eu ce match nul arraché à une équipe anglaise vieillissante et sans imagination. L’EN aurait même pu obtenir la victoire ce qui aurait peut-être changé le cours des choses. Mais on ne peut se contenter de cela. On ne peut clamer, comme j’ai pu le lire et l’entendre ici et là, qu’il y a lieu d’être satisfait du parcours de nos joueurs, qu’ils ont limité les dégâts et que c’est l’essentiel. Cette mentalité de gagne-petit ne fait pas honneur à l’Algérie et aux Algériens. Surtout, elle ne nous rend pas service. Je sais qu’il est d’usage de dire chez nous que la baraka accompagne ceux qui savent se contenter de peu mais tout de même !
Soyons clairs, il ne s’agit pas de lyncher les joueurs et leur entraîneur. Personne ne doute de leur honnêteté ni de leur volonté de bien faire (surtout si on a en tête le pitoyable comportement des joueurs de l’équipe de France et de leur coach). Mais dans le même temps, il faut cesser de s’inventer une autre réalité et de se raconter des histoires en présentant une élimination sans gloire comme un grand fait d’armes du football algérien. Cela relève d’une philosophie insupportable, celle du «c’est mieux que rien», qui est l’une des raisons du retard de notre pays et de son incapacité à avancer.
On peut comprendre que ce genre de raisonnement a pu être fréquent aux lendemains de l’indépendance. A l’époque, le moindre progrès de l’Algérie et il ne s’agit pas que de football – prenait des dimensions gigantesques tandis que les échecs étaient relativisés. «Ce n’est pas grave, on fera mieux la prochaine fois. On a quand même donné une bonne image de l’Algérie, c’est l’essentiel» : combien de fois avons-nous entendu ce type de propos ? Combien de fois les avons-nous employés pour trouver quelques consolations vis-à-vis desquelles personne n’était dupe. Près de cinquante ans après juillet 1962, il serait préférable, après tout échec, de se dire que «nous n’avons pas été bons» et d’agir de manière vigoureuse pour s’améliorer plutôt que d’affirmer que «nous n’avons pas été si mauvais» ce qui est l’assurance du statu quo et de l’immobilisme.
Parlons maintenant du jeu de l’équipe algérienne et abordons un sujet épineux qui est celui de l’identité. Je sais que nous sommes à une époque de grands chambardements identitaires et que la mondialisation exerce une force énorme en matière d’uniformisation du jeu. Il n’y a qu’à voir le Brésil jouer pour le comprendre. On dirait une équipe italienne ou bien l’Allemagne des années 1990 ! Terminée la samba, bienvenu au réalisme (et à l’ennui ). L’observation vaut aussi pour l’équipe algérienne dont le système de jeu et l’organisation ressemblaient plus aux canons rigides du football italien qu’à ceux dont nous nous sommes toujours enorgueillis : c’est-à-dire un jeu où l’attaque (et la contre-attaque) prime et où le beau geste offensif n’est pas mis à l’amende.
Il est possible que l’abandon du jeu à l’algérienne soit nécessaire pour obtenir enfin des résultats, notamment en Coupe d’Afrique des Nations. Mais si l’on décide de jouer comme l’Italie, l’Uruguay ou même l’Egypte, il ne faut pas oublier qu’un match de football ne se gagne qu’en marquant des buts. C’est ce que notre équipe a semblé ignorer en Afrique du Sud. Bien sûr, nous n’avons pas de Messi ou de Ronaldo, mais cela n’empêche pas de prendre des risques, en jouant par exemple avec trois attaquants et en se souvenant que l’Algérie n’a jamais autant réussi sur un terrain de foot que lorsqu’elle a été fidèle à elle-même : déviations, passes en triangle, débordements par les ailes (c’est tellement beau et simple !).
Et j’en viens à reparler de cette liste des vingt-trois joueurs dont vingt-deux évoluent en dehors du championnat d’Algérie. Soyons clairs : sans l’apport des professionnels, qu’ils soient expatriés ou nés à l’étranger, notamment en France, l’équipe algérienne manquera toujours de l’expérience et de la rigueur tactique nécessaires pour participer aux grandes compétitions. Mais il faut prendre garde à ne pas désespérer les joueurs locaux. Que penseraient les cadres de tel ou tel ministère ou même de la Fédération de football s’ils venaient à être tous remplacés par des Algériens vivant à l’étranger ?
Ce n’est pas parce que l’on vit et que l’on travaille en Europe que l’on est systématiquement meilleur que celui qui est resté au pays
Je l’ai déjà écrit mais je ne le répéterai jamais assez : on ne me fera jamais admettre qu’il n’y a pas, dans tout le championnat algérien, des attaquants, juste deux ou trois, qui auraient contribué à donner plus d’allant offensif à l’EN. On ne me fera pas croire qu’il n’y a pas deux ou trois joueurs de ce même championnat dont le potentiel et le talent naissants auraient justifié qu’ils soient sélectionnés pour justement bénéficier de l’expérience des pros algériens (et peut-être aussi de leurs agents omniprésents ). Entre Algériens «d’ici» et ceux de «là-bas», il faudra toujours trouver un subtil dosage et le football ne doit pas échapper à cette règle.
2 juillet 2010
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