La note du ministre de l’Enseignement supérieur sommant pratiquement les enseignants de ne pas répondre à des invitations à l’étranger est consternante et inquiétante. On aimerait croire que cette menaçante admonestation aux universitaires n’est que le produit mal rédigé d’un fonctionnaire zélé aux idées confuses. Car, de la confusion, il y en a et des masses.
La note prend beaucoup de liberté avec le principe de la libre circulation et du droit à l’expression garantis par la Constitution algérienne. Que des universitaires algériens, ou des hommes d’affaires ou des journalistes, soient invités à participer à des colloques ou à des rencontres à l’étranger ne devrait poser aucun problème. S’il s’agit de rappeler à l’ordre des universitaires qui seraient trop voyageurs au détriment du travail pour lequel ils sont rétribués, cela relève de la prérogative ordinaire du directeur d’institut. Elle ne nécessite pas une note du secrétaire général du ministère.
Hormis cet aspect qui relève de la gestion ordinaire, empêcher des universitaires et des scientifiques de participer à des rencontres à l’étranger est une hérésie. C’est une régression, une culture de l’enfermement d’un autre âge. Une certaine tendance existe en Algérie qui consiste à magnifier les «temps tranquilles» du parti unique et tenter d’instaurer une funeste culture du soupçon.
On aurait donc des députés aux ordres de Dick Cheney , comme si d’ailleurs le Parlement algérien avait une quelconque capacité à orienter des décisions politiques ou économiques. Comme si Dick Cheney ou ce qu’il symbolise n’est pas suffisamment informé des lieux réels de pouvoir et de décision en Algérie. Au final, cela ne fait qu’un discours de plus contre les libertés élémentaires : c’est très tendance dans ce Maghreb glaciaire.
Quant à nos universitaires qui assistent à des rencontres à l’étranger, on se demande quels secrets ils peuvent détenir pour mériter une telle mise en garde. Quels seraient d’ailleurs les secteurs ou domaines scientifiques ou économiques où l’on serait si en avance sur les autres qu’ils mériteraient qu’on les protège, y compris par une interdiction de circuler ? Ce n’est pas sérieux.
Et l’on sait que ce genre de méfiance exacerbée à l’égard des universitaires est un symptôme classique des pays qui se mettent en hibernation. Le contenu léonin de la note (voir notre édition d’hier) autorise les interprétations les plus élastiques.
Ainsi, cette note prête aux universitaires qui rencontrent des étrangers une capacité extraordinaire de miner la «cohérence de l’action internationale de l’Etat et de ses activités diplomatiques». Et leur «liberté d’initiative» – entendre la possibilité de participer à des rencontres à l’étranger – s’éteindrait lorsque les «intérêts ou la politique étrangère du pays sont concernés».
Encore une fois, c’est un discours incompréhensible. Jusqu’à preuve du contraire, les universitaires qui participent à des forums, colloques ou conférences n’ont jamais prétendu parler au nom de l’Etat algérien ou de sa diplomatie. Il y a vraiment maldonne.
22 juin 2010
Contributions