Il arrive aux animaux aussi, eh oui, de lever la tête et de scruter les nuages en se demandant pourquoi ils ont été, ou au mieux pourquoi ils vont être sacrifiés. Finalement, il n’y a pas que les hommes qui se posent des questions.
Lorsqu’on nous offre, entre deux silences qui n’ont pas toujours tendance à signifier quelque chose, lorsqu’on nous pousse, avec le tic méprisable de rassasiés, vers le voisin d’en face, ou celui d’à côté, on ne peut pas ne pas croire avoir servi de gavage pour des gloutons, même lorsque ceux qui nous ont donnés ont la certitude d’avoir agi par principe, par amitié pour des voraces pansus ou, tout simplement, par peur d’intoxication alimentaire.
Les amitiés, toutes simples et toutes normales, ont toujours existé. Celles anormales, qui lient les passagers d’un jour dans des palais de carton, continueront certainement d’exister aussi. Ce n’est pas cela qui nous dérange. Des relations toutes claires et toutes nettes ont de tout temps relié des hommes et des tribus. Celles bizarres, changeantes et imprévisibles qui lient des voisins de table d’un moment, continueront aussi d’exister. Cela ne nous concerne presque pas.
Ce que nous n’aimons pas cependant, c’est qu’on nous sacrifie pour entretenir des liaisons pas toujours joyeuses et pas toujours correctes. Nous sommes des animaux qu’on donne, qu’on sacrifie sur l’autel d’exigences illogiques et incompréhensibles. Lorsque ce n’est pas l’un qui nous dévore, c’est l’autre. Notre destin semble scellé du sceau de l’immoralité et notre vie éclaboussée par une honte qui n’est pas nôtre. Nous ne faisons que regarder ceux qui nous mangent, sans trop savoir pourquoi ils nous gardent et sans jamais savoir pourquoi ni quand ils nous donnent aux autres.
Des moutons, voilà, nous ressemblons à des moutons qu’on sacrifie pour des raisons que nous ne connaissons pas et que nous n’aimerions pas connaître, tant elles sont insultantes d’avance.
Si, jusque-là, il a été impossible de constituer un Maghreb uni, ce n’est certainement pas à cause des moutons ; et si un jour ce Maghreb devait être construit, ce ne sera pas à partir d’un quelconque marché d’ovins. Les moutons étant les mêmes, ici et ailleurs, il paraît plus juste de chercher plutôt les raisons de l’échec du côté des commerçants. Les moutons d’ici et d’ailleurs n’aiment pas qu’on les donne comme ça, sans raison. Mais que peuvent-ils ? Dans cette vie, il y a les animaux et le reste !
22 juin 2010
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