Ce qu’on veut, c’est la clameur synchronisée. Cet instant où les immeubles et les villages sont soulevés par les gosiers et où les parallèles finissent par se croiser pour s’embrasser follement en pleurant. C’est la théorie de l’Instant Big Bang expliquée par une lectrice. Explication : même si on ne « passe »
pas au 2ème tour à Pretoria, ce qu’on veut c’est un but, un seul, capable de faire hurler tout le pays de joie et revivre cette brusque apesanteur collective qui nous fait toucher la lune avec l’index dans une ultime extension du muscle national. « Après, on éteint les télés et on sort fêter le but dans les rues, même si le match n’est pas fini et même si on perd par la suite », expliquera notre vivace interlocutrice. C’est ce qu’on veut revivre: la vie brusque et sauvage des léopards verts. Parce que après, on sait qu’il faudra revenir au pays même pour ceux qui ne sont pas partis en Afrique du Sud, et l’endosser comme un destin devenu une borne kilométrique. On peut reprocher au « foot » de servir de jouet dérivatif au Pouvoir et de basse bassine pour les instincts primaires des peuples pauvres, mais sa magie est là, même si le reste est vrai.
Bien sûr on sait que le Pouvoir se sert du foot pour nous occuper, que la ballon cache le Palais et qu’il n’y a rien de mieux pour occuper un peuple que de l’amuser, mais le reste est aussi vrai : l’épopée Saâdane nous a restitué le drapeau, le chant, l’hymne et la capacité d’être heureux alors que nous ne faisions que grimacer dans les mariages depuis vingt ans. Le chroniqueur l’avait déjà écrit : la fin légale de la décennie noire, ce n’est pas le référendum sur la réconciliation qui l’a réussie mais la clameur du 18 novembre 2009. Donc le foot reste magique : sa recette est une inversion des projections et un jeu de rôle inversé. Explication : dans les dictatures, onze personnes se prennent pour un peuple. Dans le foot, c’est le peuple qui se prend pour onze personnes, dribble avec elles, s’emporte ou s’attriste, à un but ou une défaite. Le peuple joue, en quelque sorte, une sorte de destin en direct, sans passer par la tromperie de la procuration des urnes. L’adversaire est connu et l’entraîneur et son staff ne sont pas des putschistes mais des salariés. Dans un stade, il n’y a pas de « services », de chars d’assaut, de partis ou de zaouias. Le jeu de mains y est puni et la marge de manipulation est réduite dans l’espace des vestiaires. Ceci pour allonger la parallèle. D’ailleurs, on ne dit pas « l’équipe algérienne » va affronter « l’équipe US », mais on dit « l’Algérie va affronter les USA ». On ne dit pas l’Algérie va recevoir Obama, on dit « Bouteflika va recevoir le Président américain ». Il ne faut pas confondre le peuple avec une personne, ni le pays avec ceux qui l’ont mis dans la poche.
22 juin 2010
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