La Banque mondiale a présenté ce 15 juin à Dubaï une étude d’une brûlante actualité, sous le titre «Lieux pauvres, populations prospères : comment le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord peuvent surmonter les disparités spatiales »(*).
Le premier intérêt de l’étude est de montrer comment mesurer l’inégalité géographique et comment établir la typologie des zones en retard. Une idée reçue est balayée : les populations de la région sont plus agglomérées (urbanisées) qu’on ne s’y attendrait au regard de leur niveau de développement économique. En 2007, les citadins représentaient 65 % des habitants. Cette urbanisation a pour particularité de préserver l’agriculture et l’emploi agricole : ainsi, dans notre pays, la main-d’œuvre agricole augmente rapidement (+ 3 % environ, annuellement) par rapport au niveau de développement et les disparités géographiques sont moins importantes qu’il n’y paraît.
Les disparités géographiques sont souvent des disparités sociales, précisent les auteurs du rapport qui s’en remettent aux caractéristiques des ménages des zones en retard pour cibler trois facteurs démographiques et éducationnels : la fécondité, l’effet de tri et l’éducation.
La typologie de l’ensemble obéit à trois critères :
Zones en retard et zones avancées : critère de niveau de vie ;
Zones densément peuplées et zones peu peuplées : critère de densité démographique ;
Zones proches des centres urbains et zones éloignées ; critère de temps de parcours jusqu’à la grande ville.
Ainsi, la majorité de la population des zones en retard est relativement agglomérée.
Le document passe en revue l’incapacité des pouvoirs publics de 13 pays de la région à vaincre les inégalités spatiales en développant leurs régions à la traîne économiquement et préconise des «choix politiques informés et pertinents» qui ne reposent pas seulement sur la facilité à recourir à des investissements lourds. Est ainsi fermement contestée l’idée selon laquelle le développement régional serait tributaire de dépenses colossales dans des mégaprojets et des subventions sans fin en faveur de leurs zones les plus pauvres. L’auteur principal du rapport, économiste en chef à la Banque mondiale, leur préfère l’éducation des filles, la construction de routes rurales ou l’existence de bonnes relations entre entreprises et institutions publiques. L’étude rappelle l’idée de base que l’agglomération économique, réputée procurer des avantages certains, n’est pas antinomique avec une réduction des niveaux de vie entre différentes régions d’un même pays. L’idée est de concilier la nécessaire concentration (la production gagnant en efficacité lorsqu’elle est agglomérée) et l’équité entre niveaux de vie de populations vivant dans des espaces géographiques différents. Dans le cas de notre pays, apparenté à un vaste sous-continent, la question recoupe d’autres impératifs évidents de sécurité (son meilleur garant étant une bonne répartition de sa population). La caractéristique première des pays étudiés, dont le nôtre, est que les niveaux de vie sont plus élevés là où l’activité économique est la plus dense et où la distance de raccordement à cette densité est la plus courte. «La difficulté pour les gouvernants consiste donc à maintenir un certain équilibre géographique et politique sans sacrifier les gains d’efficience résultant de l’agglomération», préconise le rapport. «Il s’agit d’une question de choix politique, et non d’une fatalité géographique », assure encore la Banque mondiale qui soutient qu’on réussit d’autant mieux à conjuguer ces deux paramètres en préconisant une action politique qui favorise trois trains de mesures : primo, uniformiser les règles du jeu et investir dans les ressources humaines, tout en facilitant l’accès aux services sociaux et en améliorant le cadre de l’activité économique ; secundo, relier les zones en retard aux zones avancées pour mettre à profit l’effet d’entraînement induit par la proximité ; tertio, encourager un développement économique régional en grappes qui encourage la croissance locale sans recourir aux subventions. Concernant le premier axe d’effort, les règles du jeu, inéquitables et héritées de l’époque coloniale, indiquent pour l’essentiel qu’il existe «une relation statistique étroite entre les institutions politiques et le développement spatial : moins un Etat est tenu de rendre des comptes, plus sa population est agglomérée. Cela tient probablement au fait que les Etats non démocratiques négligent en général les populations des zones périphériques ». Les pesanteurs du passé sont tenaces : «Les indicateurs empiriques donnent à penser que les Etats de la région MENA rendent moins de comptes aux administrés que d’autres pays parvenus à un niveau de développement comparable ». Il est par ailleurs rassurant de lire sous le sceau d’une institution comme la Banque mondiale, s’agissant des puissances coloniales, que «les populations défavorisées ont été divisées sur des bases ethniques et religieuses pour empêcher qu’elles s’allient contre l’autorité ». Les «iniquités historiques» qui restent à corriger passent par une intervention inscrite sur quatre fronts : l’amélioration du climat des investissements dans les zones en retard ; la prise en compte de la dimension géographique dans la gestion des dépenses publiques, l’extension des services d’éducation et de santé et des filets de protection sociale aux populations des zones en retard ; l’aide à la croissance urbaine. Qu’en est-il du deuxième train de mesures ? Il consiste à relier les zones en retard aux zones avancées pour faire jouer l’effet d’entraînement. Cette question comporte trois éléments de réponse : le transport, la facilitation du commerce et les technologies de l’information et de la communication. Les pays de la région enregistrent de piètres performances de sécurité routière et le triste record d’avoir «de loin les routes les plus dangereuses du monde en développement», alors que l’Algérie est épinglée pour connaître «un problème majeur : la détérioration des routes». Il reste enfin à encourager un troisième train de mesures : faciliter le développement en grappes des zones au potentiel inexploité. Comme la croissance en grappes touche, par définition, plusieurs secteurs, les décideurs sont invités à opter progressivement pour une approche territoriale et non plus sectorielle. Une vision qui trouve, on le sait, largement écho au sein du Conseil national économique et social. L’étude rejette l’idée selon laquelle des programmes de dépenses ambitieux pourraient stimuler la croissance économique dans les zones en retard, parce qu’elle n’est pas corroborée par les données d’expériences mondiales. Ainsi, «l’Algérie s’est efforcée d’étendre l’activité économique au-delà de la sphère d’influence de la capitale au moyen de programmes régionaux de développement économique comprenant des investissements dans les industries d’Etat. Les investissements tant publics que privés sont pourtant restés concentrés à Alger». C’est pourquoi il est préconisé, toujours au titre du troisième train de mesures, de mener de pair les investissements dans les infrastructures et l’éducation, de décentraliser le processus de mise au point des politiques publiques et de consacrer l’interface public-privé comme «déterminant-clé de la productivité, de la croissance et de l’innovation à l’échelon régional». On relèvera que cette conjonction d’investissements lourds, dans les infrastructures, conjugués à des projets hardis de développement du capital humain, trouve une bonne illustration dans le plan quinquennal 2010-2014 qui affecte 80 % de ses 286 milliards de dollars à ces deux secteurs (à raison de 40- 40). Il reste à mettre en place les garde-fous nécessaires pour que les canaux censés faire parvenir à bon port ces précieuses (car non renouvelables) ressources ne subissent pas trop de délestages et de détournements en cours de trajet.
A. B.
(*) Banque mondiale, Rapport sur le développement de la région Mena, Vue d’ensemble, lieux pauvres, populations prospères : Comment le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord peuvent surmonter les disparités spatiales, Washington, juin 2010. Il sera disponible en ligne et dans les librairies en août 2010.
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/06/22/article.php?sid=101931&cid=8
22 juin 2010
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