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Grande fut notre surprise en croisant dans le hall de l’hôtel, l’ancien champion du monde 94, José Roberto Gama de Oliveira, alias Bebeto. Il était accompagné de son agent, Mauro Silveira Corrêa, un gentleman qui se chargea de nous le présenter. «Bebeto, c’est un grand honneur pour nous de vous rencontrer. Nous sommes des journalistes algériens et nous aimerions vivement vous entretenir pour quelques minutes. Cela nous fera plaisir autant qu’à nos lecteurs en Algérie.»
«L’Algérie ? Ah, le pays de Madjer !
«Bonjour, l’Algérie ! Ah, le pays de Madjer ! C’est avec grand plaisir que je discuterai avec vous. Laissez-moi juste une demi-heure pour aller courir un peu et je serai à vous», nous répond-il avec un large sourire qui ne laisse aucun doute sur sa sincérité. Le temps de le laisser maintenir sa forme dans la salle de gym de l’hôtel, nous avions donc une bonne trentaine de minutes pour nous remémorer sa belle carrière ponctuée par un retentissant titre de champion du monde en 1994. Trente-neuf buts en 75 sélections entre 1985 et 1998, quatre Coupes du monde (1986, 1990, 1994, 1998). L’honneur d’avoit été l’un des meilleurs joueurs du Mondial aux USA, avec trois buts à son actif.
La plus belle célébration de but au monde !
Vint alors l’inévitable scène qu’il laissera pour la postérité. C’était en quarts de finale contre les Pays-Bas. Sa femme venait de mettre au monde son enfant Mateus et le papa Roberto était sur le terrain en train de tenter de qualifier son pays pour les demies. C’est ce jour-là que Bebeto devint connu mondialement, en célébrant son but d’une façon très originale. Il marque un but, puis court vers la ligne de touche, pour balancer ses bras de gauche à droite, comme pour bercer son bébé à distance. Ses coéquipiers Romário et Mazinho se sont joints à lui spontanément pour former ce qui est resté comme l’une des images les plus fortes de l’histoire de la Coupe du monde.
Que la partie commence !
C’est ce bonhomme-là que Le Buteur a rencontré avant- hier à Johannesburg et c’est ce Bebeto si sympathique que nous avons attendu avec impatience dans le salon de l’hôtel. Trente minutes sont passées, quoique difficilement. Bebeto revient tout en sueur et nous sourit. Nous l’invitons à aller d’abord prendre sa douche dans la chambre pour le mettre plus à l’aise. Quinze minutes plus tard, il revient tout frais, pour entamer avec nous les 45 autres minutes qui manquaient à notre match. Que la partie commence !
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«Madjer est pour moi un Brésilien»
On voit que vous êtes bien conservé, malgré le poids des ans. Quel en est le secret ?
C’est le football qui m’a donné cette envie de m’entraîner au quotidien. Quand je ne fais pas de sport, je ne me sens pas bien. Je m’entraîne pratiquement tous les jours en faisant du footing et en travaillant en salle. J’essaie aussi de me conserver en évitant de manger n’importe quoi.
Il vous arrive aussi de jouer au foot ?
Bien sûr ! Je joue chaque week-end avec des amis. La passion est toujours là, comme vous voyez.
On vous a vu justement vous entraîner avant l’entretien…
Oui, je ne rate aucune occasion pour faire du sport parce que je me sens bien.
Vous êtes ici à Johannesburg comme consultant d’Al Jazeera. Comment le contact a-t-il été établi avec la chaîne qatarie ?
C’est Mauro (Mauro Silveira Corrêa), mon représentant qui est présent avec nous, qui s’est occupé de tout, mais le premier contact a été établi avec une amie qui travaille dans une télé brésilienne et qui connaît les gens d’Al Jazeera. Une fois le contact établi, Mauro s’est chargé des discussions.
Avez-vous été surpris qu’une chaîne arabe s’intéresse à vous ?
Non, pas du tout. J’ai connu beaucoup d’Arabes durant ma carrière et ils m’ont toujours voué un grand respect.
En Algérie et partout dans le monde, on garde de votre manière si particulière de fêter un but pour le dédier à votre fils né la veille au Brésil. Comment vous est venue l’idée de balancer les bras d’un côté vers l’autre ?
Mateus est le seul enfant que je n’ai pas vu naître. Je suis resté presque 45 jours loin de ma famille pour préparer et jouer la Coupe du monde. Pour moi, les longs regroupements étaient la chose que j’aimais le moins dans le football de haut niveau.
L’idée, vous l’avez eue la veille ou pendant le match ?
Je l’ai eue juste après avoir marqué le but. Romario et Mazinho m’ont suivi spontanément.
Combien d’enfants avez-vous ?
J’en ai trois. Un autre garçon qui s’appelle Roberto Nieto et une fille Stefany. Ces deux-là, je les ai heureusement vu naître et je les ai pris dans mes bras. Mon geste en Coupe du monde était une manière pour moi de le baptiser à distance.
Joue-t-il au foot ?
Oui, et il le fait très bien. Il joue depuis sept ans à Flamengo et il est régulièrement convoqué dans les sélections jeunes du Brésil depuis l’âge de 12 ans.
C’est un attaquant ?
Non, c’est un milieu du terrain, mais il lui arrive parfois de jouer en attaque.
Vous ressemble-t-il un peu ?
Physiquement non, car il est beaucoup plus athlétique que moi, mais il a le même toucher de balle.
Vous arrive-t-il de lui prodiguer des conseils ?
Tout le temps. Je suis tout le temps derrière lui. Il a la chance d’avoir un père champion du monde, il doit en profiter.
Vous qui êtes issu d’un quartier défavorisé, comment faites-vous pour transmettre cette grinta qui caractérise les enfants pauvres à l’enfant gâté qui est votre fils ?
Je lui répète souvent que pour réussir dans le football, il faut beaucoup de sacrifices. Il faut lutter et travailler tous les jours. Sans sacrifices, il ne pourra rien faire. Je lui rappelle également que son père a beaucoup travaillé pour atteindre le niveau qui a été le sien. Et puis Mateus n’est pas un enfant gâté comme vous pouvez le penser. Tout ce que je lui donne, il doit le mériter.
Pourquoi ce surnom de Bebeto ?
C’est le diminutif de Roberto. Au Brésil, c’est une habitude de donner des surnoms aux enfants en utilisant affectueusement des diminutifs.
Dans votre famille, êtes-vous le seul à avoir fait carrière dans le football ?
Oui, mais je ne suis pas le seul à avoir joué au foot. Mon grand frère a joué à Bahia, c’est là d’ailleurs que je l’ai rejoint pour signer ma première licence de footballeur. Deux autres frères ont également joué au football. Nous sommes dix enfants dans la famille, sept garçons et trois filles.
Il vous arrive de penser un peu aux enfants des favelas ? De les aider un peu ?
Avec mon ancien coéquipier Jorginnho (NDLR : actul adjoint de Dunga), nous travaillons depuis dix ans pour essayer de changer les choses dans les favelas. Grâce à un projet de réinsertion sociale, nous avons pu aider jusqu’à 940 enfants défavorisés. Avec les moyens qu’on a, on essaye d’aider du mieux qu’on peut les enfants des favelas.
Les plus grands footballeurs brésiliens viennent des quartiers défavorisés. Pourquoi à votre avis ?
La pauvreté nous fait grandir. Chaque enfant au Brésil ou ailleurs a des rêves dans la vie. Moi, mon rêve c’était d’acheter une maison à ma mère. Même enfant, je savais que pour y arriver, je devais réussir dans le foot et c’est cela qui m’a motivé à travailler plus que les autres pour réaliser un rêve d’enfant. C’est le cas des enfants des favelas qui rêvent tous de sortir un jour de la misère.
L’avez-vous fait ?
Oui, j’ai acheté un chalet à ma mère juste après avoir signé mon premier contrat professionnel. Je ne voulais plus la voir souffrir. Je savais qu’avec son maigre salaire, mon père ne pouvait se permettre d’acheter une maison. Je raconte tout ça à mon fils pour qu’il sache d’où est venu son père et les difficultés que j’ai endurées pour que lui vive à l’aise. Je lui demande toujours d’être humble.
Pourquoi les Brésiliens sont-ils aussi doués techniquement ?
Si vous vous baladez au Brésil, vous aurez la réponse. Rien que le fait de voir autant de mômes jouer toute la journée au football est déjà une réponse à votre question. Le moindre petit espace est occupé par des enfants qui jouent au foot. Sur l’herbe, sur la plage, sur des terrains vagues et même sur de l’asphalte, vous trouvez toujours un gamin en train de tripoter un ballon de foot. C’est merveilleux ! Le football chez nous est plus qu’un sport, c’est plus profond, plus fort. C’est comme une religion, oui une religion.
La Coupe du monde vient de boucler sa première semaine, quelles sont vos premières impressions sur le niveau du jeu des équipes présentes ?
Malheureusement, très faible. Le physique prend le pas sur le technique et ça, je n’aime pas. Ce n’est pas mon football. Ce sont les équipes les mieux préparées physiquement qui gagnent les matchs. C’est de plus en plus physique. Dommage, mais le football a beaucoup changé. Les joueurs talentueux se font de plus en plus rares. Je dirai qu’ils se comptent sur les doigts d’une seule main. La meilleure preuve ce sont les résultats souvent serrés des premiers matchs où mis à part l’Allemagne qui a marqué quatre buts, il n’y avait que des 0 à 0 et des 1 à 0. (NDLR : entretien réalisé avant Argentine-Corée du Sud).
Le Brésil de Dunga ne fait pas mieux ?
Si. Dunga fait du bon travail depuis qu’il est à la tête de la sélection. Il essaie de produire du jeu et de réaliser de bons résultats, ce qui n’est pas toujours évident. Pourtant, il le réussit bien avec un mélange de joueurs techniques que sont Robinho, Kaka et physiques avec Maicon ou Lucio. Je crois que le Brésil n’a jamais eu une défense aussi solide, c’est cela qui a permis à Dunga de gagner la Copa América en 2007 et la Coupe des Confédérations en 2009. Au Brésil, on doit non seulement gagner, mais on ne doit pas non plus oublier que le football brésilien doit rester joyeux. Et cela, Dunga le sait très bien.
Avez-vous regardé le match Algérie-Slovénie ?
Malheureusement non, j’avais du travail ce jour-là. Je l’ai raté.
Quand on vous parle du football algérien, à quoi pensez-vous en premier ?
Je match Algérie-Brésil de 1986 où nous avions eu beaucoup de mal à vous battre, mais aussi et surtout de Rabah Madjer, un joueur que j’adore énormément ! Madjer est un grand, un très grand même ! (ses yeux s’illuminent).
Pourquoi Madjer plaît-il autant aux Brésiliens ?
Parce qu’il est tout simplement Brésilien ! Il joue exactement comme on le fait au Brésil. Son style de jeu est le nôtre. Son toucher de balle, sa technique, son aisance font de lui un joueur phénoménal. Il n’y a pas le moindre doute. Et que fait Madjer actuellement ?
Il est consultant comme vous, mais sur Alarabiya, une chaîne concurrente d’Al jazeera…
Ah, très bien ! Transmettez-lui mon bonjour, si vous l’avez au téléphone. Je l’aime beaucoup.
L’équipe d’Espagne, le pays où vous avez longtemps joué, a perdu à la surprise générale face à la Suisse. Un commentaire ?
Je ne sais pas ce qui se passe avec les Espagnols. Ils ont toujours eu d’excellents joueurs, ils jouent très bien au ballon, mais on dirait qu’ils n’ont pas envie de gagner la Coupe du monde. Pour gagner la Coupe du monde, il faut non seulement posséder une grande équipe, mais il faut aussi en vouloir. Ce n’est pas l’impression que j’ai eue en regardant jouer l’Espagne. C’est triste pour eux.
Romario a été votre complice en Seleçao. Avez-vous gardé le contact avec lui ?
Naturellement. En plus d’être mon complice, c’était aussi mon ami et il l’est toujours aujourd’hui. On s’appelle régulièrement et il nous arrive souvent de nous rencontrer. Vous savez, l’équipe de 1994 était une véritable famille. On ne peut pas se déparer de sa famille aussi facilement. Que ce soit avec Romario, Dunga, Mazinho ou Mauro Silva qui est ici avec moi en Afrique du Sud, le contact n’a jamais été rompu. On est restés soudés bien après avoir arrêté nos carrières. C’est un lien solide, indéfectible qui existe entre nous. C’est aussi cela qu’on gagne du football, une vraie amitié.
Beaucoup de joueurs algériens ont la même morphologie que vous. Comment peut-on réussir dans le haut niveau en étant aussi frêle ?
(Il met son index sur sa tempe). L’intelligence et la confiance. Je me rappelle que, lorsque je suis parti jouer à la Corogne, des journalistes brésiliens étaient venus me demander, si j’étais sûr de réussir dans un football aussi physique. Je leur ai donné rendez-vous dans quelques mois pour voir si j’allais réussir ou pas. Vous savez, dans la vie, il ne faut jamais avoir peur de l’échec, sinon il vaudrait mieux rester à la maison. Moi, en football ou dans la vie de tous les jours, je n’ai jamais eu peur. Dans mon for intérieur, je savais que le physique n’était pas un obstacle, au contraire j’en tirais un avantage grâce à l’intelligence dans le jeu et la vivacité. Le football ce n’est pas seulement la force physique. C’est sur cela que les jeunes qui ne sont pas musclés doivent axer leur jeu pour faire la différence. Mais il y a aussi le travail de tous les jours et le sérieux. L’hygiène de vie est très importante aussi. Avec cela, tout devient possible pour tout le monde.
Quels sont vos favoris pour la Coupe du monde ?
Les favoris seront toujours les mêmes pour moi et c’est un peu normal, car ce sont les équipes habituées à aller loin en Coupe du monde comme le Brésil, l’Argentine, l’Italie et l’Allemagne. La Coupe du monde, c’est seulement sept matchs et il faut avoir les nerfs solides pour jouer à un très haut niveau durant ces sept matchs. Il faut être prêt dans la tête et ne jamais lâcher, même dans les moments de doute. C’est au plus puissant mentalement que revient le titre de champion du monde.
Quels sont les joueurs qui peuvent marquer cette Coupe du monde ?
Oh, il y en a beaucoup comme Messi, Cristiano Ronaldo, Kaka, Robinho, Maicon, Lucio, Juan, Rooney, Gerard, Tevez, Higuain… Chacun dans son style peut marquer cette Coupe du monde. Il y en a qui peut le faire avec des buts et d’autres avec leur façon de jouer ou de diriger leur équipe. Mais tous ces joueurs-là dépendront en grande partie du parcours de leur sélection pour pouvoir marquer la Coupe du monde.
Quel est le message que vous voulez transmettre aux Algériens ?
Je les salue chaleureusement. Quant aux joueurs algériens, je leur demanderai de servir de modèles pour les jeunes car il y a beaucoup d’enfants qui aimeraient leur ressembler. C’est important de prendre conscience de cela lorsqu’on est adulé par les enfants. Il faut qu’ils donnent le bon exemple et montrer aux jeunes qu’on ne perd pas ses valeurs quand on devient célèbres.
Et quel est le modèle à suivre dans l’équipe du Brésil aujourd’hui ?
Au Brésil, le modèle à suivre c’est incontestablement Kaka. Je dis souvent à mon fils de le prendre pour exemple, car c’est quelqu’un de bien. Il garde toujours la tête sur les épaules.
Le jour où Bebeto refusa de tirer le penalty !
En 1993-1994, le Deportivo La Corogne peut devenir pour la première fois de son histoire champion d’Espagne s’il bat le FC Valence pour le compte de la dernière journée de championnat. Durant cette rencontre âprement disputée, alors que le score est toujours de 0-0, le club galicien obtient un penalty à la fin du temps réglementaire, qui peut sceller le sort du match ainsi que celui de la course au titre. Bebeto, star incontesté du Deportivo et tireur habituel des penalties en l’absence de Donato, refuse de prendre cette responsabilité. Miroslav Dukic s’en charge à sa place, et le manque. Quelques minutes plus tard, le FC Barcelone est sacré champion d’Espagne… à la différence de buts.
Carrière
1983 : EC Vitória
1983-1989 : CR Flamengo
1989-1991 : CR Vasco da Gama
1992-1996 : Deportivo La Corogne
1996 : CR Flamengo
1996 : FC Séville
1997 : EC Vitória
1998-2005 : Botafogo FR
1999 : Toros Neza
2000 : Kashima Antlers
2000 : EC Vitória
2001-2002 : CR Vasco da Gama
2002-2002 : Al Ittihad Djeddah
Palmarès
Vainqueur de la Coupe du monde 1994 (Brésil)
Finaliste de la Coupe du monde 1998 (Brésil)
Vainqueur de la Coupe du monde des moins de 20 ans : 1983 (Brésil -20 ans) Champion du Brésil : 1987 et 1989
Champion de l’État de Rio de Janeiro : 1986
Champion de l’État de Bahia : 1997
Vainqueur de la Copa America : 1989
Vainqueur de la Coupe d’Espagne : 1995
Vainqueur de la Supercoupe d’Espagne : 1995
Vainqueur des Jeux panaméricains : 1987
Vainqueur du Tournoi pré-olympique : 1987
Vainqueur de la Coupe Nordeste : 1997
Vainqueur du Tournoi Rio-São Paulo : 1998
Vainqueur de la Coupe Naranja de Valence (Espagne) : 1986
Vainqueur du Tournoi Colombino Huelva (Spain) : 1987
Vainqueur du Trophée Ramon de Carranza (Cadix) : 1989
Vainqueur du Tournoi Amizade : 1991
Vainqueur du Trophée Theresa Herrera : 1995
Titres personnels
Meilleur buteur du championnat d’Espagne en 1993 (Deportivo La Corogne).
Meilleur buteur du championnat du Brésil en 1992 (Vasco de Gama).
Meilleur buteur du championnat de l’État de Rio : 1988 et 1989
Meilleur buteur de la Copa America : 1989
Sacré Meilleur joueur par El Pais : 1989
«Ballon d’argent brésilien» (Placar) : 1992
52 buts en 88 sélections avec le Brésil de 1985 à 1998
PUBLIE LE : 19-06-2010 | 00:00 | PAR Nacym Djender et Mohmed Saâd
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19 juin 2010
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