El Watan, 27 octobre 2005
Najia Abeer n’est plus. Une nouvelle bouleversante qui répand la consternation en ce début de semaine chez tous ceux qui l’avaient connue. C’était le cas au sein de ce supplément où ses contributions amicales étaient les bienvenues. Najia Abeer ne se posait pas en critique littéraire, mais, dans ses interventions, elle s’attachait à faire aimer la littérature.
Voilà la grand mot lancé : il articulait – depuis quelques années – la vie et la pensée de Najia Abeer. Elle était une lectrice exigeante, sévère parfois, et cela venait certainement de sa carrière d’enseignante. Najia Abeer n’était venue que tardivement à l’écriture, et il avait fallu qu’elle soit – paradoxe algérien – une encore jeune retraitée de l’éducation nationale. L’école comptait pourtant beaucoup pour elle et elle avait toujours été liée à cet univers de l’apprentissage du savoir. Née à Constantine au sein de la famille Benzegota, qui comptait de nombreux lettrés, à l’image de Si Maâmar Benzegota figure emblématique de l’érudition constantinoise et père de la romancière disparue, Najia gardait un souvenir émerveillé et ému de la Nouvelle Ecole, à Sidi Mabrouk inférieur, et elle citait avec respect les noms des enseignants constantinois emblématiques que furent MM. Ali Djeridi, Hammoudi ou Salah Mars. Najia Abeer aimait ainsi à évoquer la fin des années 1950 et l’émergence de ces jeunes algériens qui, comme elle, seraient l’élite dont le pays indépendant aurait besoin. Elle avait compris que l’enseignement était sa vocation et c’est presque naturellement qu’elle figurera parmi les premières promotions de normaliennes formées par l’Algérie. C’est de cette séquence, dont Najia Abeer a su se souvenir dans Bab El Kantara, récit fortement autobiographique dans lequel l’auteur revient sur ses années constantinoises comme pour désigner le lien indicible qui continuait de la raccorder à sa ville. Bab El Kantara continue d’une certaine manière le tout premier ouvrage de Najia Abeer, Constantine, les moineaux de la murette. L’Albatros, qui joue plus radicalement le parti pris fictionnel, et le souffle romanesque, est bien sûr différent, mais il n’en est pas moins autobiographique. Ce dont témoigne l’ouvre d’ensemble de Najia Abeer, c’est d’abord de cette quête essentielle de l’origine, le questionnement des années fondatrices de l’initiation au savoir et à la vie. On comprend les premiers textes comme une immersion dans le bain des origines et la prégnance des racines constantinoises. La démarche était originale car Najia Abeer s’était éloignée, sous la pression des circonstances de la vie, de sa ville natale. Elle avait voyagé dans le monde, vécu et travaillé aux Etats-Unis et au Moyen-Orient. Constantine s’est imposée à elle comme un incontournable retour aux sources. Et c’est ce qui fait que cette quête de l’écrivain parvenu à maturité est empreinte de nostalgie. Najia Abeer déroule, comme dans un conte à la résonance magique, la trame d’un passé dont il faut comprendre les leçons. Ce passé, tout comme Constantine, était devenu un thème récurrent dans les ouvrages de Najia Abeer. Mais évoquer le passé ne signifie pas une dérive passéiste. Najia Abeer regardait le présent de la ville pour observer que Constantine n’était plus ce qu’elle était et qu’il serait difficile de restituer les bruits, les senteurs épicées de Sidi Bou Annaba, ou de Zanqat Bou M’kiess où le soleil n’entre que par interstices. Najia Abeer était animée, dans ses textes et dans sa vie, par ce désir de communier avec Constantine. Elle s’inscrivait en cela dans l’esprit philosophique de Malek Haddad, autre enfant illustre de Constantine, lorsqu’il écrivait son magnifique poème Une clé pour ma ville. Le temps aura manqué à Najia Abeer pour aller au bout de son projet littéraire, cette ambition généreuse et lucide de se dire en déclinant les couleurs et les contours de sa ville. Najia Abeer s’était engagée dans ce combat de la mémoire en sachant qu’il valait d’être mené. Mais ce ne pouvait pas être un combat solitaire – mais bien plutôt solidaire – et cela explique l’insertion active de Najia Abeer dans bien des enjeux de la société civile. Il ne pouvait en être autrement pour cette forte personnalité qui mettait un point d’honneur à tenir tête et elle ne laissa jamais rien transparaître de ses difficultés, par pudeur, par sens rivé au corps de la dignité. C’est une amie, un auteur dont la littérature pouvait tirer le meilleur parti qui s’en est allée. On ne peut pourtant pas l’oublier.
Djamel Eddine Merdaci
17 juin 2010
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