En annonçant dimanche dernier qu’il n’a pas trouvé de lauréat adéquat pour la deuxième année consécutive, le jury du prix «Mo Ibrahim», créé en 2006 pour récompenser d’anciens chefs d’Etat ou de gouvernement africains s’étant distingués par leur pratique de la bonne gouvernance et le respect de la démocratie quand ils ont été aux affaires, n’a fait que s’en tenir à la vérité crue, qui est que cet oiseau rare dont il
aurait voulu honorer le mérite n’existe pratiquement pas. Pourtant des ex, à la cadence où les changements de nature politique se produisent sur le continent, sont légion. C’est à l’honneur de ce jury d’avoir refusé de succomber à la complaisance dont ne se privent pas des responsables politiques d’Etat censés faire preuve de vigilance et être intraitables sur ces deux notions de bonne gouvernance et de démocratie. Oui, les dirigeants africains passés et présents ne sont pas éligibles à la distinction du prix «Mo Ibrahim». Ou alors parce que c’est l’Afrique, l’on doit faire preuve de tolérance et, au mépris des faits, trouver du positif dans les comportements dictatoriaux de ces dirigeants. Le maintien ou la succession du pouvoir dans le continent se font encore et toujours par la violence, qu’elle soit constitutionnelle ou par la force brutale du coup d’Etat militaire. Ceux qui en bénéficient sont hermétiques aux critères de bonne gouvernance et de démocratie.
L’adoption par un grand nombre de gouvernants africains du projet NEPAD, qui met ces deux normes à la toute première priorité de ses objectifs, a un moment fait illusion. Il a bien vite fallu déchanter quand même les chantres initiateurs du projet ont prêché par le mauvais exemple en s’accrochant au pouvoir par des méthodes en totale réfutation de la bonne gouvernance et de la démocratie. D’aucuns même jusqu’à provoquer la résurgence du recours à l’intervention de leurs forces armées et donc le retour à la mauvaise case des putschs qui a semblé s’être estompée un moment.
Pour la plupart des ex-dirigeants africains, ce n’est pas un prix du style «Mo Ibrahim» qu’ils méritent au vu de la «praxis» qui fut la leur quand ils ont géré les affaires de leurs nations respectives. Mais d’être déférés devant des juridictions judiciaires pour rendre compte des gâchis que leur gouvernance a occasionnés, et pour certains des crimes dont ils se sont rendus coupables.
Le jury du prix «Mo Ibrahim» ne doit pas s’illusionner : il n’est pas près de trouver l’oiseau rare qu’il cherche à distinguer pour l’honneur et la dignité du continent africain. Car loin d’avancer dans la bonne gouvernance et la démocratie, l’Afrique, du moins sa classe dirigeante, s’est prise d’une frénésie de régression en ces deux matières. Par certains aspects, son comportement présent dépasse dans l’ignominie celui de la précédente. Il n’y a qu’à voir la cascade de régimes qui sont en train de se transformer en républiques monarchiques, où le fils s’apprête à succéder au père, où dont le potentat aux commandes révise à sa convenance et par la fraude la constitution nationale pour se maintenir au pouvoir.
Ce n’est pas de cette engeance que le prix «Mo Ibrahim» sera en mesure de puiser ses futurs récipiendaires. A moins de prendre de coupables libertés avec les critères qui fondent leur distinction.
16 juin 2010
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