Les veilles des matchs de l’équipe nationale sont les plus difficiles à écrire et à décrire : demain, le peuple aura une autre nationalité, impossible à décider dès aujourd’hui. Car une nationalité, ce n’est pas un papier seulement. C’est une succession de moments, de rencontres avec soi-même,
de satisfactions ou d’envies de dire « non, vous vous trompez de personne car je suis lituanien ». Une nationalité d’ailleurs, c’est comme l’indépendance : ça augmente et ça diminue, ça se vend, ça se défend ou ça disparaît tellement qu’il n’en reste que l’anniversaire tiède et deux ou trois anciens moujahids qui ne veulent pas encore mourir en avalant leur langue. Donc aujourd’hui, vers 14 heures, on saura s’il faut augmenter le son de l’indépendance et de la nationalité ou se contenter de revoir le match contre l’Allemagne en 82 pour s’accrocher à quelque chose de concret. Toute autre question du jour, genre que fait le « pouvoir » pendant que les Algériens ont les yeux tournés vers le Sud ? Qui mange qui ces jours-ci ? Qui vole quoi ? Tout cela n’a pas d’importance : la mondialisation a elle aussi son populisme et il s’appelle la Coupe du Monde. D’ailleurs, la bonne question est : que fera l’Algérie si elle gagne la Coupe du Monde ? Elle boira de l’eau dessalée dedans ? Transformera la victoire en une arnaque? Donnera l’occasion de se passer du pétrole et des élections truquées ? On ne sait pas. Il y a un siècle ou deux à enjamber avant de passer du verre jetable à la Coupe du Monde. Donc, la veille d’un match, il vaut mieux éviter d’écrire sur quoi que ce soit et se contenter de faire comme le peuple : laisser son propre cœur se promener pieds nus sur le carrelage froid et espérer ne pas rapatrier des centaines de moutons froids à partir de Polokwane. Depuis une semaine, tout le peuple est sélectionneur, commentateur, joueur, défenseur, spectateur, ramasseur de balle, gardien de but, arroseur de gazon. Tout le Pouvoir se fait discret comme un civil dans une république de casernes. Tous les joueurs promettent de faire le fameux « maximum pour rendre heureux le peuple algérien ». Que reste-il à faire ? Rien. C’est-à-dire attendre aujourd’hui vers midi et choisir sa nationalité : algérienne (celle de tous en cas de victoire) ou individuelle (celle de la grimace et du retour à l’alimentation générale en cas de coups de pieds). Si on perd, on peut toujours reprendre notre routine d’été : faire des émeutes, médire sur le Pouvoir, jeter des pierres, s’en aller un peu, critiquer l’indépendance qui ne sait rien faire de nos mains et attendre que Dieu rappelle le monde ou que d’autres élections soient organisées. D’ailleurs, cette chronique ne devrait même pas être écrite : la veille d’un match décisif, c’est comme la demi-heure avant le adhan du ramadan. Il n’y a rien à dire sauf tendre l’oreille et
13 juin 2010
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