Un étudiant, plutôt prétentieux, m’a interpellé dans le hall du département d’architecture en me disant : «Monsieur, qu’est-ce qu’une université qui ne fonctionne pas ?» J’avais envie de lui dire qu’elle est à l’image de notre université USTOMB où le secrétaire général m’oblige en tant que maître
de conférences à assurer une permanence de sécurité le Week-end au lieu de m’obliger à m’investir plus dans la réflexion. «Une université qui ne fonctionne pas est une université qui fonctionne selon la logique du politique qui administre au lieu de fonctionner selon la logique de la science qui encourage la recherche au lieu de la bloquer. Je pense que vous avez une idée assez claire vous de la nature de nos responsables.». Et dès que je fus dans l’atelier, ce même étudiant me demande: «Et qu’est-ce qu’un urbanisme qui ne fonctionne pas ?». «C’est celui qui ne tient pas rigueur de la qualité de sa propre production, et qui se limite aux lois sans jamais veiller à leur bonne application, et avec du bon sens. L’expérience de Delluz, en ce sens, est très illustrative.».
Les étudiants me regardaient presque avec stupéfaction, tandis que moi, pensant de moi-même que je n’ai pas une culture livresque particulière, j’attendais leur réaction. «Et l’architecture, me demande le même étudiant, qu’est-ce que l’architecture ?».
J’avoue que je ne savais pas, que je ne sais pas répondre à cette question. Mais j’ai senti la nécessité d’ouvrir une brèche d’espoir à cet étudiant dont l’audace m’intriguait. «Une architecture sert à faire rêver. Le rêve c’est le désir d’être dans la meilleure possibilité. La plus honnête et la plus claire, toujours tourné vers l’avenir.» «Mais monsieur, cela ne veut rien dire ! La réalité nous impose à aller toujours vite et à faire du gain.»
«Mais tu oublies jeune homme que tu n’es pas commerçant. Si tout le monde accourt au gain, vaut mieux plier bagages et déposer les clés sous la porte. L’architecture est une aventure en soi qui, comme le pensait Kahn, est plutôt portée sur la formulation de la bonne question que la réussite de la réponse. Fernand Pouillon dont l’œuvre m’est mystique à certains égards, est le produit, selon ses termes, de la sincérité absolue.»
«Mais monsieur, la réalité nous rattrape toujours, et ce que vous nous dites là, ce ne sont que des paroles.»
«Seulement tu oublies que toute l’histoire de l’humanité, depuis la nuit des temps, est une histoire de paroles dont l’effet a toujours déterminé la nature de ses actes. La parole échangée fait débat, et du débat jaillit la lumière. C’est vrai que dans un pays comme le notre, nous avons l’impression que nous souffrons d’un déficit d’idées. Mais pour aller de l’avant, il suffit de croire, de ne pas lâcher.»
«Est-ce qu’il y a des architectes algériens qui font ce que vous dites ?»
«Bien sûr jeune homme. On voit que vous vous complaisez dans les idées reçues, comme en Algérie rien ne va, tout ce qui provient de l’étranger est forcément meilleur que ce qui est algérien. Pourtant, je suis sûr que dans ce pays une étoile est en train de naître, l’architecte Silarbi dont l’œuvre est exceptionnelle, et dont la qualité de production n’a rien à envier à ce qui se fait au-delà de nos frontières. Cet architecte n’a pas de limites, il tente tout par audace et par foi en l’architecture. Avec lui j’ai appris qu’un mur est un projet en soi, qu’il peut être une source d’émotions, et qu’il peut transformer notre vision des choses.»
«Seulement, il n’y a que les connaisseurs qui peuvent aimer ce qu’il fait.»
«Tu te trompes mon ami. Il y a des architectes qui refusent de voir ce qu’il fait parce que son œuvre leur rappelle leur malhonnêteté. Silarbi est un architecte tourné vers l’avenir. Partout il recherche l’expression. Je t’assure que tous ceux qui ont vu ses maisons sont restés émus à leurs rencontres. Car c’est une rencontre qui ébranle souvent les certitudes de ceux qui sont convaincus par la bêtise. Silarbi est un architecte dont je tente de suivre l’exemple. Il n’a jamais éprouvé le besoin, ni l’urgence de faire comme les autres. Grâce à son œuvre exceptionnelle, il peut être comme Bruce Goff, doyen de faculté d’architecture. Tu sais, quand on voit ses maisons, beaucoup disent que c’est malheureux, parce qu’elles se trouvent dans un environnement médiocre. Je leur rétorque : avez-vous cueilli des roses sans prendre le risque de vous faire piquer par les épines ?»
* Architecte Maître de conférences B
10 juin 2010
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