A l’aune des valeurs qui se sont effritées depuis quelque temps, les critères mis en place par les hommes subissent un terrible effet d’érosion, imposé par une évolution, pour le moins problématique, de la perception du monde et des choses.
Nous vivons une époque où les fortunes se font dans les arènes modernes que sont stades, avec des coups de pieds dans un ballon. La sueur du front n’est plus qu’une métaphore, niaise et déplacée, et ne vaut pas plus que l’honnêteté qui fait rire, aux éclats, désormais, ni plus que la compétence d’ailleurs qui donne autant le vertige que l’envie de vomir. Les grands messieurs parce que chaque époque à les siens se promènent, de nos jours, en short sur des pelouses et, à l’occasion, derrière un ballon. Pour le reste de leur emploi du temps, on les trouve ambassadeurs de l’ONU, de l’Unesco, de l’Unicef
de la bonne cause, vous diront-ils. Parfois, ce sont des avions présidentiels qui les prennent en stop et, toujours, ce sont des peuples entiers qui sont supposés les applaudir et soutenir. Même lorsque la majorité de ces peuples, s’écroulant sous le poids du besoin, luttent chaque jour, contre les atrocités innommables d’un quotidien qui s’entête à être harassant dans des pays riches et souvent même très riches.
Les médias courent, accourent à chaque fois que l’une de ces stars ouvre les lèvres, même si c’est pour respirer. Les caméras, les micros, les plumes se prosternent et fusent alors les expressions révérencieuses et les louanges à donner les frissons. Le tourbillon d’une vie moderne conçue par certains, et chez certains, bien sûr, impose de nouveaux idéaux. L’idéal d’aujourd’hui est, à en croire les médias, un homme jeune, athlétique qui sait taper sur un ballon ou du moins, courir après. Il est alors le support idéal pour les publicités commerciales et, époque oblige, pour les messages politiques. On lui fait pendre des boucles aux oreilles pour faire tendance, on lui concocte des spots à faire rougir les plus grands réalisateurs de Hollywood, on lui ajoute des trucs, on le truque lui-même au point où l’on ne sait plus ce qu’il y a de réel dans ces nouvelles concrétisations de la fébrilité d’un marketing qui a tout d’un capitalisme à la cécité de plus en plus avancée.
Plus intéressants que les chevaux de course, les joueurs de football constituent des placements qui rapportent gros, souvent trop gros. Ils se vendent sur la place à des prix renversants. Le salaire annuel d’un seul joueur peut coûter la nourriture de toute la population de Mogadiscio pendant un an. Quant à son transfert, mieux vaut ne pas en parler. Pour banaliser cette situation, anormale pour le reste, les médias – impliqués et concernés investissent dans le crédo «foot». Certaines chaînes ont pris l’habitude de jeter leur burnous opaque sur les évènements sportifs avec la complicité d’une FIFA qui s’éloigne tant de son statut de simple association sportive pour plonger dans le monde incongru des affaires. On n’achète plus le spectacle, on achète désormais, l’évènement dans son ensemble qu’on revend à celui qui revend au dernier revendeur.
L’éthique, blessée, prend congé alors que l’inconscience nullement gênée, fait le tour du stade, le tee-shirt de la responsabilité sociale, noué autour du cou.
Mais il n’y a pas que les médias qui sont responsables de cette situation, les politiques font aussi la génuflexion aux stars des stades. Ils la font de manière fort visible pour montrer leur investissement dans ce nouveau type d’actifs. Chez les politiciens jeunes et rouillés, chez les escrocs et les moins mauvais, chez les braqueurs de société et les kidnappeurs de générations, on communique désormais ballon au pied, grand joueur aux côtés, avec un stade en arrière-plan il ne manque que le short ! On a vu souvent des régimes atteints d’arthrite grave, tenter de se refaire une nouvelle jeunesse en s’agrippant à tout ce qui ressemble à une équipe de football. On a vu, aussi, des régimes vacillants chercher à sauver les restes, à l’aide d’une équipe de foot. Du coup, les milliards prélevés sur l’argent des peuples, ce sont ces gens qui passent leur vie à jouer, qui les prennent. Payés à coups de milliards, ils n’ont qu’une chose à faire: jouer et nul ne leur a jamais rien demandé de plus. Il suffit ainsi de notre temps de jouer pour se faire des milliards de milliards et bien sûr, comme dirait l’autre, «la valeur n’attend point le nombre des années».
Rien d’étonnant si les enfants d’aujourd’hui rêvent tous de vivre un ballon au pied et de mourir, un président au chevet. Rien d’anormal, dès lors, si les nations pauvres ou celles forcées par leurs gouvernants de rester sous développées, qui assistent à une hémorragie de leurs intellectuels et à une fuite jamais égalée de cerveaux, assistent en même temps à une arrivée massive de joueurs de ballon. Il y a ceux qui pourraient appartenir au pays à travers le père, ceux qui le seraient à travers là mère, ceux qui voudraient l’être à travers un demi-frère ou un voisin, ceux qui veulent l’être, comme ça, pour le plaisir d’être là où il y a énormément de fric, ceux qui semblent se rappeler qu’ils appartiennent à un pays jadis oublié et on passe Tout le monde accourt, et les médias, pour rendre les choses plus normales, accourent aussi. La règle veut que ceux qui vivent dans un endroit, sont le plus portés à y rester; alors est-ce normal que, au moment où les jeunes qui vivent dans un pays, tentent de le quitter par tous les moyens, d’autres jeunes veulent y venir l’espace d’un évènement footballistique. L’ère est au foot, c’est-à-dire aux pieds. La tête, ça dérange ceux qui ramènent tout au ventre. Il y a comme diraient certains, une répartition des tâches. En attendant une improbable répartition des temps d’autres stars sont en train d’émerger de certains studios où tout est bon à débiter sauf le sensé et le correct. Plus tu parles, mieux tu es vu et peu importe ce que tu dis car l’essentiel ce n’est pas le contenu, c’est le débit ya kho!
10 juin 2010
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